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« La servitude, un devoir d’information », Caroline THEUIL juriste-rédacteur, expert immobilier

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Un acheteur peut demander l’annulation de la vente si l’agent immobilier ne l’a pas instruit de l’existence d’une servitude.

photo : la servitude

Outre son devoir de conseil, l’agent immobilier doit s’assurer de la régularité des transactions qu’il mène, transmettre aux futurs acquéreurs les informations concernant le bien, et notamment l’éventuelle existence de servitudes, sous peine de voir sa responsabilité engagée. Même si le sujet reste complexe, il importe de savoir reconnaître et informer sur l’existence de servitudes « simples ». Bien sûr, l’agent immobilier n’est pas un juriste spécialisé et, en cela, il reste difficile et délicat d’engager sa responsabilité. En revanche, il ne pourra s’y soustraire s’il est évident que ses connaissances sont lacunaires sur des fondamentaux inhérents à son métier.

La notion de servitude

L’article 637 du Code civil définit la notion de servitude comme « une charge imposée sur un héritage [immeuble] pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire ». L’article 686 vient préciser que si les propriétaires sont libres d’établir sur leurs propriétés des servitudes comme bon leur semble, c’est à la condition que « les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds ».

La servitude concerne des fonds appartenant à des propriétaires différents. Elle suppose en effet l’existence d’au moins deux fonds que l’on appelle le « fonds servant » et le « fonds dominant ». La seule exception en la matière est la « servitude d’utilité publique » qui, elle, ne met pas nécessairement en relation un fonds servant et un fonds dominant. Nous ne développerons que le thème des servitudes de droit privé, le sujet des servitudes d’utilité  publique  étant également vaste.

Le fonds servant supporte une charge réelle qui se traduit par une amputation des droits du propriétaire. Cette amputation pèse sur un fonds et non sur un propriétaire. À ce titre, la servitude présente un « caractère réel ». De ce fait, elle suit le bien en quelque mains qu’il se trouve et pèse sur tous les propriétaires présents et à venir du fonds servant. Parce qu’elle est inséparable des fonds, elle en est l’accessoire et, de ce fait, ne peut ni être cédée, ni être hypothéquée, ni être saisie indépendamment du fonds servant.

La servitude doit enfin être utile au fonds dominant et non à son propriétaire, mais, inversement la « perte d’utilité » n’entraîne pas nécessairement l’extinction de la servitude. En effet, la jurisprudence fait une application stricte des causes d’extinction des servitudes telles que le prévoit la législation.

Cause d’extinction des servitudes

Dès lors que la servitude est attachée aux fonds et non au propriétaire, le décès de celui-ci est sans effet sur la servitude. La servitude a donc en quelque sorte un caractère perpétuel. Ce caractère perpétuel reste toutefois limité puisque les servitudes peuvent disparaître pour certaines causes qui relèvent d’une part, du droit commun, comme les extinctions volontaires (les parties peuvent prévoir une servitude temporaire et l’arrivée du terme met fin à la servitude), tandis que d’autres sont expressément prévues aux articles 703 à 710 du Code civil. On citera par exemple l’impossibilité d’exercer la servitude (article 703) : « Les servitudes cessent lorsque les choses se trouvent en tel état qu’on ne peut plus en user », ou sa non-utilisation pendant trente ans. C’est ce que l’on appelle le cas d’extinction par prescription (article 706). Il semble intéressant de citer également l’extinction par consolidation, c’est-à-dire quand le fonds servant et le fonds dominant se retrouvent dans le même patrimoine (article 705).

Classification des servitudes

L’article 639 du Code civil permet d’opérer une classification des différentes servitudes en trois catégories : les servitudes légales établies par la loi ; les servitudes naturelles correspondant à la situation du lieu ; les servitudes du fait de l’homme qui résultent de la volonté des propriétaires, soit au travers d’un acte juridique, soit par possession prolongée, soit par « destination du bon père de famille ».

La législation distingue les servitudes continues qui ne nécessitent pas d’intervention humaine et les servitudes discontinues qui,elles, nécessitent l’intervention humaine. De même, il existe des servitudes apparentes (visibles par des signes extérieurs) et des servitudes non apparentes que l’on appelle également occultes (non visibles).

Opposabilité aux tiers des servitudes

La servitude est par principe opposable aux tiers, c’est-à-dire que tout le monde doit la respecter. L’opposabilité de la servitude impose néanmoins l’accomplissement de certaines formalités, telles que la publicité foncière ou l’indication dans l’acte de vente. Le fait de réaliser ces formalités permet de rendre l’information accessible à tous.

