Pendant des décennies, la maison a incarné le rêve immobilier par excellence.
Pour les Français et les élites politiques, elle représentait l’aboutissement d’un parcours de vie, le signe de la réussite sociale dans une « France de propriétaires ».
Mais peu à peu, cette image s’est ternie. Le pavillon est devenu un symbole d’étalement urbain, d’empreinte écologique trop lourde, bref d’un modèle daté.
Dans les discours contemporains, la maison a perdu son aura, pour devenir un objet de critique, un bien coûteux en énergie et en entretien. C’est même aujourd’hui devenu un fardeau dans lequel il n’est pas forcément pertinent d’investir.
Quand le luxe réhabilite la “Maison”
Pendant que de nombreux urbanistes dédaignent l’idée de maison, le secteur du luxe, paradoxalement, s’en empare avec ferveur. LVMH revendique aujourd’hui soixante-quinze « Maisons ».
Le terme s’est imposé dans de nombreux univers, du Champagne (Maison Ruinard), à la parfumerie (Maison Guerlain), en passant par l’horlogerie (Maison Patek Philippe) et la maroquinerie (Maison Goyard).
Il y a quinze ans à peine, on ne parlait pourtant pas de Maison Dior ou de Maison Saint Laurent.
L’appellation est peu à peu devenue un outil de communication, un marqueur de distinction. La Maison est initialement incarnée par un lieu originel, une adresse, 31 de la rue Cambon pour Chanel ou le 24 Faubourg pour Hermès ; mais elle n’est pas qu’un bâti, elle devient un territoire symbolique pour les consommateurs.
Le luxe a compris la puissance évocatrice de ce terme et réhabilité la « Maison » comme sémantique signifiante. De quoi est fait ce capital émotionnel unique ?
À lire aussi sur le site du Journal de l’Agence : « L’agent immobilier, mixologue des émotions »
L’ancrage, l’artisan et le savoir-faire : les fondations du mythe
Tout d’abord, la notion de maison est indissociable du territoire dans lequel elle s’inscrit, faisant émerger les idées d’ancrage, de terroir, de culture locale et de traçabilité. Pour les Maisons, il ne s’agit pas seulement d’afficher un simple made in France informationnel, mais d’en convoquer les représentations mentales associées.
On peut parler de « francité », extrapolant ainsi la notion d’italianité de Roland Barthes, et capitalisant sur l’idée d’une manière unique de créer et de produire, propre à la culture française.
On invoque ainsi un imaginaire d’artisan local, de savoir-faire, d’esthétisme et d’expertise qui s’acquièrent avec le temps. La temporalité longue fait aussi émerger l’idée de lignée (la Maison royale), de famille, de racines, de tradition, d’héritage culturel à préserver.
Face aux grandes marques commerciales, aux multinationales hors sol et aux machines sans âme qui fabriquent à la chaîne des produits standardisés, la notion de Maison se différencie avec un imaginaire d’objets de grande qualité, artisanale et authentique. Et l’être humain est au centre de cette philosophie. Ce qui la met à distance d’un logique d’usine, de production industrielle désincarnée.
« Dans un produit, il y a d’autant moins d’âme qu’un grand nombre d’âmes a été associé à sa fabrication », écrivait Georg Simmel.
Cette vision se retrouve chez Hermès : un artisan unique crée par exemple un sac, du début à la fin, loin de l’optimisation taylorienne, du découpage des tâches et de l’optimisation des process.
L’émotion, nouvelle matière première de la Maison
Mais la Maison est avant tout un ressenti.
Elle évoque l’hospitalité, l’attachement, l’intimité.
C’est un lieu où l’on se sent bienvenu, où les sens s’éveillent : la lumière sur le parquet, l’odeur du feu de bois, le goût d’un gâteau partagé, etc. Ces perceptions nourrissent un imaginaire réconfortant, de chaleur, de sécurité, de liens. Les Maisons de luxe capitalisent sur cette symbolique : elles accueillent, racontent, transmettent.
Cette dimension relationnelle crée l’opportunité d’une proximité rare avec les clients, invite à la confiance, à la fidélité. Elle les accueille dans une famille qui a une histoire.
Le luxe a compris que la « Maison » pouvait être une promesse d’authenticité et d’humanité dans un monde chaotique, incertain et angoissant.
Les agents immobiliers pourraient s’en inspirer. Pourquoi ne pas réaffirmer leur rôle d’artisan du lien : il ne s’agit pas de vendre des biens sans âme, mais accompagner des parcours de vie singuliers.
Ils sont les garants d’une relation fondée sur l’écoute et l’empathie.
L’agence immobilière de demain ne pourrait-elle pas devenir cette Maison chaleureuse où l’on accueille, où l’on accompagne, où l’on transmet ? Bref un retour aux valeurs fondamentales et à l’IH… l’intelligence humaine.
À lire ou à relire sur le Journal de l’Agence : Quand les agents deviennent stars de l’immobilier de luxe
Source : Georg Simmel (2014), La philosophie de l’argent, PUF.

