Juridique : comment garantir vos honoraires face au droit de préemption ?

Le droit de préemption, qu’il s’agisse d’un locataire, d’un commerçant ou de la SAFER, accorde à certains acteurs une priorité d’achat fixée par la loi. Pour les professionnels de l’immobilier, il s’agit d’un mécanisme à bien maîtriser, car il peut avoir un impact direct sur vos honoraires et la sécurisation de vos ventes. Le point avec Morgane Jacquet, experte en droit immobilier.
Juridique : Comment garantir vos honoraires face au droit de préemption ?

Le droit de préemption du locataire

Dans le cadre d’un bail d’habitation d’un logement nu soumis à la loi du 6 juillet 1989, le locataire est bénéficiaire d’un droit de préemption lorsque le bailleur lui délivre un congé pour vente. Le congé délivré (conformément aux formes et délais prévus par la loi) doit contenir le prix de vente et les conditions de la vente immobilière envisagée, et vaut offre de vente au profit du locataire. Ce dernier dispose d’un délai de deux mois (correspondant aux deux premiers mois du délai de préavis de six mois) pour accepter ou refuser l’offre.

Attention, en cas de vente à un prix immobilier plus avantageux, il est indispensable de notifier ce nouveau prix, et cette notification vaut nouvelle offre au bénéfice du locataire, qui est prioritaire pendant un délai d’un mois à compter de la notification.
L’offre qui n’a pas été acceptée dans ces délais est caduque.

Ce formalisme imposé par l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989 est d’ordre public, et obligatoire à peine de nullité de la vente.

Le locataire commercial bénéficie également d’un droit de préemption en cas de cession des murs commerciaux, et ce, même en l’absence de congé du bailleur. Dans ce cas, le bailleur informe le locataire par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement. Cette notification doit, à peine de nullité, indiquer le prix de vente et les conditions de la vente envisagée. Elle vaut offre de vente au profit du locataire qui dispose d’un délai d’un mois à compter de la réception de cette offre pour l’accepter ou la refuser.

De la même manière que pour les baux d’habitation, si le bailleur décide de vendre à un prix ou des conditions plus favorables pour l’acquéreur, il convient de notifier au locataire ces nouvelles conditions, à peine de nullité de la vente.
L’offre qui n’a pas été acceptée dans ces délais est caduque.

Et vos honoraires immobiliers ?

Sachez qu’en cas de préemption du locataire dans le cadre d’un bail d’habitation, la Cour de cassation (arrêt du 3 juillet 2013) retient que « le locataire titulaire d’un droit de préemption acceptant l’offre de vente du bien qu’il habite, qui n’a pas à être présenté par l’agent immobilier, mandaté par le propriétaire pour rechercher un acquéreur, ne peut se voir imposer le paiement d’une commission immobilière renchérissant le prix du bien ».

Allant plus loin, le congé pour vente qui mentionne un montant d’honoraires d’agence pourrait encourir la nullité. Il semble donc préférable d’occulter toute mention relative à vos honoraires. Le critère retenu est l’absence d’intermédiation entre les parties.

La Cour de cassation précise toutefois que s’il n’est pas possible d’établir que le prix proposé au locataire est majoré du montant des honoraires du mandataire, le congé pour vente n’est pas nul.

À noter : En matière de baux d’habitation, le mécanisme du droit de préemption du locataire s’applique également aux cas de vente en bloc de certains immeubles et vente à la découpe prévus par les articles 10 et 10-1 de la loi du 31 décembre 1975 lorsqu’aucun congé pour vente n’a été délivré au locataire.

À lire aussi : « Droit de préemption et honoraires d’agence »

Et pour le bail commercial ?

Les juges semblent garder la même position que pour les baux d’habitation. Dans deux arrêts de 2018 et 2021, la Cour de cassation rappelle que l’offre de vente faite par le bailleur au locataire commercial ne peut en aucun cas inclure des honoraires de négociation immobilière.

Le droit de préemption de la SAFER

La SAFER (Société d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural) exerce ses activités dans une zone déterminée par un arrêté ministériel d’agrément.

Les SAFER œuvrent prioritairement à la protection des espaces agricoles, naturels et forestiers. Leurs interventions visent à favoriser l’installation, le maintien et la consolidation d’exploitations agricoles ou forestières afin que celles-ci atteignent une dimension économique viable, ainsi que l’amélioration de la répartition parcellaire des exploitations.

Pour la réalisation de ces missions, les SAFER ont vocation à acquérir pour revendre, de façon amiable :

  • des biens ruraux,
  • des terres agricoles,
  • des exploitations forestières ou agricoles,
  • des actions ou parts de sociétés agricoles (SCEA, SARL agricole, groupement foncier agricole ou rural).

En cas de vente d’un de ces biens situés dans leur périmètre, les SAFER sont préalablement informées par le notaire ou, dans le cas d’une cession de parts ou d’actions de sociétés, par le cédant ou le cessionnaire. Cette déclaration d’intention d’aliéner (DIA) contient des informations obligatoires :

  • le nom et l’adresse du vendeur,
  • la désignation du bien et les éventuels droits d’occupation ou servitudes,
  • le prix de vente immobilier et les conditions, dont le montant des honoraires d’agence immobilière et la partie en ayant la charge,
  • ainsi que les informations prévues à l’article L514-20 du code de l’environnement.

À lire aussi : Juridique : un vendeur peut-il retirer son bien de la vente afin d’éviter la préemption de la SAFER ?

Et vos honoraires immobiliers ?

Contrairement au droit de préemption du locataire, pour lequel la mention des honoraires est très litigieuse, la DIA SAFER peut (et doit) indiquer le montant des frais d’agence immobilière.

La jurisprudence constante de la Cour de cassation rappelle que la “préemption légale ne s’analyse pas comme une résolution ou une annulation de la première vente suivie d’une seconde vente, mais comme une simple substitution à l’acquéreur primitif, de la SAFER, laquelle doit exécuter en bloc toutes les clauses et conditions du contrat originaire dont elle doit évidemment avoir reçu la notification préalable”.

En d’autres termes, la SAFER qui préempte est un acquéreur comme un autre et demeure tenue par les termes du contrat de vente (qui reprend les conditions mentionnées dans la DIA). Si la DIA ne mentionne ni le montant de vos honoraires immobiliers, ni la partie qui en a la charge, vous perdez alors tout droit à rémunération.

Une réponse ministérielle a également rappelé que les honoraires de négociation de l’agent immobilier constituent un élément essentiel du prix de vente qui s’impose, sans contestation possible cette fois de la commune, à la condition que la DIA en fasse bien état.


Références

– Article 15 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989,
– Article L145-46-1 du code de commerce,
– Civ. 3e, 28 juin 2018, FS-P+B+I, n° 17-14.605,
– Civ, 3e, 23 septembre 2021, n° 20-17.799,
– Articles 10 et 10-1 de la loi n°75-1351 du 31 décembre 1975,
– Articles L143-1 à L143-16 du code rural et de la pêche maritime,
– Cass. 1e civ., 8 avril 1970, n°68-13.130,
– Cass. 3e civ., 15 juin 2000, n°99-70.080
– Cass, 3e civ., 3 juillet 2013, n°12-19442
– Cass, 3e civ., 1er juin 2010, n°09-65.557
– Rép. min. n° 292 : JO Sénat Q, 26 juin 1986, p.897

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