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« Le professionnel de la transaction, le mandat de vente et le devoir d’évaluation »; Quentin LAGALLARDE

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La réforme du droit des obligations de 2016 et les évolutions jurisprudentielles conduisent désormais à poser de nouveaux devoirs pesant sur les professionnels de la transaction immobilière. Décryptage par Quentin Lagallarde , Expert près la Cour d’Appel de Caen, MRICS et Enseignant droit immobilier et expertise immobilière.

photo : droit immobilier lagallarde

Ces devoirs qui découlent de l’accroissement du cadre général de l’obligation de conseil dont sont débiteurs les professionnels et leur responsabilité accrue ne peuvent que concourir à l’honorabilité de la profession par sa montée en compétence.

L’obligation d’évaluer les biens

La réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 1er février 2016 a introduit un article 1112-1 au Code Civil à la portée méconnue des professionnels de la transaction. Cet article est un devoir d’ordre public, le débiteur de l’obligation introduite ne peut limiter son devoir.

En son alinéa premier, cet article dispose que « Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. »

Posons-nous la question de la motivation d’un vendeur à traiter avec un professionnel de la transaction (notaire négociateur, agent immobilier). C’est d’essayer d’obtenir le maximum de chances de vendre dans un délai raisonnable un bien immobilier au meilleur prix possible.

Les vendeurs mandants sont bien souvent des particuliers, profanes de l’immobilier, ou du moins peu habitués au marché immobilier. Pour ceux-ci, se tourner vers un professionnel, c’est obtenir des conseils efficients. Or le professionnel détient des informations qui lui permettent, sur son secteur géographique et au regard de la typologie de bien, de pouvoir déterminer un prix de marché.

En reprenant l’alinéa 1er cité ci-avant et en le réadaptant à la profession, nous pourrions obtenir cette version du texte : « Le professionnel de la transaction qui connait l’état du marché, qui est une information importante pour déterminer le propriétaire d’un bien immobilier à le proposer à la vente, doit l’en informer dès lors que ce dernier ne connait pas le marché ou fait confiance au professionnel ».

Il est une réalité que tous connaissent, le cas du bien mis en vente à un prix complètement en dehors de la réalité de marché. Qu’en est-il du professionnel de la transaction qui accepte de proposer à la vente un bien dans des conditions irréalistes ?

Tout d’abord, la complaisance du professionnel se retournera contre lui lors de la réalisation de la vente, dans un délai manifestement long et après une âpre négociation.

Le 5 février 2015, la Cour d’Appel de Lyon déterminait que la surestimation de l’agent immobilier, au regard du marché et surtout de la transaction réalisée à un prix nettement moindre, provoquait un préjudice indemnisable au mandant vendeur : le préjudice moral de déception. Bien que faible, l’indemnisation de 2 000 euros est symbolique en ce qu’elle met à charge du professionnel d’être à la fois compétent pour évaluer et que ce professionnel doit remettre une évaluation en adéquation avec le marché.

Cet arrêt, corrélé avec l’article 1112-1 susvisé marque bien un devoir, une obligation, pour le professionnel d’évaluer le bien conformément au marché, et que les estimations de complaisances peuvent donner lieu à des sanctions civiles.

Dans « La Semaine Juridique Notariale et Immobilière » du 29 septembre 2017, Cédric COULON, directeur du Centre de Recherche Juridique et Judiciaire de l’Ouest, traitait cette problématique en conseillant d’insérer dans les mandats une clause informant le mandant de l’état du marché (et donc du prix estimé au regard du marché), par le professionnel dans le mandat de vente.

Par le jeu de cette clause, il ne pourrait être reproché au professionnel d’avoir donné l’illusion de réaliser une possible transaction à un prix en inadéquation avec le marché. Illusion qui est désormais passible de sanction civile.

Une obligation de compétence

Le décret du 28 août 2015 portant Code de Déontologie pour les professionnels assujettis à la loi Hoguet pose en son article 4, alinéa 3 l’obligation suivante : « Elles (NDLR : les professions réglementées par la loi Hoguet) doivent connaître les conditions des marchés sur lesquels elles sont amenées à intervenir. »

L’obligation déontologique posée est relativement claire : un professionnel ne doit intervenir et conseiller, que s’il a à la fois les aptitudes professionnelles, l’expérience et la connaissance d’un marché immobilier donné.