Les servitudes du fait de l’homme

On serait donc en droit de supposer que les servitudes non publiées sont par principe inopposables aux tiers. Il n’en est au final rien puisque ce principe connaît des limites, qu’il s’agisse d’une servitude légale ou naturelle, ou d’une servitude du fait de l’homme.

Les servitudes du fait de l’homme ne sont opposables aux tiers que si elles sont mentionnées dans le titre de propriété ou si elles ont fait l’objet d’une publicité foncière (une convention de création de servitude par exemple). L’acquéreur d’un fonds grevé par un tel type de servitude est d’ailleurs protégé par la législation qui lui accorde une garantie particulière en imposant que la servitude soit mentionnée a minima dans l’acte de vente. Ainsi, dans le cas où l’acte de vente ne mentionne pas l’existence sur le fonds servant d’une servitude non apparente et que celle-ci est de nature à avoir une incidence importante sur l’usage du bien, l’acquéreur a la possibilité de solliciter la résiliation de la vente ou une indemnisation auprès du vendeur. Il importe donc au professionnel de l’immobilier, notamment dans son rôle de conseil, de vérifier en amont de toute vente la présence éventuelle de ce type de servitudes.

Les servitudes apparentes

Précisons encore que la garantie offerte par le législateur est exclue pour les servitudes apparentes qui, selon l’article 689 du Code civil, « sont celles qui s’annoncent par des ouvrages extérieurs, tels qu’une porte, une fenêtre, un aqueduc ».

Dans le cas de l’aqueduc, il est bien évident que chacun mesure les répercutions d’un tel ouvrage dans son jardin. Mais pour quelqu’un de non professionnel, la servitude de vue, que génère par exemple la présence d’une fenêtre sur un pignon, doit être soulignée, et c’est au professionnel de l’immobilier, dans son rôle de conseil, de le faire.

Gardons ainsi à l’esprit que, lorsque la servitude n’est pas mentionnée dans l’acte de vente mais que l’acquéreur en a eu connaissance avant la signature de la vente – ce que l’on peut démontrer de manière certaine (pensez à le mentionner dans vos pré-contrats de vente) –, il est présumé l’avoir acceptée et ne peut en aucun cas se prévaloir de la garantie offerte par l’article 738 du Code civil.

Les servitudes légales

S’agissant des « servitudes légales » l’affaire se corse : l’absence de publicité foncière d’une servitude légale ne constitue pas en principe une cause d’inopposabilité à l’égard des tiers, sauf si elle constitue une charge exceptionnelle. « Nul n’est censé ignorer la loi ». Le simple fait que les servitudes légales soient transcrites dans la loi implique que l’acquéreur ne pouvait l’ignorer. Oui et non… L’acquéreur qui passe par un professionnel de l’immobilier et qui est alors, par la loi, considéré comme un non-sachant, pourra aisément démontrer que le professionnel n’a pas tenu son rôle de conseil. Il s’avère donc primordial de se garantir contre ce genre de mésaventures.

 

Caroline THEUIL

Caroline Theuil
Juriste, expert en évaluation et médiatrice judiciaire et conventionnelle

Titulaire d'un double master en droit, Caroline THEUIL est avant tout spécialiste des contrats immobiliers : elle dispose d'une expertise de près de 10 ans en la matière notamment auprès des personnes publiques. Elle pratique par ailleurs l'évaluation immobilière avec la particularité d'avoir une expérience, et donc une approche, à la fois fiscale et privée de la matière. Éprouvée par la dureté des contentieux, elle s'est instinctivement orientée vers l'apaisement des relations humaines. Médiatrice, elle participe ainsi aujourd'hui activement à la prévention des différends et à la résolution amiable des situations conflictuelles, que celles-ci apparaissent dans un cadre privé ou en entreprise. Forte de cette richesse professionnelle, elle est chargée d'enseignement universitaire, et forme, partout en France, des professionnels de tous horizons.

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Vos réactions
  • Par Claudine BEDESTROFFER, il y a 4 années

    Mandataire conseil en Immobilier pour un groupe national reconnu, j’ai apprecié le contenu de l’article sur **la(les) servitude(s), élément souvent pertubants dans les prémices d’une négociation , et trop souvent, à peine évoquées par les propriétaires Vendeurs…

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