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Quand les agents deviennent stars de l’immobilier de luxe

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Sur Netflix, deux séries consacrées à l’immobilier de prestige connaissent un succès exceptionnel : Selling Sunset et L’Agence. Ces programmes proposent deux visions différentes du métier d’agent immobilier, et de ce que signifie « vendre du rêve ».

photo : Quand les agents deviennent stars de l'immobilier de luxe

Selling Sunset suit la vie d’une agence spécialisée dans l’immobilier de luxe à Los Angeles. La série met en scène une équipe de jeunes femmes au glamour californien, affichant les codes du luxe clinquant. L’Agence met en scène la famille Kretz, une agence indépendante de Boulogne-Billancourt, spécialisée dans le haut de gamme français. Les parents, les enfants et même la grand-mère, au style discret et complice, travaillent ensemble dans une ambiance à la fois familiale et professionnelle. Ces deux séries contribuent à façonner l’image des professionnels dans l’imaginaire collectif.

Un même marché mondialisé, différents imaginaires

Dans les deux séries, des biens prestigieux, hors du commun, sont proposés à une clientèle internationale. Mais la mise en scène diffère. Selling Sunset privilégie des superficies hors normes, des baies vitrées gigantesques, des piscines à débordement infinies, un nombre indécent de parkings pour les voitures de luxe, etc. Le spectacle visuel prime, mais les biens sont homogènes, calibrés pour impressionner Instagram. C’est le stéréotype des villas californiennes de stars qui se décline au long des épisodes. De son côté, L’Agence propose des biens plus complexes, ancrés dans un territoire et une culture. Le luxe est ici davantage lié au patrimoine, au savoir-vivre et à une sensibilité esthétique raffinée. Les biens présentés racontent souvent une histoire d’architecture, de l’art voire de poésie. C’est par exemple la visite d’un château du XVe décoré par le designer Jacques Garcia et qui met en lumière d’anciens dessins de Jean Cocteau. L’aspect qualitatif prime sur le quantitatif, dans une mise en scène du caractère unique des biens, où l’imperfection fait partie du charme.

Capital économique et capital culturel

Les deux séries renvoient aussi à des stéréotypes de genre, d’agents et de vente. Selling Sunset valorise la réussite économique et l’ascension sociale individuelle selon les codes du rêve américain. Le luxe ostentatoire est le reflet d’un succès personnel mérité. Ici, l’ultra féminité s’affiche ouvertement : robes haute couture, voitures de sport, physiques refaits, etc. Tout participe à l’image spectaculaire du succès. La star Christell, aime à raconter qu’elle était le « smelly kid » de son école. Travailler dans l’immobilier lui a permis de progresser sur l’échelle sociale pour atteindre les sommets et la gloire. Ce succès doit être montré avec fierté, s’afficher sans honte via le montant des commissions.

Dans L’Agence, la réussite ne se limite pas au succès financier. Le montant de la commission n’est jamais communiqué. La famille nous accompagne plutôt dans une découverte des acheteurs et du patrimoine français. Elle met en scène un capital social et culturel. La mère de famille, Sandrine répète régulièrement qu’elle était institutrice, incarnant ainsi une éducation au goût et à l’histoire, un capital acquis par transmission plus que par mérite économique.

Relation client : entre séduction et écoute attentive

Selling Sunset fait de l’immobilier un décor spectaculaire où la compétition entre agents domine. Le client doit être séduit par un staging impressionnant. Les soirées privées thématiques exclusives, du type « Caviar & Botox » y participent. La relation client est rapide, cosmétique et transactionnelle, visant à pousser un bien ostensiblement attractif. Le refus d’un client est alors très mal perçu : « You don’t even cook, bitch ! » déclare Christine devant une cliente qui n’aime pas la couleur de la cuisine.

A l’inverse, L’Agence privilégie une écoute attentive et la personnalisation du projet immobilier. La famille Kretz s’attache à mettre en scène une relation de confiance avec ses clients, prenant le temps de comprendre leurs envies, leurs besoins et leurs projets. La vente se fait davantage dans une logique de co-construction et de médiation.

Dans Selling Sunset, l’apparence physique des agentes constitue une mise en valeur, une extension du bien en vente. Larges logos de luxe, tenues spectaculaires et talons aiguilles jouent un rôle marketing pour sexualiser la relation et évoquer sa désirabilité. La frontière entre le bien et l’agent est floue, l’acheteur ne sachant pas toujours ce qui le séduit.

L’Agence cultive une apparence plus sobre, privilégiant une élégance simple, sans mise en scène de séduction. Cette discrétion vise moins à charmer et davantage à instaurer une relation de confiance avec le client. Les Kretz valorisent la capacité à comprendre le client et à trouver le bien qui lui convienne.

À lire aussi : « L’agent immobilier, mixologue des émotions » 

Vendre une « géoculture » de l’immobilier

Finalement, ces deux séries ne vendent pas seulement du rêve et des propriétés exceptionnelles, elles jouent aussi une partition de géopolitique culturelle. Avec ces mises en scène, est posée la question de ce qu’est l’immobilier de luxe et comment le vendre : pousser un bien agencé de façon consensuelle via une stratégie agressive de glamour californien ou sensibiliser et éduquer l’acheteur à l’élégance patrimoniale parfois atypique.

Le spectateur, complice amusé, sait bien qu’il assiste aussi à un théâtre, où réalité et fiction se confondent. Les clients sont-ils des acteurs ? Chaque agent « star » exporte, à la télévision comme sur les réseaux sociaux, sa géoculture de l’immobilier : Hollywood ou Versailles ? C’est en télé-réalité, toujours un peu d’Hollywood à Versailles, pour vendre, avant tout, la réputation de l’agence et développer son propre business !

À lire aussi : Agents immobiliers : faites entrer les codes du luxe dans votre agence !

Fabrice Larceneux

Chercheur CNRS au centre de recherche DRM (Dauphine Recherche en Management), ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégé d’Economie et Gestion, il est titulaire d’un doctorat en Sciences de Gestion de l’Université Paris Dauphine. Auteur de différentes publications scientifiques et de l’ouvrage Marketing de l’immobilier (Dunod), il assure des cours de marketing de l’immobilier à l’Université Paris-Dauphine.
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