Devant la spécialisation des professionnels, que penser d’un spécialiste de la transaction d’habitation qui devra évaluer exceptionnellement des murs commerciaux ; ou encore d’un spécialiste de l’immobilier parisien, face à une propriété en Normandie ?

La tentation de la rémunération conduit parfois à prendre le risque de sortir de son champ de compétences avec les risques inhérents, et notamment la mauvaise évaluation préjudiciable au mandant.

Le 7 mars 2018, la Cour d’Appel de Bordeaux  sanctionnait un agent immobilier pour manquement à son devoir de conseil, qui avait sous-évalué le bien, et fait perdre la chance au propriétaire de le vendre plus cher.

Rappelons aussi que les manquements au Code de Déontologie peuvent conduire à des sanctions professionnelles et surtout que les professionnels de la transaction n’oublient pas d’indiquer dans leurs avis de valeur que ceux-ci ne constituent pas une expertise immobilière (Code de Déontologie – article 6) sauf s’ils sont aussi experts évaluateurs.

Méthodologie d’évaluation

Rappelons tout d’abord ce qu’est le prix de marché selon la Charte de l’Expertise, qui est la norme française d’évaluation immobilière : « La valeur vénale est la somme d’argent estimée contre laquelle des biens et droits immobiliers seraient échangés à la date de l’évaluation entre un acquéreur consentant et un vendeur consentant, dans une transaction équilibrée, après une commercialisation adéquate, et où les parties ont, l’une et l’autre, agi en toute connaissance, prudemment et sans pression ».

Le prix estimé par le professionnel doit refléter le prix de marché, à la date d’évaluation, c’est-à-dire au jour de l’inspection du bien. Le prix indiqué doit être sincère et non pas illusoire.

Bien entendu, il s’agit d’une obligation de moyen et non de résultat. Le professionnel devant tout mettre en œuvre pour aboutir à la détermination d’une valeur estimée cohérente. Mais il est impossible pour le professionnel de prévoir un évènement futur incertain, savoir la date et le prix de réalisation ; le prix indiqué doit être cohérent avec le marché connu du professionnel.

Ni la loi, ni la réglementation des professionnels de la transaction n’imposent de méthodes d’évaluation. Néanmoins, en revenant sur l’arrêt de la Cour d’Appel de Bordeaux suscité, il a été reproché à l’agent immobilier de n’avoir fourni aucun élément de comparaison pour justifier le prix indiqué à ses clients.

La Charte de l’Expertise, utilisée par les professionnels de l’évaluation immobilière, décrit limitativement des méthodes à utiliser en matière d’évaluation. Ces méthodes sont reconnues et fiables.

Le moment de l’estimation est aussi le moment de faire adhérer le client au prix estimé par le professionnel. Mais certains utilisent des méthodes qui ne sont pas en prise avec le marché et la définition de la valeur vénale, tel que la détermination du prix au regard des prix de biens actuellement mis en vente. Cette méthode ne saurait refléter le marché immobilier, tant les prix de vente, notamment « entre particuliers » sont surévalués.

L’estimation du professionnel devrait donc être fondée sur des comparables de quelques biens similaires vendus récemment sur le secteur du bien à évaluer.

Recommandations

Il découle des obligations légales, jurisprudentielles et déontologiques les recommandations suivantes :

  • Le professionnel devrait toujours évaluer un bien avant de conclure le mandat, en se fondant sur des comparables vendus, proches temporellement et géographiquement.
  • Le professionnel devrait pouvoir prouver avoir procédé à cette évaluation, donc par écrit, sans oublier la mention indiquant que cet avis de valeur n’est pas une expertise.
  • Le professionnel devrait, tout au long de la commercialisation, vérifier l’adéquation du prix du bien au regard du marché, surtout en cas de fluctuations de valeurs.
  • Le professionnel devrait indiquer dans le mandat de vente le prix du bien estimé, comme un avertissement au mandant, le prémunissant de toute déception en cas de mise en vente à prix illusoire.

 

 

 

 

 

Quentin LAGALLARDE

Quentin LAGALLARDE , Chartered surveyor MRICS, expert évaluateur en immobilier près la Cour d’Appel de Caen.

