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« Quel avenir pour l’agence physique ? », Nathalie Gardes Enseignante chercheuse à l’Université de Bordeaux

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Les grands acteurs du commerce en ligne conjuguent le on et le off line. Vive l’agence phygitale au service du client !

photo : agence phygitale 2 Journal de l'agence

Alors que la montée en puissance des modèles pure player et du e-commerce conduit certains à prédire la mort des points de vente physiques, comment comprendre l’ouverture récente de magasins, agences, boutiques ou ateliers par les acteurs majeurs du commerce en ligne tels que Amazon, ING direct, Zalando, made.com, et, pour le secteur qui nous intéresse, Capifrance ?

Le point de vente physique aurait-il des atouts que ne saurait délivrer totalement le on line ? Moins opposés que complémentaires les on et off line semblent devoir se penser en synergie et donc en cohérence. C’est dans cet esprit que les grands réseaux s’engagent car, en parallèle de leur révolution digitale, ils maintiennent une volonté affirmée de conserver un modèle omnicanal tenant pour essentiel le contact réel avec le client au sein de l’agence. Le tout digital qui semble séduire nombre d’acteurs pourrait en effet ne pas être aussi déterminant. Lieu de la rencontre et de la proximité avec le client, l’agence est aussi l’espace de la personnalisation, de la relation et de l’expérience de consommation.

L’importance de l’expérience de consommation

Cela fait plusieurs décennies maintenant que se répand l’idée selon laquelle l’origine de la valeur pour les consommateurs ne réside pas seulement dans les qualités des produits/services ou dans la marque et ses valeurs symboliques, mais dans leur usage même. Théorisée par Holbrook et Hirchman en 1982(1), l’expérience de consommation est considérée pour une entreprise de service comme le résultat des interactions entre l’entreprise (personnel en contact, environnement) et ses clients.  Sa valeur est intimement liée aux émotions et aux sentiments qu’elle suscite lors de la consommation et qui vont façonner les attitudes (pensées) d’un client à l’égard d’une marque, notamment sa satisfaction et son attachement.

Créer une expérience est d’autant plus important qu’aujourd’hui, l’avantage concurrentiel dépend moins de la qualité du service rendu que de la valeur que l’entreprise est capable de générer pour le client. Si la qualité est un prérequis, celle-ci ne représente plus un facteur différenciateur suffisant. Seule la démarche expérientielle constitue un refuge contre la banalisation de  l’offre. Il est donc nécessaire de penser l’expérience client et, sur ce point, l’agence en est un levier essentiel. Conscient de cet enjeu, différents réseaux et agences indépendantes se sont engagés récemment dans une  modernisation de leurs points de vente. Leurs nouveaux concepts annoncent la création d’une expérience immobilière inédite. Univers chaleureux et décloisonné, l’agence nouvelle génération gagne en transparence et s’adapte aux nouvelles attentes et modes de vie. Espace café qui cultive l’esprit lounge, self-service et expérience immersive, l’agence est aujourd’hui conçue comme un lieu de vie.

L’expérience phygitale : offrir au client le meilleur des deux mondes

Bien que l’expérience esthétique et émotionnelle puisse se penser on line, à travers le design des sites et le style de communication sur les réseaux sociaux des enseignes, le point de vente physique offre des cadres d’expériences plus riches. Par la mobilisation des cinq sens, la « serviscène »(2) (ambiance, équipement, décor du point de vente) peut servir une logique de réenchantement dont l’intérêt pour attirer le client est incontestable. La stimulation sensorielle, émotionnelle et affective du client participe à son plaisir et répond à des besoins psychologiques. On notera que penser l’expérience du consommateur va au-delà de la prise en compte de sa satisfaction : il s’agit d’assurer qu’à l’occasion de chaque rencontre de service, le plaisir du client soit plus intense et son effort plus léger.

Si l’atmosphère du point de vente (design, température, musique, odeur), ainsi que l’interface de service (personne en contact) sont des éléments structurant de l’expérience du consommateur, les technologies numériques offrent un potentiel important d’enrichissement de cette dernière. Elles permettent en effet d’inventer et d’implémenter des cadres d’expérience novateurs et pertinents, mémorables et plaisants, à même de définir une proposition de valeur client originale. Comment ?

