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La sécurisation du forfait jours dans la branche de l’Immobilier

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Les entreprises de la branche immobilière qui ne sont pas dotées d’un accord d’entreprise sur le sujet doivent se mettre en conformité avec les nouvelles dispositions. Aymeric d’Alançon, avocat of Counsel, spécialiste en droit social du cabinet CHASSANY WATRELOT ASSOCIES.

photo : Aymeric d'Alançon_Of Counsel

La branche de l’Immobilier a connu un enchaînement désormais classique : après un arrêt de la Cour de cassation du 14 décembre 2016 qui a eu pour effet de rendre nulles toutes les conventions de forfait en jours conclues sur le fondement de la convention collective, les partenaires sociaux ont conclu le 5 décembre 2017 un avenant à cette convention afin de la mettre en conformité avec la jurisprudence de la Cour de cassation mais également avec les nouvelles dispositions de la loi Travail du 8 août 2016.

Cet avenant, qui modifie l’article 19.9 de la convention collective, est applicable aux entreprises adhérentes à l’une des organisations patronales depuis le 6 juin 2018. Il vient d’être étendu à toutes les entreprises de la branche par un arrêté d’extension du 27 décembre 2018, publié au JO du 29 décembre et donc applicable depuis le 30 décembre 2018.

Pour toutes les entreprises de la branche qui ne sont pas dotées d’un accord d’entreprise sur le sujet, il est donc nécessaire de se mettre en conformité avec les nouvelles dispositions. Celles qui sont dotées d’un accord d’entreprise sur le forfait-jours auront également fort intérêt à évaluer leur propre accord afin de s’assurer qu’il présente des garanties suffisantes pour éviter l’annulation des conventions de forfait.

Les conditions d’accès au forfait-jours

Catégories éligibles

L’avenant rappelle d’abord les catégories éligibles à la conclusion d’une convention de forfait en jours en application de l’article L. 3121-58 du code du travail. Il s’agit d’abord des cadres dits « autonomes » qui le sont dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif. Cela peut être ensuite les salariés (pas forcément cadres) dont la durée du temps de travail ne peut être déterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps.

L’avenant tente ensuite de donner une illustration des fonctions qui, dans la branche, relèvent de ces catégories : négociation commerciale, relation clientèle (dans le secteur de la FEPL), conseil, expertise, gestions d’ensembles immobiliers, gestion technique ou informatique, direction ou responsabilité d’un service, établissement ou secteur.

Cette liste fixée par la convention collective n’est pas exhaustive et on peut donc imaginer d’autres fonctions qui autoriseraient la conclusion de forfait jours.

Surtout, comme le rappelle l’avenant, les salariés qui exercent l’une de ces fonctions doivent le faire de manière autonome. Cette liste de fonctions semble donc plus être un indice d’autonomie que la preuve irréfutable de celle-ci.

Rémunération minimale

Le nouvel article 19.9 de la convention collective ne fixe pas de niveau de classification à partir duquel un cadre peut bénéficier d’une convention de forfait en jours.

En revanche, il conditionne l’accès au forfait-jours au bénéfice d’une rémunération au moins égale au salaire brut conventionnel majoré de 12 %. Les salaires minimum de la branche étant exprimés sur l’année, l’appréciation du respect de cette rémunération minimum majorée doit également être faite sur l’année. Elle pourra donc inclure les primes ou commissions versées annuellement.

A ce sujet, il faut signaler que la Cour de cassation ne permet pas à un salarié qui ne bénéficie pas de la rémunération minimale prévue pour les forfaits jours de réclamer des rappels de salaires, il peut uniquement se prévaloir du non-respect de cette condition d’accès pour invoquer l’inopposabilité du forfait-jours et réclamer les éventuelles heures supplémentaires effectuées au-delà de 35 heures[1].

Une entreprise de la branche qui constaterait que certains cadres ne remplissent pas cette condition de rémunération minimale aura donc intérêt soit à procéder à une augmentation si elle souhaite que la convention de forfait jours reste efficace, soit à proposer au salarié de mettre fin à la convention de forfait en jours s’il ne souhaite pas procéder à une augmentation de rémunération. Si rien n’est fait, l’entreprise ne risque donc pas un rappel de salaires égal à 12 % du minima conventionnel mais un rappel d’heures supplémentaires, des majorations y afférentes, voire des repos compensateurs, ce qui n’est pas forcément moins onéreux !

Formalisme de la convention de forfait-jours

Le nouvel article 19.9 fixe le contenu de la clause du contrat de travail prévoyant la convention de forfait.

D’une part, cette clause doit faire une référence expresse à l’accord collectif d’entreprise ou à l’article 19.9 de la convention collective nationale.

La clause doit également préciser la nature des missions du salarié et l’autonomie du salarié pour l’exécution de celles-ci. Elle devra donc faire figurer une véritable justification du recours à la convention de forfait.

La période de référence du forfait, le nombre de jours travaillés sur la période et la rémunération devront également être définis.

Enfin, les modalités de contrôle de la charge de travail pourront y figurer mais cela semble être une simple possibilité car l’article 19.9 indique qu’à défaut de précision, les dispositions de la convention collective de branche s’appliqueront.

A nouveau, les entreprises ont intérêt à vérifier que leur conventions de forfait ou à tous le moins leur contrat de travail, contiennent bien les mentions définies par l’article 19.9 et à défaut à procéder à une mise à jour de ces contrats.

Exécution de la convention de forfait

Jours travaillés et jours de repos

Le nombre de jours travaillés est fixé à 217 jours, hors journée de solidarité soit en pratique 218 jours.

