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L’irrationnel dans l’acte d’achat

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Comment expliquer que 90% des Français, à un moment ou à un autre de leur vie et souvent de plus en plus tôt placent en tête de leurs priorités l’accession à la propriété et qu’ils cèdent à ce besoin impérieux de plus en plus tôt ? Les explications du docteur Jacques Antoine Malarewicz, psychiatre spécialiste des thérapies de couples.

Alors que près d’un mariage sur deux se termine par un divorce, beaucoup de Français n’hésitent pas à s’endetter sur 25 ou 30 ans pour accéder à la propriété. Pourquoi est-il plus facile de s’engager de passer chez le banquier signer un crédit à très long terme que de passer devant Monsieur le Maire ? Pour de nombreux Français, un investissement à long terme pour un ancrage hautement symbolique dans l’espace est devenu une évidence.

Les explications habituelles sont bien connues : «Posséder reste un gage de réussite», «Un chezsoi confortable se doit d’être un refuge contre le monde extérieur», «Mieux vaut payer un crédit qu’un loyer», «Le logement devient un bien de consommation classique», «La pierre est un investissement concret», «C’est un placement sûr à transmettre à ses enfants», «Une certaine méfiance subsiste envers la bourse»… Outre ces éléments rationnels surtout d’ordre financiers, les décisions d’investissement tiennent compte de facteurs relevant de nouvelles formes de liens sociaux et de leur façon de se situer dans le temps et la durée.

Surtout, la pérennité qu’apporte la propriété immobilière tend à remplacer les différentes formes de contrat qui peuvent lier les individus entre eux.

L’immobilier, un investissement affectif

L’investissement dans un logement n’est pas seulement financier mais également affectif. C’est ce qui fait que dans les procédures de divorce et de séparation, tout ce qui concerne l’habitation est souvent l’objet de conflits importants, aussi bien pour des raisons matérielles que symboliques. Ainsi, il est parfois plus difficile de vendre un bien, surtout lorsqu’il a une histoire transgénérationnelle, que de divorcer. Comme si se séparer d’une maison devenait plus douloureux que de quitter un conjoint ou une conjointe. D’ailleurs, le temps du divorce proprement dit est généralement bien plus bref que celui de la liquidation des biens communs, lorsqu’ils existent.

Une réponse au besoin archaïque d’une insertion dans l’espace

Le besoin archaïque de trouver sa place au sein d’un espace sécurisé est supposé répondre à des incertitudes et à des peurs d’un tout autre ordre que celui de l’achat immobilier à proprement parler. La stabilité d’un espace sert d’assurance face aux instabilités relationnelles et aux incertitudes du temps et de l’époque. Le terme «archaïque» explique l’apparente irrationalité de certaines décisions au sens où un besoin de ce type ne s’explique pas, ne se justifie pas et ne s’encombre pas de la crainte d’avoir à assumer des sacrifices.

L’habitation est à la fois un bien à transmettre, elle accompagne la filiation, en même temps qu’un espace d’accueil privilégié pour le clan, elle devra probablement de plus en plus répondre aux exigences de cette forme de lien social. Ce que nous demandons d’un lieu de vie, c’est qu’il soit à la fois symbole de stabilité, de solidité et point de référence.

Un signe de foi en l’avenir

Le temps n’est plus linéaire, il ne s’écoule plus de manière régulière et homogène. Notre rapport au temps et à la durée n’est plus raisonnable au sens où il n’est plus rythmé par les saisons et les générations, comme cela peut être le cas dans une société rurale qui s’insère dans le planétaire et le biologique. Il se perd maintenant dans un universalisme que l’informatique et internet ont banalisé. Dans une société où la vitesse et l’instantanéité s’imposent en même temps que l’efficacité et la performance, nous avons appris à ne plus anticiper, nous agissons et réagissons plutôt dans le court terme.

L’augmentation très importante de l’espérance de vie entraîne également une superposition des générations que renforce le «jeunisme» ambiant. Jusqu’à la seconde guerre mondiale, la véritable rupture s’établissait au sortir de l’adolescence, elle est maintenant reportée à la fin de la vie d’adulte. Le troisième et le quatrième âge viennent interminablement prolonger la vie et surtout la survie.

Par ailleurs, les rituels de passage qui ponctuaient les articulations entre les phrases successives du cycle de vie ont tendance à disparaître. Il n’existe plus qu’un seul âge, celui de la jeunesse, dans ses diverses déclinaisons, sans qu’aucune rupture ne vienne véritablement marquer les différents cycles de vie. Tout cela aboutit à un lissage du temps et de la durée qui s’étendent indéfiniment, sans aspérité, dans une collection d’instants qu’il s’agit de vivre avec intensité. Ces désordres dans l’appréhension du temps et de la durée appellent des prises de position nouvelles : la recherche d’un clan et le besoin de filiation.

Ainsi, chaque individu tente de se situer au point de rencontre d’une histoire et d’un groupe dans le besoin vital de donner –malgrè tout, un sens et une dimension humaine à son existence. Il en résulte paradoxalement, et pour une bonne part de manière irrationnelle, une foi inébranlable en l’avenir. C’est là que l’acquisition d’un bien immobilier bien objectiver une espérance qui ne peut être déçue.

Une traduction de l’évolution clanique de la société

Avec l’implosion du modèle classique de la famille et le boom des familles recomposées ou monoparentales, les liens interpersonnels se définissent de plus en plus sur un modèle clanique. Le clan ressemble à une famille étendue sans que les liens biologiques soient nécessairement prépondérants et sans que des loyautés ne viennent figer son fonctionnement.

A mi chemin entre le groupe étendu et la famille, le clan apporte la chaleur affective, la complicité, la solidarité que les liens familiaux apportent plus difficilement. On ne choisit pas sa famille, mais on peut décider de rentrer ou de sortir d’un clan ! La maison clanique doit offrir de grands espaces de convivialité au détriment de l’espace purement privé.

C’est ainsi que l’importance du salon et de la cuisine est privilégiée au détriment des chambres. Ces grands espaces doivent être modulables pour accueillir des membres du clan qui peuvent être de passage. Des extensions doivent être possibles afin de moduler la distance géographique qui sépare –ou relie- les différents membres. Il s’agit d’un espace qui atténue les hiérarchies et où la diversité des pages s’efface dans le partage d’un même espace.

Le besoin de se définir dans une filiation

Face à une appréhension du temps totalement bouleversée, face à des liens affectifs fragilisés par l’augmentation de l’espérance de vie et le consumérisme relationnel, l’acquisition d’un espace personnel correspond au besoin de se réfugier dans une certitude tangible. L’habitation est à la fois un bien à transmettre, elle accompagne la filiation, en même temps qu’un espace d’accueil privilégié pour le clan, elle devra probablement de plus en plus répondre aux exigences de cette forme de lien social. Ce que nous demandons d’un lieu de vie, c’est qu’il soit à la fois symbole de stabilité, de solidité et point de référence.

Propos recueillis par Camille Pujols

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