« Loi Duflot, l’enfer est toujours pavé de bonnes intentions », Jean-Luc Brulard, agent immobilier de proximité

Comment remettre la filière immobilière en route après les ravages de la loi Alur ? Les réponses- sans langue de bois, de Jean-Luc Brulard, agent immobilier de proximité, Chartered Surveyor, Diplômé de l’ESSEC et de l’ICH.

30 ans d’expérience de l’immobilier – plus 20 ans Bailleur Social, et même très social, et près de 10 comme agent immobilier de proximité – m’autorisent, je crois, à exprimer un point de vue et des propositions dans le domaine d’expertise qui est le mien.

Au plus près des gens, de toutes conditions, (confrontés à ce qui est pour la plupart, le projet de vie le plus important après la fondation de leur famille, ce qui génère autant de rêves, et d’ambitions que de craintes objectives et de peurs irrationnelles…) je suis incité par le constat que je fais de la situation actuelle, à m’exprimer sur la question du Logement dans notre beau pays.

Enfin, ma totale liberté de parole, n’étant tenu pas aucun parti ou autre obédience quelconque, me permet de le faire.

La loi Alur a ébranlé la filière immobilière

Depuis plus d’un an la loi ALUR – que pour ma part je préfère nommer loi DUFLOT, en souvenir de l’égérie du premier gouvernement Hollande-Ayrault – est venue ébranler la filière immobilière : 177 articles, 200 décrets d’application, une nouvelle illustration du choc de complexification, … malgré les tentatives empressées du Gouvernement Hollande II, de détricoter les mailles les plus incongrues du texte, l’encre initiale n’étant pas même encore sèche !

Le constat fait aujourd’hui par l’ensemble des acteurs est consternant : sur la forme, cette production législative est incompréhensible, car fort mal rédigée ( comme la Loi Pinel, etc…c’est devenu l’usage), complexe à mettre en œuvre sur le terrain, alimentant ainsi les peurs, les doutes ; sur le fonds, la filière immobilière a mis un genou à terre, la production de logements neufs marque le pas, nos amis notaires sont accablés, débordés, certains découragés…, les transactions sont retardées, juridiquement fragilisées (« trop d’information tue l’information », il manque toujours « un papier » pour concrétiser juridiquement l’accord sur la chose et sur le prix, les vendeurs, généralement eux-mêmes également acheteurs doivent différer leur nouveau projet dans l’attente de certitudes sur la réalisation de leur propre vente !)…

Plus grave : même si les « insiders » ( ceux qui ont déjà un logement, ou les moyens de l’acquérir ou le louer) sont de plus en plus protégés , les « outsiders », eux, sont encore plus lourdement confrontés, encore plus souvent exclus, de ce qui devrait être, dans un pays comme le nôtre, l’entrée digne dans un parcours résidentiel pour tous…

Par ailleurs, plus la jungle (juridique en l’espèce) est touffue, plus les prédateurs peuvent y sévir, plus leurs proies sont exposées, et plus les honnêtes opérateurs sont entravés dans leur mission au service du plus grand nombre… Car, il faut le reconnaître, il y a dans l’activité immobilière quelques voyous, … autant que dans la politique ou la banque (ce qui n’est pas peu dire, c’est vrai). C’est une activité humaine, avec ses faiblesses, comme toutes les autres…

J’estime avoir, pour ma part, accompli modestement mon devoir d’alerte, en interpellant le Législateur – publiquement, puis, à son invitation, en tête-à-tête à l’Assemblée Nationale, – Législateur représenté par les deux rapporteurs de la Loi Duflot, Monsieur le Député Golberg, et Madame la Députée Linkenheld. Le premier m’a répondu en substance, citant Clémenceau mais cette fois à l’encontre des professionnels de l’immobilier, que « la Guerre était chose trop grave pour la confier à des militaires », la seconde m’indiquant ne pas être triste, ni avoir honte, des conséquences rappelées plus haut… Je n’attendais rien d’autre du Politique d’aujourd’hui, arc-bouté sur ses certitudes, contraint par ses obligations de justification, et servi par sa casuistique. Mais je me devais, en conscience, d’exprimer les risques que tout professionnel digne de ce nom, pouvait aisément appréhender à l’égard de ce texte. Un devoir citoyen, pour pouvoir ensuite, en toute liberté, continuer à constater donc à contester et à critiquer.

