Lise Bernard enquête sur les agents immobiliers.

Lise Bernard, sociologue au CNRS, nous plonge dans un univers fantasmé qui en dit long aussi sur la société française.

Même si le métier peut être rémunérateur, les agents immobiliers ne roulent pas tous en Ferrari. Leurs revenus incertains sont déterminés par leurs ventes et les interactions qu’ils réussissent à établir avec leur clients. Un ouvrage passionnant à mettre entre les mains de tous les professionnels.

Extraits des pages 193, 216 et 217. La précarité en col blanc par Lise Bernard

Si des savoir-faire techniques, juridiques ainsi qu’une connaissance des prix de l’immobilier et de la vie d’un quartier sont nécessaires pour s’en sortir dans le métier, ils ne sont pas suffisants : les compétences liées au fait que les agents immobiliers interagissent avec une clientèle occupent aussi une place essentielle. Les directeurs d’agence cherchent d’ailleurs des négociateurs qui soient « à l’écoute », qui aient « le sens du relationnel », « une excellente présentation », ou encore qui « aiment le contact ». […]

En formation, les négociateurs apprennent des techniques de vente à adopter en fonction du type de clients qui se présente à eux. Face à un client qu’ils perçoivent comme « orgueilleux », on leur conseille par exemple de faire de l’anti-vente » : en lui affirmant que le logement en question est au-dessus de ses moyens, ils devraient le pousser à l’achat. Mais, pour « cerner » leurs clients et gagner leur confiance, ils s’appuient surtout sur leurs expériences professionnelles antérieures.

Le travail quotidien dans une agence immobilière les conduit à rencontrer de nombreux clients et apparaît, de ce fait, comme un lieu d’observation et d’apprentissage. Avec le temps, ils repèrent des régularités et dégagent des typologies qui leur permettent d’associer rapidement un client à un « style ». Leur expérience les conduit à relever, à partir des informations dont ils disposent, des tendances qu’ils utilisent par la suite pour mettre rapidement en relation un vendeur et un acquéreur.

Comme d’autres travailleurs du tertiaire, ils développent un savoir profane, un savoir ordinaire, qui peut prendre la forme d’une connaissance sociale fine. Ce savoir-faire ne s’apprend pas à l’école. Il s’agit d’un savoir pratique, peu intellectualisé qui se constitue en grande partie sur le tas. Les mots que les agents immobiliers utilisent à son égard sont révélateurs : ils déclarent « sentir », parlent de « flair », de « pif », d’« instinct » (« ça ne se commande pas », « ça se sent »).

Ce savoir-faire repose sur des intuitions et des ressentis. Les agents immobiliers ont ainsi l’habitude, en recevant un client, de déduire des éléments divers à partir de ce qu’il « dégage ». Ils sont sensibles à la gestuelle, à la démarche, aux manières de parler (aux mots utilisés, aux intonations), aux accessoires (bijoux, lunettes, etc.), à la coiffure, aux mains et aux ongles de leurs interlocuteurs, comme à la façon dont ces derniers leur disent bonjour. Ils prêtent également attention aux vêtements de leurs clients et se font, à partir de ces observations, une idée du type de logements qui pourrait leur plaire.

Lise Bernard

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