« L’agent immobilier et la fiscalité : faux spécialiste, vrai responsable », Aurélien Mallaret et Frantz Delahaie

L'agent immobilier a t-il une obligation de conseil fiscal ? Aurélien Mallaret, avocat fiscaliste et Frantz Delahaie, avocats contentieux font le point sur la question.

 

L’agent immobilier, un conseil fiscal ? Alors que les juges n’ont cessé d’étoffer la liste de vos obligations d’information et de conseil à l’égard des vendeurs et des acquéreurs d’un bien immobilier, se pose aujourd’hui la question de savoir si cette liste comprend aussi le traitement fiscal d’une transaction immobilière. L’analyse Aurélien Mallaret et Frantz Delahaie, avocats spécialisés dans le droit immobilier.

 

Les conséquences fiscales d’une opération immobilière…

Les juges ont toujours justifié la hausse exponentielle de vos devoirs de conseil et d’information au motif que vous étiez le spécialiste de l’entremise immobilière. Ils ont toutefois historiquement plutôt considéré que les conséquences fiscales d’une opération immobilière n’entraient pas dans votre domaine de compétence (notamment CA Paris, 16 avril 2008, n° 07-7938), à l’exception des cas où l’agent immobilier assumait un rôle d’intermédiaire en opération de défiscalisation.

Néanmoins cette position équilibrée est de plus en plus contestée, notamment par un arrêt de 2012 de la Cour d’appel de Rennes ayant estimé que « même s’il n’est pas un spécialiste du droit fiscal, l’agent immobilier doit informer ses clients des incidences fiscales des opérations qu’il négocie et notamment de la réglementation relative à la taxation des plus-values, qu’il rencontre de manière habituelle et récurrente dans sa pratique » (CA Rennes, 29 Novembre 2012, n° 09-06473).

… une nouvelle matière pour les agents immobiliers ?

La fiscalité pourrait-elle ainsi devenir une matière que vous devriez connaître en profondeur ? Avez-vous l’obligation de donner le traitement fiscal de la transaction ou devez-vous aussi donner des conseils visant à améliorer le traitement fiscal (comme accélérer ou retarder la transaction pour bénéficier d’un régime plus favorable) ? Aucune certitude n’existe en l’absence de position de la Cour de cassation. Aussi, en attendant, la prudence est de mise et il vous est vivement recommandé d’être particulièrement attentifs aux dossiers où existe une problématique fiscale avec de forts enjeux. Des précautions simples vous permettent d’ores et déjà d’identifier et de limiter le risque d’engagement de votre responsabilité professionnelle.

Attention à l’étude des problématiques fiscales

Tout d’abord, si cela est commercialement possible, vous pouvez tâcher d’exclure dans vos mandats l’étude des problématiques fiscales. Si une cour d’appel a déjà jugé que n’était pas responsable d’un manquement à son devoir de conseil l’agent immobilier ayant agi de la sorte (CA Rouen, 3 Décembre 2009 – n° 09/00150), une telle position devra être confirmée, ce type de clause pouvant être potentiellement considérée comme abusive.

Dans les autres cas, vous pouvez éviter la mise en jeu de votre responsabilité en faisant valoir que votre client n’a subi aucune perte de chance de renoncer à son projet, le seul préjudice dont il peut obtenir réparation. Pour calculer le montant de cette chance, les juges multiplient une base (le montant d’impôts que le client ne pensait pas devoir régler) par la probabilité que le client ait renoncé à son projet s’il avait eu pleine connaissance des implications fiscales de son acte. Pour diminuer le coût d’une mise en cause de la responsabilité civile professionnelle, il est nécessaire d’agir soit sur la base, soit sur la probabilité. Diminuer la base de risque implique une vérification plus importante des transactions. La vérification fiscale de chaque dossier d’une agence immobilière n’étant ni économique ni nécessaire, les transactions complexes ou à fort en enjeu devront être revues en priorité et notamment :

  • Les transactions à fort enjeu où est demandé le bénéfice d’une exonération de plus-value ;
  • Les transactions portant sur un bien à restructurer/démolir-reconstruire ;
  • Les transactions portant sur un bien détenu par une entreprise ou utilisé dans le cadre d’une activité professionnelle ;
  • Tous les investissements défiscalisant ;

Le second facteur du risque est la perte de chance. Pour agir sur ce risque, l’agent immobilier doit disposer d’éléments indiquant que même si son client avait eu connaissance de toutes les implications fiscales de son acte, il n’aurait pas renoncé à son projet. Des juges ont ainsi déjà déduit d’échanges entre un agent immobilier et son client indiquant que le projet de vente était urgent que la probabilité que le client ait renoncé à son projet était égale à zéro : l’agent immobilier n’a par conséquent pas vu sa responsabilité engagée (CA Metz, 21 Juin 2007, 07-00518).

Alors que le traitement fiscal des transactions immobilières reposait historiquement sur le notaire, la jurisprudence a aujourd’hui tendance à vous reconnaitre comme un conseil au rôle de plus en plus important. Jusqu’à ce que votre rôle d’agent immobilier en matière fiscale soit clarifié par la Cour de Cassation, on ne peut que vous recommander de vérifier attentivement en priorité les transactions complexes et/ou à fort enjeu, de mieux connaître encore les projets de vos clients et de vous faire assister en cas de doute par un professionnel du droit.

 

Frantz Delahaie est avocat contentieux au barreau de Paris depuis cinq ans. Il a créé son propre cabinet depuis juin 2016, il est actif en droit immobilier et droit commercial et intervient pour défendre ses clients devant les juridictions civiles et commerciales.

 

 

Aurélien Mallaret est avocat fiscaliste à Paris depuis six ans. Il assiste les entreprises et les particuliers en matière fiscale tant en conseil qu’en contentieux. Il a une pratique régulière des problématiques fiscales immobilières.

 

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