Attention ! il ne s’agit pas de « jeter le bébé avec l’eau du bain » : aucun doute que l’Enfer d’aujourd’hui a été pavé, comme toujours, de bonnes intentions. Mais l’incompétence (juridique et pratique), le clientélisme et les petits compromis, ont fait leur œuvre…

Bien sûr des mesures telles que la suppression du COS et des surfaces minimum pour bâtir sont une bonne chose, pour améliorer l’utilisation du foncier (sauf dans les cas où les collectivités locales, s’empressent de réviser leur PLU pour contrecarrer la mesure, par des règles – notamment de gabarit – plus contraignantes…)… à condition de disposer d’un terrain ou que l’on a les moyens de l’acquérir.

Bien sûr, pertinente était l’idée d’offrir la possibilité de remonter la compétence d’urbanisme au niveau de l’intercommunalité pour soutenir les petites communes dans l’exercice de ce droit toujours plus complexe, …mais aussi pour éviter des comportements clientélistes de quelques édiles locaux, dignes de républiques bananières ( nous en connaissons tous !). Mais qu’est devenue l’intention originelle du Législateur sur ce point et, en conséquence, quels sont les évolutions à ce jour sur le terrain ?

5 pistes pour redresser la situation

Il y a urgence, sans alourdir encore l’édifice mais tout au contraire en le simplifiant, à remettre en route la filière immobilière, et ce faisant, à soutenir l’activité de construction. (« Quand le bâtiment va, tout va » disaient nos anciens dans leur sagesse…).

Force critique, je me dois donc d’être aussi force de proposition :

1 – Simplifier la Loi Duflot

Il est urgent de simplifier la Loi Duflot sur ses aspects les plus stupides -je pèse mes mots ! 6 kg d’annexes pour acquérir un emplacement de parking, une cave, et même un logement, est inutile, démagogique et surtout contreproductif. La prévention des copropriétés dégradées, objectif incontestable mais qui concerne une toute petite minorité de situations, ne saurait justifier d’aligner le cas général sur l’exception ! Inutile d’étudier le règlement de copropriété de 1952, et ses 15 avenants pour acheter un logement en toute sécurité dans la plupart des immeubles de France.

2 – Réduire le poids fiscal des transactions immobilières

pourquoi pénaliser l’ancien, par des droits de mutation à 5,5% (après, de surcroît, leur augmentation en 2014 !) plus élevés que dans le neuf, alors que, par définition, l’ancien concerne des foyers au budget plus limité, et que dans la majorité des cas, pour arriver à l’acquisition neuve, il faut avoir effectué préalablement une ou plusieurs étapes dans l’ancien. Aligner les droits de mutation sur le neuf – au-delà d’assurer simplicité et équité, c’est réaliser, immédiatement, une baisse de 5% du prix « acte en mains » pour tous les acquéreurs dans l’ancien ! (On pourrait pour les mêmes raisons, préconiser la ré-ouverture du Prêt à Taux Zéro, PTZ, dans l’ancien)

3 – Redonner confiance à l’investisseur immobilier « de base »

L’investisseur immobilier de base désigne ici Mr ou Mme Michu, qui veulent simplement acheter un petit logement locatif pour prévoir un complément de revenus à l’heure de la retraite, ou transmettre, le moment venu, le fruit de leur travail et de leur épargne à leurs enfants.  Le cycle de production immobilière est parmi les plus longs, il nécessite donc une visibilité sur le long terme pour s’engager ; les règles fiscales concernées doivent être « sanctuarisées » sur au moins 10 ans, par des engagements irrévocables. Les opérateurs ont ainsi le temps de les comprendre, de les maîtriser, et peuvent ainsi s’engager dans un projet immobilier.