  1. En réduisant le niveau d’effort et les sources d’irritations du client (prises de rendez-vous en ligne, serrures intelligentes…).
  2. En simplifiant son parcours d’achat (visite virtuelle, état des lieux numériques…) et en répondant à son désir d’autonomie (self service).
  3. En lui faisant vivre des expériences immersives et des stimulations plurisensorielles directes (écran plasma, 3D immersive), sources de plaisir.
  4. En induisant des dynamiques relationnelles (interactions sur les réseaux sociaux, communication story-telling) susceptibles de satisfaire son désir de lien.

Le couplage virtuel-réel est en mesure de capter l’attention du client et de se différencier si les conditions de l’interaction avec le digital sont bien pensées. La boutique phygitale nécessitera une redéfinition des rôles de chacun.

L’agence est morte , vive l’agence !

Bien que mises à mal par les nouveaux acteurs entrant sur le marché immobilier, les agences classiques semblent pouvoir résister, à condition d’adopter un nouveau modèle de boutique immobilière. La confiance, la sécurité mais aussi le contact humain restent fondamentaux. L’agence en est le point d’ancrage.

En effet, en raison de l’immatérialité du service, le consommateur s’appuie sur les signes à sa disposition pour en évaluer sa performance. Lieu de la rencontre avec le client, l’agence véhicule des preuves « physiques » du service. Elle est donc un indicateur essentiel de la qualité et de la confiance dans le prestataire. Elle est en sus le lieu privilégié de l’expérience du client.

Le point de vente physique demeure ainsi un atout essentiel, sous réserve toutefois que l’on garantisse au client une expérience à valeur ajoutée à la fois technologique, hédonique et relationnelle. Avec le déploiement de points de contact virtuels, les attentes  relationnelles en agence sont renforcées. Le client, désormais très bien renseigné, est en quête à la fois d’une plus grande efficacité et expertise mais aussi d’une plus grande écoute et empathie. Seuls, l’authenticité et le customer care, à travers une articulation digitale et humaine, seront en mesure de construire des connections émotionnelles et de nouvelles formes de proximités pour une expérience inédite. Il convient avant tout de renouer avec la notion de service client, véritable nerf de la guerre, pour reprendre l’expression d’Hervé Parent(3), et de ne pas oublier que le lien social dans la relation de service est aussi un outil de fidélisation.

L’agence de demain devra être transparente, ouverte, multiservice, multi-expert, connectée (aux clients, à la communauté, aux partenaires, aux objets), agile (services sur mobile), sociale (espace café et lieu de vie), digitale (écrans tactiles, tablettes).

Au-delà de l’expérience, la performance

L’enjeu de l’expérience de consommation pour les enseignes immobilières dépasse ce que vivent les individus. Au-delà de la mise en scène et de l’entrelacement numérique que l’on peut y associer, proposer une valeur phygitale est source de performance. Si sa légitimité est mise en cause, notamment par le coût important qu’elle génère, la question est davantage celle d’une redéfinition de son rôle et de sa fonction que de sa disparition. Levier essentiel de l’expérience du client, l’agence peut être l’élément clé d’une proposition de valeur différenciée et de la performance d’une agence.

 

(1) « The Experiential Aspects of Consumption : Consumer Fantasy, Feelings and Fun », M.B. Holbrook et E.C. Hirschman, Journal of Consumer Research, vol. 9, n° 2, 1982, pp.132-140.
(2) « Marketing strategies and organisation structures for service fi rms », B.H. Booms et M.J. Bitner, 1981, in J. Donnelly and W. R. George, Marketing of Services. Chicago, IL: American Marketing Association.
(3) https://www.journaldelagence.com/1122019-le-client-au-coeur-de-inman-connect-2016

Nathalie Gardes

Nathalie Gardes est Enseignante chercheuse à l’Université de Bordeaux, elle est titulaire d’un doctorat et d’une habilitation à diriger des recherches.
Elle publie dans différentes revues scientifiques en marketing stratégique.

