« La loi ALUR fait fuir les investisseurs », François Fillon, ancien Premier Ministre, candidat à la primaire de l’UMP

L'ancien Premier Ministre, vainqueur du premier tour primaire de la droite avait rencontré Ariane Artinian en mars 2015 pour dévoiler son programme pour une autre politique du logement. Voici ce qu'il disait il y a 20 mois.

JDA : Quelle est votre analyse de la situation du logement en France ? Quel tableau dressez-vous ?

François Fillon : Je m’en tiens aux faits. Et ce que je constate, c’est que la situation du logement en France s’est dégradée : injustice dans l’accès au logement, devenu excessivement difficile, et ce sont les plus modestes et les jeunes qui en souffrent le plus ; prix des logements qui ont quasiment doublé depuis 2000 ; disparité des situations, selon les territoires, entre zones tendues et zones non tendues. Au total, je comprends l’inquiétude de beaucoup de Français. De plus, le secteur de la construction va mal. François Hollande nous promettait la construction de 500 000 logements lors de sa campagne de 2012, nous en sommes à moins de 300 000, d’après la statistique traditionnelle. Les dernières statistiques, qui obéissent à un nouveau mode de décompte, font apparaître, sur une période d’un an, une chute des mises en chantier de logements neufs de 9,4 % et des permis de construire accordés pour des logements neufs de 7,5 %. Ces chiffres sont inquiétants.

Et que dire de la dépense publique liée ? La France consacre aujourd’hui 2 points de PIB au logement, tandis que les autres pays n’y consacrent qu’un seul point, pour des résultats comparables, voire meilleurs. Où est l’efficacité ? Le montant des aides d’État comme des produits fiscaux sont anormalement élevés. Si encore les résultats étaient à la hauteur de ces dépenses…

JDA : A quoi cela tient-il ? La loi Alur est-elle 100 à % responsable de la situation ?

F. F. : Le logement est un domaine qui reflète l’obsolescence plus générale d’une certaine forme d’interventionnisme à la française : il serait donc malhonnête de n’en attribuer la responsabilité qu’à un seul texte. Mais personne ne peut nier que le gouvernement actuel a pris toutes les mauvaises décisions en matière de politique du logement, à commencer par celles qui ont consisté à effacer les premiers pas dans le bon sens effectués par mon gouvernement ! La loi Alur, quant à elle, est tellement absurde dans sa conception que Manuel Valls a été obligé de revenir dessus. Cette loi fait fuir les investisseurs, elle introduit un grand nombre d’effets pervers, au détriment des classes moyennes. Avec l’encadrement des loyers, au bout du compte, les classes moyennes seront les grands perdants de cette politique.

Le renforcement par Mme Duflot de la loi SRU est également une erreur majeure. Elle découle d’une vision uniforme et punitive de la politique du logement là où il faut faire très exactement l’inverse, c’est-à-dire prendre en compte la disparité des territoires.

Si l’on veut résumer, on peut dire que le gouvernement socialiste a heurté de plein fouet deux écueils catastrophiques : étouffer le secteur de contraintes absurdes et contreproductives ; appliquer à la politique du logement une vision uniforme, dogmatique et autoritaire. Mes propositions visent à remettre la liberté au cœur de la politique du logement pour plus de justice et d’efficacité.

JDA : Quelles mesures faut-il prendre pour favoriser l’accès au logement  et fluidifier le marché immobilier ?

F. F. : Plusieurs chantiers doivent être ouverts, le plus rapidement possible. Je propose d’abord de stabiliser et alléger la fiscalité sur le logement pour redonner de l’air et de la confiance au marché : je fixerai la fiscalité sur le logement pour 5 ans ; le délai d’exonération de taxe sur les plus-values sera ramené à 15 ans. Par ailleurs j’encouragerai l’acquisition de la résidence principale et l’investissement locatif long et je supprimerai progressivement les DMTO et réduirai le coût des hypothèques pour alléger les charges pesant sur les accédants.

A côté de ce chantier fondamental, je propose de supprimer franchement et totalement l’encadrement des loyers et d’instaurer un « bail homologué » à saisir en ligne : ce bail accordera, pour ceux qui l’utiliseront, des avantages fiscaux supplémentaires aux propriétaires, proportionnels à la modération du loyer. En dehors de ce bail facultatif, liberté contractuelle. Dans cette même catégorie de mesures, je propose d’instaurer une procédure accélérée pour réduire les délais d’expulsion, beaucoup trop longs aujourd’hui.

Je veux également réformer en profondeur le système du logement social, devenu particulièrement injuste. Je souhaite que les ménages qui en ont le plus besoin y aient accès, et non comme aujourd’hui plus de 70 % des ménages ; c’est pourquoi je propose de baisser le plafond de ressources pour l’accès au logement social. Dans le même esprit, je veux favoriser la mobilité dans le logement social, et permettre aux locataires de devenir propriétaires de leur logement. Cette nouvelle politique doit s’accompagner d’une évolution du rôle des bailleurs sociaux et d’une véritable promotion du logement intermédiaire en zones tendues. Je pense enfin que fluidifier le marché de l’immobilier passe par l’innovation et le développement du numérique en particulier : je propose de faciliter l’accès à l’information sur les loyers, sur les matériaux, sur la disponibilité des terrains grâce à une vraie politique d’open data…

Sur l’innovation, je veux réduire les délais d’instructions pour les procédures de mise sur le marché et promouvoir l’utilisation d’outils numériques tels que par exemple la maquette numérique.

JDA : Votre gouvernement avait relevé les droits de mutation. Aujourd’hui, vous recommandez leur suppression, cela n’est-il pas contradictoire ?

F. F. : Les modifications faites sous mon gouvernement ont consisté à transférer la part des droits de mutation qui revenait à l’État (0,2 %) aux départements, en 2011, ou à procéder à quelques aménagements techniques suite à la réforme de la taxe professionnelle, avec notamment un dispositif de péréquation, d’ailleurs d’origine parlementaire. C’est le gouvernement actuel qui a relevé les droits de mutation en 2014 ! Il a autorisé les départements à augmenter de 0,7 % : les droits de mutations sont donc passés de 5,09 % à 5,8% en 2014. La suppression progressive des DMTO correspond à ma volonté de rupture appliquée à la fiscalité, qui ne doit plus décourager l’activité ou la mobilité !

JDA : Considérez-vous toujours qu’il faut une France de propriétaires ?

F. F. : Je préfère parler d’une France d’investisseurs ! Mais mes propositions concernent aussi bien l’accès à la propriété que la location. Ce qui est prioritaire, c’est de permettre à chacun d’accéder à un logement selon ses besoins. Qu’il loue ou qu’il achète son bien, peu m’importe, du moment qu’il puisse le faire avec le moins de difficultés possibles !

JDA : Qu’attendez-vous des professionnels immobiliers ?

F. F. : Dans le cadre de l’élaboration de ce programme, j’ai rencontré un certain nombre d’entre eux, et ils m’ont fait part de leurs attentes, de leurs difficultés aussi. Je pense donc que la question est plutôt : qu’attendent-ils de nous, les politiques ? Ce qu’ils attendent, c’est qu’on leur donne enfin les bonnes conditions pour investir, pour se développer, pour créer des emplois, et qu’on mette fin aux contraintes et aux freins qui entravent leur activité, comme le prouvent la chute du nombre de permis de construire et de mises en chantier.

Propos recueillis par Ariane Artinian

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