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Maîtriser la sophistication des prêts

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Pour mieux couvrir l’ensemble besoins des emprunteurs, les crédits immobiliers deviennent des produits de plus en plus techniques. Ce qu’il faut savoir pour maîtriser la donne.

La toute dernière hausse du principal taux directeur de la Banque Centrale Européenne, porté à 4%, en dehors de toute polémique sur la justification de ce resserrement monétaire, va encore accentuer la concurrence entre les principaux acteurs du marché des crédits.

La situation actuelle d’inversion de la courbe des taux confèrait déjà une souplesse supplémentaire, mais temporaire, aux établissements de crédits. Cette nécessité d’originalité et de créativité dans les produits de crédit n’est pas nouvelle mais connaît une intensification vitale pour les prêteurs non adossés à des réseaux de collecte d’épargne.

La spécificité du taux fixe en France

C’est une véritable originalité dans le milieu financier. En effet, plus de 80% des crédits immobiliers pour l’accession à la résidence principale sont encore contractés avec des taux fixes, et près de 60% de l’ensemble des crédits immobiliers (financement des investissements locatifs compris) également. Ces chiffres sont à comparer aux crédits long terme consentis aux entreprises qui sont très majoritairement (notamment dans les volumes auprès des moyennes et grandes entreprises) indexés sur des conditions de marché, ou encore sur les crédits dits court terme (découverts, crédits permanents….) tous liés aux variations des taux de marché.

De la sorte, la France semble avoir conservé des mécanismes de protection du crédit habituellement rencontrés dans les pays en voie de libéralisation, ou dans ceux qui mettent en place un système bancaire organisé. Or, notre système bancaire et financier passe pour l’un des plus sûrs, si ce n’est le plus sûr, et notre pays ne présente pas, à mon modeste avis, les signes d’un pays qui sort du tiersmondisme économique. D’où peut donc provenir cette persistance de l’usage du taux fixe, abandonné depuis longtemps par nos voisins européens et par les anglo-saxons ?

Tout d’abord, les français ont vécu des décennies avec un retrait naturel, voire une frilosité face au crédit. Dans ces conditions, les Banques, pour s’assurer une fidélité ou pour conquérir une clientèle visée, ont consenties sans cesse des offres alliant à la fois agressivité commerciale et assurance. L’explosion récente, sous le joug d’une nouvelle génération de consommateurs plus dynamique dans le recours à l’endettement, de la part des crédits dans le revenus des ménages (entre 60 et 62% selon les cabinets spécialisés, contre moins de 48% il y a encore cinq ans), la baisse du taux d’épargne, passé de presque 17% à moins de 14% en 2006, et la flambée des prix de l’immobilier, sont des facteurs qui obligent à modifier les comportements globaux face au crédit.

Une autre raison réside dans une concurrence entre les banques certes présente depuis longtemps, mais pas aussi exacerbée que ces derniers mois.  Les enjeux de part de marché, les rapprochements entre établissements financiers mais aussi la naissance par croissance externe de mastodontes financiers, le retour timide mais certain, de banques étrangères, et surtout la course à la rentabilité, font changer l’attitude des banques également.

Enfin, et dans le même esprit, les différences de traitement par les Pouvoirs Publics entre établissements s’est presque complètement estompée. Il n’y a pas si longtemps encore, les organes de tutelle ou l’Etat, lors des nationalisations, puis des privatisations partielles par exemple, intervenaient sans dissimulation dans la gestion des établissements financiers. La Caisse des Dépôts, sous couvert de participer à la construction sociale, se voyait allouer un traitement accommodant quant à l’analyse de sa rentabilité sur les crédits consentis et sur ses encours. On a créé des structures de defeasance pour soulager des établissements comptablement en banqueroute, et pour leur permettre de revenir dans le marché. On a permis, quand on n’a pas favorisé, le rapprochement d’établissements modestes entre eux ou au sein de groupes importants, en fermant les yeux sur des encours contentieux ou sur des campagnes commerciales en situation avérée de dumping. Même Jean-Claude Trichet, actuel patron de la Banque centrale Européenne, avait, du temps où il occupait les fonctions de Gouverneur de la banque de France, émis une circulaire générale auprès des banquiers pour leur demander de ne pas vendre à perte leurs enveloppes de crédits. Qui s’en souvient encore, hormis les banquiers eux-mêmes, qui doivent bien rire de cette tentative d’ingérence de leur autorité de tutelle ?

Ne parlons pas de l’inéquité dans la distribution du livret A en contrepartie du soutien du réseau des Caisses d’Epargne, de la permissivité dans la distribution de prêts complémentaires aux crédits épargne logement à la Poste, d’une plus grande sévérité des contrôles auprès d’établissements, mutualistes par exemple, qui, du fait de leur statut, ne permettaient pas un dictat de leur ligne de conduite, de la grande souplesse d’esprit à l’égard du Crédit Lyonnais dans la gestion de sa crise et des offres commerciales présentées pour tenter de récupérer une clientèle en plein envol, des caisses de Crédit Municipal en totale déconfiture…

Non, décidément, toutes les Banques n’étaient pas, et ne sont quelquefois pas encore, traitées de la même façon. Mais les choses changent, sous l’avènement des concentrations financières internationales, et sous l’emprise de nouvelles règles prudentielles.

Quel avenir pour le produit « prêt immobilier » ?