Responsable de la licence professionnelle métiers de l’immobilier option transaction et commercialisation de biens immobiliers à l’IUT de Bordeaux, elle dispense des cours en stratégie et marketing immobilier.

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Vos réactions
  • Par FAUVEL, il y a 6 années

    Bonjour,
    On peut parler de « phygitale », nouveau joujou de communication, comme l’exprime Nathalie Gardes ! Mais une fois de plus, on reste sur sa faim. Si nous parlons business. Alors cette ambivalence ne nourrit pas forcément les bonnes personnes et laisse place aux lobbyistes de tout bord puisque nous sommes sur une nouvelle définition d’un mieux-vivre.
    STOP – Les faits, rien que les faits…
    Comme le dit très bien la sociologue, Lise Bernard (chercheur au CNRS) dans son livre « La Précarité en col blanc », les idées reçues sur les agents immobiliers ne reflètent pas réellement leur quotidien. Elles sont en inadéquations avec la réalité.
    Cette réalité est pourtant bien identifiée : commissions des collaborateurs, inadaptations de ces commissions à l’organisation d’une agence actuelle, manque cruel de savoir-faire des professionnels, contre-attaque des agents immobiliers via les notaires en pleine évolution commerciale, domination financière des portails sur nos entreprises…
    N’oublions pas ! Il existe un nombre trop important d’agents immobiliers qui quittent la profession rapidement car ils n’arrivent pas à gagner leur vie.
    Concrètement faire de l’immobilier, c’est quoi pour moi !
    Pour le client : c’est qu’il réalise son rêve, vendre ou acheter dans les meilleures conditions, avec un cahier des charges objectifs.
    Pour les collaborateurs : c’est avant tout les mettre en situation de réussite. Servir les intérêts « vendeur-acquéreur » sur leur projet immobilier ; et pour cela, le GROUPE, le réseau doit lui apporter, services, formations, suivis et accompagnements probants et leurs ouvrir des perspectives de stabilités financières.
    Cette belle réussite suscitera les émotions et sentiments que prône Nathalie Gardes, que cela viennent du client, de l’eXpert ou de sa famille.
    Une « RÉ VO LU TI ON » de l’immobilier est peut-être en marche. Cependant, je partage l’idée d’un pôle immobilier départemental, représentatif d’un GROUPE ou d’un réseau, encore faut-il qu’il symbolise les vraies valeurs de celui-ci ?
    Construire son chemin, sa notoriété, son mieux-vivre, c’est la pensée unique que je viens de suivre, pas d’agences mais m’orienter vers un pôle départemental, rémunération à 70% du CA pour les collaborateurs, un équilibre entre « droits et devoirs, connaissances et savoir-être au sommet de la relation client ».
    Didier FAUVEL – Dirigeant AQUIMMOVNI
    « Professionnalisme et services haut de gamme accessibles »

  • Par BAS Claude, il y a 6 années

    Bonjour,
    Nathalie a écrit un article bien sympathique qui ménage la chèvre et le chou. Je peux le comprendre eu égard aux lecteurs du journal de l’agence. Belle idée mais elle ne règle pas les problèmes économiques y liés. L’équation à résoudre reste la rémunération des négociateurs sur une base de 70% de leur CA, le budget de communication qui grimpe à une vitesse vertigineuse obligeant quel que soit le modèle de demain de réaliser minimum 1 million d’€ de CA par structure départementale.
    Attention aux théories stratégiques qui ne sont pas toujours le reflet d’une réalité.
    Chacun doit choisir sa route, elles sont nombreuses, oui à un bureau départemental qualitatif type équipement d’une maison pour créer une ambiance confortable sous condition de disposer de 20 à 50 collaborateurs producteurs dans le département.
    Beaucoup d’autres problèmes sont aussi à régler, nous concernant il nous aura fallu 7 ans de R&D pour trouver le parfait équilibre entre les besoins ou attentes clients et équilibre économique pour que collaborateurs et dirigeants départementaux y trouvent une assise financière très correcte.
    Il n’y aura pas de place pour tous, dans les années à venir à un nombre important de fermeture d’agences physiques est à concevoir.
    Groupe C&C Bas
    MUST Agency
    4% immobilier
    Low Cost Immobilier

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