Gagner en réactivité sur le traitement des expulsions des locataires de mauvaise foi (eh oui ! les voyous existent ici aussi, comme dans toutes activités humaines, et j’en ai vu quelques-uns sévir…). Ces cas, bien que rares, ont de telles conséquences financières et parfois psychologiques pour le bailleur personne physique, une telle portée dans l’inconscient collectif que les délais actuels de procédures constituent l’un des freins majeurs à l’investissement locatif du particulier, (qui préfère même parfois laisser un logement vide que de courir ce risque aussi minime soit-il : un logement vacant est un scandale dans une Société comme la nôtre). Les moyens actuels de recoupement des revenus et situations doivent permettre d’obtenir la qualification de mauvaise foi, la décision judiciaire et l’expulsion effective dans un délai maximum de 6 mois (ce n’est déjà pas mal) et ce, quelle que soit la saison.

4 – Mettre un terme au gaspillage de surface dans le neuf

Il convient de mettre un terme au gaspillage de surface dans les logements neufs, gaspillage généré notamment par l’obligation d’accessibilité de TOUS les logements neufs. Les règles de rayon de giration de fauteuil, font perdre l’équivalent de plusieurs logements dans chaque opération neuve (!)… Et les acteurs de terrain que nous sommes passons notre temps à répondre aux candidats-acquéreurs qui veulent être assurés de pouvoir redonner à leur WC, dès la livraison, la taille adaptée à leur besoin (sic), et non pas celle, systématique d’une salle de bains etc, etc… On marche littéralement sur la tête ! Il faut avoir le courage sortir de la démagogie (certains élus le reconnaissent bien volontiers,… mais en privé) de dire que le vrai combat, à la fois noble et réaliste, c’est de pouvoir offrir un logement adapté à chaque handicapé, et non pas de rendre chaque logement neuf accessible. A ce propos d’ailleurs, par quelle « magie » technocratique la notion de handicap s’est-elle traduite par un fauteuil roulant ? Un non-voyant n’est-il pas lui aussi handicapé, et gêné dans sa mobilité par des couloirs trop larges, des cloisons éloignées de ses mains… Doit-il acquérir un fauteuil roulant ? (!) Y-aurait’il une hiérarchie entre handicapé moteur, non voyant, personne âgée à mobilité réduite, etc, etc ?… Et le sort d’une femme seule avec 2 enfants, travailleur pauvre qui n’a pas accès au logement, véritable handicap, mais social cette fois, n’est de mon point de vue pas toujours plus enviable. Pour ma part, en tous cas, j’ai autant envie qu’elle trouve une solution-logement adaptée à sa situation…

5 – Supprimer l’ISF

Symbolique et bien clientéliste (donc qui osera ?), cette mesure fiscale est pourtant, sauf erreur, budgétairement inutile ou presque (rapport entre la recette et les coûts de recouvrement).

Mais c’est une mesure tellement décourageante pour investir dans l’immobilier… au point même que certains s’en vont, d’autres dissimulent …

Elle est surtout économiquement stupide : ce n’est pas le stock (le patrimoine immobilier) qu’il faut taxer, mais les flux (ventes immobilières), car c’est au moment des ventes que l’argent est disponible. Cela évitera également les situations iniques : par exemple, la famille de l’Ile de Ré, qui, malgré des revenus limités, se retrouve sanctionnée par l’ISF au motif de la flambée de ses terrains familiaux, et donc obligée de les vendre pour payer l’impôt !