Tout d’abord, comme nous l’avons déjà expliqué, et comme tout un chacun se rend compte, le poids des emprunts immobiliers dans l’endettement global des ménages, du fait de la cisaille prix du foncier / plafonnement des revenus conjugué à une inflation quasi constante, ne permet plus d’emprunter sur des durées connues jusque ces dernières années.

La durée moyenne des crédits immobiliers contractés est passée de 14 à 17 ans en cinq ans, et sur les dernières statistiques, ressort à près de 21 ans, avec presque 20% des prêts consentis en 2006 sur 25 ou 30 ans. L’arrivée de produits sur 35 ans (UCB), voire 40 ans (Crédit Foncier, Crédit Immobilier de France), ou encore 50 ans (Kutxa Banque sous certaines conditions, notamment d’âge en fin de crédit), ne permet plus de traiter ces demandes sur des taux fixes. Par ailleurs, la réglementation internationale bancaire, dite circulaire Bâle II, oblige les banquiers à provisionner leur risque de transformation, c’est à dire la différence entre le taux fixe vendu aux clients, et le risque supporté par le niveau de taux des marchés financiers.

Le réseau BNP Paribas qui a consenti au cours du 2ème semestre 2006 des taux à 30 ans à des conditions tirées, porte depuis le début de l’année 2007 des encours de crédits qui lui coûtent, avec la hausse constatée des taux depuis, chaque jour de l’argent. Certes, les établissements concernés peuvent se targuer de disposer de ressources non rémunérées du fait des dépôts de leurs clients, n’empêche que les encours plombent les bilans bancaires et qu’il va bien falloir un jour que ça ressorte ! Toujours au travers de cette directive, les banques ont désormais obligation de coter chacun de leurs clients.

Il s’agit d’une note d’appréciation du risque en fonction de nombreux critères (antériorité, flux confiés, patrimoine global, confié ou disponible, incidents de fonctionnement, ponctualité des remboursements…). Cette cote va définir la marge de négociation commerciale que la banque définira dans sa stratégie de tarification, et surtout dans les crédits consentis. Bons profils, bons payeurs = bonnes conditions ! A ce jour, les banques bénéficient d’un sursis car l’inversion constatée de la courbe des taux permet des refinancements, ou des achats de contreparties, sur d’autres indices que les taux du marché monétaire, tout en réalisant au passage des profits.  En effet, les taux du marché obligataire sont chahutés aussi depuis quelques semaines, mais malgré tout moins que l’Euribor qui se cale sur les taux directeurs de la BCE. Du coup, les banques poursuivent leur action de conquête auprès d’une nouvelle clientèle en se donnant des marges de négociation commerciale larges.

Ce n’est pas du tout le cas des organismes financiers spécialisés qui encaissent de plein fouet la hausse du marché. Le Crédit Foncier, le CIF et sa filiale BPI, UCB, les filiales spécialisées des groupes BNP (BNP Invest Immo), Crédit Mutuel (BPE) et Caisses d’Epargne (Banque Palatine) se tirent les cheveux pour essayer de rester compétitifs malgré des taux révisables identiques voire parfois supérieurs aux taux fixes des Banques de réseau. Cette situation d’inversion ne devrait pas se pérenniser. D’une part parcequ’elle est économiquement une aberration; d’autre part parce qu’elle ne traduit pas la confiance générale dans la santé économique et sociale de l’Europe. L’avenir devrait donc être aux taux de marché, variables ou révisables, modulables, conditionnables, optionnables….

Bref, l’allongement de la dette dans la vie des ménages, son poids plus important, le recours quasi incontournable au crédit, devrait s’accompagner d’une prise en main de la gestion de leurs dettes par les emprunteurs.

La créativité va devenir incontournable

L’emprunteur va devoir gérer sa dette sur une bonne partie de sa vie. Cela signifie que le poids de sa dette va nécessiter de sa part une vraie gestion. Sans aller jusqu’au crédit « interest only » anglo-saxons (sorte de découvert permanent), il est évident que la souplesse sera le maître mot des offres à venir.

Les crédits devront permettre le changement de bien immobilier (revente pour mutation professionnelle, divorce, ou pour achat d’un autre bien), l’aménagement des remboursements en fonction des accidents de la vie (perte ou changement d’emploi, modification du type de rémunération, baisse du revenu global du foyer, affectation à d’autres investissements…), ou au contraire des évolutions de carrière (remboursements anticipés partiels). Déjà les options de modulation existent et sont proposées par certaines banques, mais elles sont encadrées et ne permettent que des options annuelles progressives.

La gestion du coût, donc du taux, sera aussi une donnée fondamentale puisque les encours porteront sur des durées de 40 à 50 ans, comme le permet la réforme sur les sûretés réelles, et seront en taux révisables. Là aussi, des banques, à ce jour exclusivement étrangères, proposent de figer les conditions par périodes de 5 ans (GE Money Bank, Kutxa banque, Micos Banca), sans, comme c’est le cas pour les banques nationales, n’avoir cette option qu’une seule fois et transformer le taux révisable en taux fixe. Car si les taux remontent depuis un peu plus d’un an, rien ne permet de juger ce qu’ils seront dans 50 ans.

Qui aurait parié sur des taux à 2,50% comme ceux connus fin 2005 tandis que nous étions dans les années 80 ? Le crédit va enfin devenir un service de notre vie quotidienne et non plus un acte réservé à un investissement important.

Bruno Rouleau

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