L’accord collectif de branche fixe certaines hypothèses dans lesquelles ce plafond peut être dépassé : affectation de jours de repos dans un CET, renonciation à des jours de repos dans les conditions fixés par l’accord, dons de jours de repos à un parent d’enfant gravement malade, salarié ne bénéficiant pas d’un droit intégral à congés payés.

Si la jurisprudence ne s’est pas prononcée sur ces éventuelles dérogations au plafond annuel, les hypothèses prévues par l’accord paraissent logiques et la dernière était expressément envisagée par l’Administration (Circulaire 2000-07 du 6 décembre 2000).

L’accord prévoit que le forfait s’exerce sur une période de 12 mois consécutifs ce qui semble laisser le choix aux entreprises de choisir entre l’année civile ou toute autre période, celle des congés payés par exemple.

Le calcul du nombre de jours de repos n’est pas détaillé dans l’accord. Il se contente d’indiquer que les jours peuvent être pris sous forme de journées ou demi-journées. Cette dernière notion étant définie comme le temps s’écoulant avant ou après la pause-déjeuner. Aucune précision n’est non plus donnée sur la prise de ces jours de repos en dehors de la possibilité d’établir un calendrier prévisionnel en début d’exercice.

L’accord prévoit en revanche la possibilité de renoncer à ces jours de repos, selon les modalités classiques, à savoir : conclusion d’un avenant, bénéfice d’une majoration au moins égale à 10 % et respect d’un plafond de 235 jours.

Modalités de suivi de la charge de travail

C’est ici que résident les principales avancées apportées par l’avenant.

L’accord initial se contentait de prévoir la fixation d’un calendrier prévisionnel de l’aménagement du temps de travail, un bilan annuel de la charge de travail et l’établissement par le cadre, à l’occasion de la prise des jours de repos, d’un document de récapitulant les jours travaillés et jours de repos.

Le nouvel article 19.9 de la CCN affirme d’abord que l’employeur doit « s’assurer que la charge de travail du salarié reste raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail ». Cette affirmation de principe est devenue une sorte de mantra des accords forfait-jours puisqu’il s’agit de la formulation de l’accord de la Métallurgie (l’un des rares accords à avoir trouvé grâce auprès de la Cour de cassation) reprise désormais dans le code du travail. Mais c’est surtout dans les modalités concrètes de suivi que l’article 19.9 est enrichi.

Document de suivi

Le document de suivi doit être établi, désormais chaque mois, par l’employeur ou le salarié sous son contrôle, qui est matérialisé par une contresignature du document.

Ce document doit faire figurer le nombre et la date des journées travaillées ainsi que le positionnement et la qualification des jours non travaillés. Mais il doit également permettre au salarié d’une part d’indiquer si les dispositions légales et conventionnelles en matière de repos ont été respectées et d’autre part d’indiquer toute difficulté liée à la charge de travail, la répartition du temps de travail ou l’amplitude des journées de travail.

L’accord de branche reprend ici une pratique largement répandue qui consiste à insérer dans les documents de suivi une déclaration du salarié relative au respect du temps de repos ainsi qu’une faculté de déclenchement d’une alerte sur la charge de travail.

Droit d’alerte et entretien annuel

Ce droit d’alerte est d’ailleurs consacré par un paragraphe spécifique qui invite le salarié à signaler lorsqu’il n’est pas en mesure de respecter les durées minimales de repos ou le nombre de jours travaillés du forfait, à demander un entretien en cas de surcharge de travail ou de difficulté d’organisation ou de répartition du travail et informer son supérieur hiérarchique de tout accroissement inhabituel ou anormal de sa charge de travail. Même si l’accord ne l’exprime pas clairement, il paraît logique de pouvoir déclencher l’alerte via le document de suivi.

La réaction de l’employeur au déclenchement de l’alerte n’est pas encadrée dans un délai précis, celui-ci devant rechercher et mettre en œuvre des solutions dans un délai « raisonnable ».

Un entretien individuel doit être organisé chaque année. Selon l’accord, il doit être obligatoirement distingué de l’entretien annuel d’évaluation et doit porter sur le bilan de la charge de travail, l’organisation du travail, l’amplitude des journées, l’adéquation de sa rémunération avec sa charge de travail, le calendrier prévisionnel des jours de repos. Les partenaires sociaux se sont ici écartés des sujets suggérés par le législateur dans les dispositions supplétives et ont notamment mis de côté l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle. Ce thème devrait en partie être traité dans les modalités d’exercice du droit à la déconnexion.

Droit à la déconnexion

La convention collective laisse ici toute latitude à l’entreprise puisque ces modalités sont renvoyées à une fixation par accord collectif d’entreprise ou par une charte[2]. L’accord impose néanmoins une communication au salarié de cet accord ou de cette charte ainsi qu’une sensibilisation et une formation des salariés et du personnel d’encadrement ou de direction à un usage raisonnable des outils numériques.

Pour ce droit à la déconnexion, qui va nécessiter a minima l’adoption d’une charte et la mise en place d’action de sensibilisation et de formation, comme pour les autres modalités de suivi, les entreprises de la branche ont donc intérêt à mettre à jour leurs procédures internes pour se conformer à ce nouveau forfaits-jours « sécurisé ».

[1] Cass. Soc. 28 juin 2018 n°16-28344 et 3 novembre 2011 n°10-14637)

[2] Le modèle de charte annexé à l’accord (de même que le modèle de document de suivi) n’ont pas fait l’objet de l’extension.

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