Certifié en expertise immobilière de l'ESSEC Business School et titulaire du DU expertise judiciaire (faculté de Droit de l'université de CAEN). Il est membre agréé du collège des experts du SNPI, Quentin LAGALLARDE dispose de plusieurs années d'expérience dans différents cabinets immobiliers en matière d'expertise, transaction et location. Il est certifié REV par TEGoVA, MRICS et également inscrit sur la liste des experts près la Cour d'Appel de Caen.
En sus de son activité expertise, il est formateur auprès des professionnels de l’immobilier. Ses formations sont disponibles sur www.cotentin-expertise.fr.
Téléphone : 02 33 03 17 02

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Vos réactions
  • Par Laure Darribere, il y a 4 années

    bonjour,
    l’article est excellent et devrait servir de support à tous ceux qui se prennent pour des agents immobiliers sans peur et sans reproches !!!
    Pour information, à ce jour la carte Pro ne s’obtient pas aussi facilement que ça , il faut bien plus que quelques mois d’exercices !!!!

  • Par Guillaume, il y a 4 années

    Quelle pertinence MONSIEUR Quentin.
    Certains 100% experts devraient lire cet article en boucle n’est-ce-pas ?

  • Par Paparella laurent, il y a 4 années

    Merci pour toutes ces précisions. Pour ce qui est de l’évaluation, nous avons suffisamment d’outils d’état sur la toile à notre disposition pour établir une réelle estimation. Nous serions plus confrontés à des surévaluations que l’inverse créant ainsi des désillusions des mandants. 

  • Par ENSUQUE, il y a 4 années

    Très bon article, très intéressant . effectivement une estimation doit être réalisée dans le domaine de compétence de l’agent immobilier, d’où le besoin de travailler en inter cab pour être encore plus performant .

  • Par Claverie, il y a 4 années

    Super
    merci pour ce très enrichissant article !

  • Par Cartayrade, il y a 4 années

    Tout ceci est très intéressant mais au-delà de l’angélisme habituel et tant que le législateur ne se renseignera pas à minima sur les réelles conditions de travail
    https://immobilier.lefigaro.fr/article/la-precarite-insoupconnee-des-agents-immobiliers_32d35f7a-bafe-11e7-9ef0-d3e21654415a/
    Cette profession ne pourra pas avancer vers le professionnalisme qu’elle a besoin.
    Déjà supprimer le système de rémunération « d’avance sur commission » cela obligera les employeurs de vérifier avec pragmatisme le vrai potentiel de leurs secteurs avant de recruter. Ensuite durcir l’octroi de carte professionnelle (actuellement quelques mois d’expériences suffisent) et davantage les adosser à ceux qui travaillent dans l’immobilier plus profondément (notaire, cabinet d’architecte, syndic, promoteur….) cela évitera les agences ou agents avec une planche posé sur deux tréteaux , un ordinateur portable ou les fameux réseaux qui repartent aussi rapidement qu’il sont arrivé….

  • Par PJC, il y a 4 années

    Bonjour,
    Merci beaucoup pour cet article qui montre bien l’importance de l’obligation de conseil dans notre métier. Etant chasseur immobilier, je réalise pour chaque produit une estimation des biens sur lesquels mes clients acquéreurs souhaitent se positionner. Même si je ne remets pas en cause la charte de l’expertise et ses méthodes d’évaluation qui sont parfaites dans le cadre de dossiers du type succession, divorce…, je pense en revanche qu’elles ne sont pas forcément adaptées pour la vente d’un bien immobilier. En effet, l’un des principes de cette charte est l’équilibre entre offre et la demande ce qui n’est pas réaliste dans un marché comme celui de Paris. De plus, la valeur subjective est aujourd’hui très forte à Paris et doit être également prise en compte. Voici un article sur le sujet : https://www.peter-jorgensen-consulting.com/valeur-subjective-paris.html
    En revanche, l’importance de savoir expliquer mathématiquement une estimation est effectivement indispensable pour à la fois protéger les clients vendeurs comme acquéreurs et ceci permet en plus d’obtenir leur confiance ce qui est commercialement très fort.
    A votre disposition pour en discuter.

  • Par StéphaneChevillon, il y a 4 années

    ….et une estimation doit être payante (…ce qui est gratuit ne vaut rien), l’argumentation commerciale mettant en avant « l’estimation gratuite » est, à mon avis,  un siphon à mandats !
    Cet article est à stabiloter… dans sa totalité, bravo ! 

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