Voici donc quelques pistes concrètes et, je le pense, efficaces…

Pour certaines gratuites, mais pour d’autres, c’est vrai, coûteuses, et le pays est exsangue à force de dépenses publiques excessives financées depuis 30 ans par l’emprunt et donc sur la tête de nos enfants …

2 pistes pour générer des recettes budgétaires

Même si la relance d’une véritable dynamique immobilière, le développement de la production neuve (TVA à 20%), des transactions dans l’ancien (Droits de mutation) génèrera immanquablement des rentrées fiscales significatives (dont l’IS et la TVA sur les opérateurs de l’immobilier et du bâtiment), de l’emploi durable et non délocalisable, celui-là !…, je m’efforce aussi de formuler des propositions réalistes et concrètes pour de nouvelles ressources budgétaires, au plan national et local. Elles nécessitent toutefois d’oser sortir de tabous sans doute bien entretenus.

1 – Taxer (modérément !) les plus-values sur revente de la résidence principale

Est-il normal que de constater par exemple dans l’Ouest Parisien et sur 10 ans, des plus-values de 500.000 euros (doublement du prix du bien sur la période) sur résidence principale, soit l’équivalent d’un revenu de 50.000 euros par an, soit 4.000 euros par mois,… sans aucun impôt, ni charges sociales, … ni CSG/RDS : qui dit mieux ? Pour ma part je connais quelques « familles » qui changent de résidences principale tous les trois ou 4 ans… et ce n’est pas pour cause de mobilité professionnelle (quand on déménage sur la même commune), ni de difficultés relationnelles avec leur nouvel environnement !

Soyons donc raisonnable :

Exonérons, comme aujourd’hui, de tout impôt sur la plus-value, une revente de résidence principale intervenant :

  • Au-delà de 7 ans,
  • Ou pour cause de motifs légitimes et sérieux (selon la liste déjà établie et reconnue dans de nombreux domaines),

Ce qui permettra de distinguer le « bon père de famille » du « spéculateur éclairé »

En-deçà des 7 ans :

Neutralisons néanmoins une plus-value non taxable à hauteur de 30% du prix d’achat, en respect du fruit du travail, de l’épargne et du risque pris par le vendeur,…

Mais taxons les 70% restants selon le même barème que pour les résidences secondaires (pour harmoniser et donc simplifier la compréhension par tous et d’ailleurs, à cette occasion, revenir sur ce régime désormais illisible et décourageant, depuis sa réforme par le gouvernement Sarkozy-Fillon en 2011).

2 – Fiscaliser les terrains devenant constructibles

La constructibilité d’un terrain est une prérogative de la puissance publique, de la collectivité locale. C’est la décision de rendre constructible un terrain qui entraîne une augmentation immédiate et exponentielle de sa valeur (entre la simple prairie et le terrain à bâtir, le rapport va de 1 … à 1.000 !). Pourquoi celui qui par chance, par héritage familial,… ou par spéculation sur des réserves foncières (assorties quelquefois d’influences contestables pour obtenir du Maire la constructibilité d’un terrain acquis auparavant à vil prix), pourquoi celui-ci devient, sans partage, millionnaire du jour au lendemain (j’ai là-aussi vécu quelques situations éclairantes).

Adoptons une règle simple : la décision de constructibilité émane de la Puissance Publique, donc la Collectivité, donc partageons en conséquence à 50/50 de la création de valeur générée par cette requalification : taxation à 50% sur la plus-value, mais là-encore au moment de la vente du terrain à bâtir, lorsque l’argent est disponible.

Cette mesure peut d’ailleurs être modulée pour inciter à vendre rapidement (taxation progressive) ou à un bailleur social …

Au passage, c’est aussi une incitation aux Maires, en quête, plus que jamais, de ressources supplémentaires, à ouvrir des terrains à l’urbanisation…

Telle est ma modeste contribution au débat, contribution bien entendu perfectible, sans doute critiquable. Mais il va bien falloir retirer le pied du frein, et même trouver des façons d’avancer, et vite : un choc d’accélération en quelque sorte ! C’est en tous cas l’expression d’un agent immobilier de proximité, fier de son métier, dont le propos est sans doute parfois brutal, j’en conviens : il est proportionné à mon indignation. ©byBazikPress

 

 

 

 

jda: