Loyers commerciaux et Covid-19 : les bailleurs à la lanterne ?

Gérald BERREBI, avocat au Barreau de Paris signe un libelle pour la défense des bailleurs.

La colère monte contre les bailleurs, attisée par ceux qui incitent sans nuance à ne pas payer les loyers, en invoquant le droit, et présentent comme scandaleux qu’un bailleur ose, dans le cadre de la crise sanitaire, prétendre que les loyers pourraient bien rester dus.

Attisée en effet, car rien n’alimente la colère comme la certitude d’avoir avec soi le droit et la vertu.

Le droit ?

Plusieurs mécanismes du droit sont avancés en faveur d’une annulation pure et simple des loyers dont les principaux sont les suivants : la privation de jouissance et l’exception d’inexécution (alors que le preneur occupe toujours les lieux et qu’il s’agit en réalité d’une privation de clientèle touchant le fonds de commerce, et non le local), la force majeure (agitée comme une évidence alors que nécessitant un examen au cas par cas et l’arbitrage du Juge), l’imprévision (inapplicable à bien des baux car elle ne peut concerner que les baux postérieurs à 2016 et qui au surplus en écartent parfois l’application), etc.

Quoi qu’en disent les pourfendeurs des bailleurs, suspendre le cours du bail n’est pas une solution contractuellement neutre : l’équilibre contractuel n’est pas préservé car seul le bailleur en assume alors tous les frais et manques à gagner.

Les partisans de l’annulation pure et simple de l’obligation de paiement des loyers ne s’embarrassent guère des obstacles du droit actuel (de lege lata) : le caractère exceptionnel de la crise sanitaire justifierait de changer sa manière de penser et une évolution du droit (de lege feranda).

C’est possible, mais est-ce si nécessaire ?

Les discussions sur le sort des loyers montrent que le droit actuel comprend déjà des mécanismes susceptibles de dénouer, avec l’aide éclairée du juge, bien des situations, sans sacrifier de manière systématique et brutale les intérêts de l’une ou l’autre partie.

Et pourquoi l’évolution convoitée par ces matamores du droit se ferait-elle au prix des intérêts du seul bailleur dans une situation dans laquelle aucun n’est fautif ?

La vertu ?

Les bailleurs sont invités à ne pas se faire prier pour annuler les loyers au nom de l’effort de solidarité. Personne ne semble toutefois se préoccuper de leur faire bénéficier de cette même solidarité, comme s’ils étaient mystérieusement épargnés par les effets de la crise.

Tel n’est bien entendu pas le cas. Les bailleurs se heurtent massivement aux impayés, alors qu’ils doivent assumer les dépenses liées au local, et le report des échéances de leurs crédits (qui représente un coût en intérêts) ne résout pas tout.

Or, les bailleurs ne forment pas un bloc homogène de privilégiés en mesure de supporter sans dommages la perte définitive de plusieurs mois de loyers. Tous, loin de là, ne sont pas des grandes foncières aptes à essuyer le choc et tous n’ont pas les moyens de se passer des revenus (qui sont parfois les seuls) que constituent les loyers.

De même, les locataires offrent des situations variables, et, dans bien des cas, sont plus solides que leurs bailleurs.

Il est donc caricatural d’envisager une solidarité à sens unique.

Demander au seul bailleur de subir les conséquences de la crise sur le bail revient à lui demander d’assumer indirectement les risques de l’exploitation commerciale, lesquels ne lui incombent pourtant pas. Le bailleur n’est pas l’associé du locataire et il ne bénéficiera pas des futurs bénéfices de l’exploitation.

Et lorsque certains bailleurs annulent les loyers, ils n’en sont guère récompensés car accusés par les mêmes qui le demandaient, d’agir dans le but de maintenir la tête de leurs locataires hors de l’eau uniquement pour qu’ils continuent à payer leurs loyers.

Plus que jamais les conseilleurs ne sont pas les payeurs

Comme certains ont su l’exprimer avec nuance et en se livrant à une analyse de lege lata, il n’est pas déraisonnable de penser que le risque pris à ne pas payer, pour un temps, est relativement limité. Mais, il serait bien inconséquent de miser sur la certitude d’un effacement complet de l’ardoise, et bien dommage de détériorer sérieusement une relation contractuelle qui s’inscrit dans la durée.

Des incitations et aides à l’attention des bailleurs (comme la déductibilité fiscale de l’annulation des loyers qui vient d’être votée, ou le report des échéances de crédit) et le soutien des pouvoirs publics aux entreprises sont aussi là, avec l’arsenal juridique existant, pour favoriser des solutions concertées.

Ni le soutien du droit, ni celui de la vertu ne pouvant être revendiqués par le seul locataire, le recours à la bonne foi contractuelle et au dialogue devrait présider à un règlement au cas par cas des situations, sans imposer aux bailleurs une solution spoliatrice.

La revendication radicale d’une annulation des loyers est tout aussi manichéenne et irréaliste que celle qui tend à obtenir pour cette épidémie la qualification de catastrophe naturelle pour contraindre les assureurs à indemniser : le montant des pertes d’exploitation subies est supérieur aux fonds propres des assureurs non-vie. Veut-on qu’une crise financière s’ajoute à celle du commerce ?

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