Taxer les propriétaires : efficacité fiscale ou erreur stratégique ?

Taxés pour leur supposée richesse, les propriétaires immobiliers sont devenus un levier budgétaire commode pour les collectivités. Mais derrière cette logique fiscale se cache une réalité plus complexe : stabilité résidentielle, engagement communautaire, générosité… Les propriétaires sont aussi des vecteurs de lien social. À force de les surtaxer, ne risque-t-on pas de rompre un équilibre territorial fragile ? Tribune de Fabrice Larceneux.
taxer les propriétaires

La propriété immobilière a toujours été un sujet à la fois central et sensible des politiques publiques. Pour plus de 80 % des Français, devenir propriétaire est toujours un objectif crucial. Cette étape décisive de la vie incarne le symbole d’une réussite sociale et professionnelle, un vecteur de stabilité, de sécurité et d’accomplissement personnel.

La contribution financière des propriétaires

Cependant, cette accession à la propriété s’accompagne d’un fardeau financier croissant, notamment fiscal. Les collectivités territoriales apprécient généralement de taxer les propriétaires car ils constituent une source de revenus stables, prévisibles et non délocalisables.

En raison de la suppression de la taxe d’habitation, les propriétaires sont devenus une cible prisée, avec l’augmentation de la taxe foncière et l’apparition de taxes additionnelles comme la taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI) ou la taxe spéciale d’équipement pour financer les lignes à grande vitesse. D’après l’UNPI, en 2023, le taux moyen de la taxe atteignait un niveau de 20 % du loyer annuel.

Entre 2013 et 2023, les propriétaires immobiliers français ont ainsi vu leur taxe foncière augmenter de près de 35 %, soit une hausse quatre fois plus importante que celle des loyers (+7,7 % sur la même période). En 2024, cette taxe aurait encore augmenté de 5 % dans les 200 villes les plus peuplées de France. Certaines métropoles battent même des records, comme Paris (+83 % entre 2013 et 2023) ou Nice (+21,7 % pour la seule année 2024).

Dans l’imaginaire de certains politiques, taxer les propriétaires est une mesure juste et équitable. Ils sont considérés comme une population relativement riche, ayant déjà bénéficié d’avantages fiscaux spécifiques, tels que la déduction des intérêts d’emprunts ou les exonérations sur les plus-values.

De manière générale, les taxes locales ont une utilité pour le bien commun. Elles sont destinées à améliorer notamment les infrastructures pour l’ensemble de la population et donc à augmenter à terme la valeur de chaque propriété. C’est en tous cas le contrat implicite entre les politiques et les ménages français. La réalité est plus complexe.

Des taxes trop élevées découragent les acheteurs les moins aisés. Cet effet est immédiat dans les zones peu constructibles et pour les ménages mobiles. A l’inverse, des services locaux performants (écoles, transports, espaces verts, etc.) améliorent la valeur du territoire, s’ils sont accompagnés d’une stabilité fiscale. Mais s’ils acceptent cette contribution financière qui leur est imposée, les propriétaires contribuent aussi d’une manière indirecte.

La générosité des propriétaires

Les propriétaires sont une ressource « affective » pour les territoires. Les chercheurs Bian & Zhu ont montré qu’ils sont en moyenne 20 % plus généreux que les autres segments de populations : les propriétaires sont plus enclins à donner à des associations caritatives et à participer à des projets locaux.

Leur générosité est plus conséquente que les non-propriétaires, y compris quand on contrôle des effets de leur patrimoine, de leurs revenus ou de leur mobilité. Bref, c’est un véritable « effet coeur » : l’acte de posséder son logement favorise d’emblée un comportement bienveillant et altruiste pour la communauté locale.

Plusieurs explications peuvent être avancées. Tout d’abord, les propriétaires affichent un plus fort enracinement local. La propriété favorise la stabilité résidentielle, ce qui renforce les relations sociales et le sentiment d’appartenance à un quartier. Ensuite, ils ont une bonne perception de la valeur des infrastructures locales dans la mesure où ils profitent directement des équipements, ce qui les incite à soutenir les initiatives locales.

Enfin, par le fait de s’approprier une partie du territoire, leur identité est ancrée dans sa préservation de long terme.

Taxer sans casser, le défi des politiques

Finalement, le propriétaire est un acteur impliqué dans sa communauté. En restant durablement dans un quartier, il tisse des liens avec ses voisins, participe à la vie locale et prend soin de son environnement.

L’acte de devenir propriétaire dépasse largement la simple acquisition d’un bien immobilier. Il façonne le rapport à la société, favorise l’engagement et nourrit un cercle vertueux de responsabilité et de solidarité. Être propriétaire, c’est non seulement bâtir un foyer, mais aussi contribuer à l’édifice collectif.

Trop taxer les propriétaires peut casser cette dynamique et entraîner des réactions inattendues. Au-delà de vendre le bien pour échapper à des charges excessives et alimenter une instabilité du marché immobilier local, une fiscalité continûment alourdie engendre un sentiment d’injustice. Des mobilisations « citoyennes » peuvent émerger et remettre en cause le bien-fondé des prélèvements, donc la légitimité des institutions régulatrices. Des tensions sociales émergentes peuvent nuire à la dynamique sociale et économique de long terme.

Attention ! Le contrat social de l’accession à la propriété est fragile. Et la fiscalité est un redoutable moyen de le déstabiliser.

Source : Xun Bian & Feifei Zhu (2024) Does Owning a Home Make Us More Generous?, Journal of Housing Research, 33:1, 80-111

Categories: Tribunes
Fabrice Larceneux: Chercheur CNRS au centre de recherche DRM (Dauphine Recherche en Management), ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégé d’Economie et Gestion, il est titulaire d’un doctorat en Sciences de Gestion de l’Université Paris Dauphine. Auteur de différentes publications scientifiques et de l’ouvrage Marketing de l’immobilier (Dunod), il assure des cours de marketing de l’immobilier à l’Université Paris-Dauphine.