« Indéfinissable vétusté », Caroline THEUIL

S'il est bien une chose difficile à déterminer en immobilier, c'est le taux de vétusté d'un bâti. Le concept est en lui-même plutôt facilement accessible, mais au moment de décider d'un chiffre et de le justifier, l'exercice se complexifie. Revue de détails par Caroline Theuil.

Définition

Afin de comprendre parfaitement de quoi il s’agit, commençons par définir la notion de vétusté. D’une manière générale, la vétusté est l’état de détérioration produit par le temps sur un bien, meuble ou immeuble. En d’autres termes, parler de vétusté, c’est avoir conscience que la valeur d’un bien se déprécie dans le temps.

Les premiers à avoir parfaitement intégré ce concept sont les assureurs. En effet, dès 1976, le monde des assurances s’est rangé légalement derrière l’idée selon laquelle l’indemnité due par l’assureur à l’assuré ne peut dépasser le montant de la valeur de la chose assurée au moment du sinistre (article L121-1 Code des assurances).

Selon le même raisonnement, en immobilier, la vétusté représente la moins-value réelle d’un immeuble depuis sa construction en fonction du temps qui s’est écoulé et de son état d’entretien. Apparaît ici clairement la notion de longévité. Or, cette longévité est variable et dépend principalement de la nature et de la qualité des matériaux (une maison en bois traversera différemment les âges qu’une maison en pierre), mais également de la qualité de l’exécution du bâti.

Ceci étant établi, différentes méthodologies de calcul ont été élaborées, le monde de l’immobilier ne disposant pas des tableaux auxquels les assureurs recourent allègrement en matière de meubles. Soulignons à ce propos que depuis la loi Alur, si prometteuse en la matière, plusieurs acteurs de l’immobilier se sont penchés sur la question en élaborant des grilles de vétusté (intérieure) à adosser à nos chers états des lieux. Reste que le gros œuvre n’y est absolument pas abordé et que ces grilles sont basées uniquement sur le critère de l’âge, sans considérer la qualité d’entretien.

Détermination de la vétusté

Au-delà de l’évaluation au « doigt mouillé », qui relève plutôt du domaine de l’aléatoire, plusieurs approches ont été élaborées afin de définir un coefficient de vétusté réellement identifiable. J’ai choisi d’en expliquer trois pour leur pertinence sans que ces méthodologies soient toutefois irréprochables :

1) Approche globale :

Par principe, la durée de vie normale d’une construction est de 100 ans. Ce constat nous permet d’établir une vétusté théorique d’1 % par an. En d’autres termes, une maison de 30 ans d’âge admet une dépréciation générale de 30% dont 10% seraient incompressibles, représentant la dépréciation immédiate au jour de la remise des clés.

Or, ne considérer que la notion d’âge est erroné. En effet, comme nous le soulignions précédemment, il importe de s’attacher également à la notion d’entretien. Afin de la prendre en compte, il est préconisé d’appliquer à ce taux de vétusté annuel théorique de 1%, un coefficient de modération variant en fonction de l’entretien du bien. Ainsi, un bien dont l’entretien est excellent admettra un coefficient de pondération de 0,1, 0,3, pour un très bon entretien, 0,5 pour un bon entretien, 0,7 pour un entretien moyen, 0,9 pour un entretien médiocre, 1,5 pour un mauvais entretien et 2 pour un bien laissé à l’abandon.

La limite de cette méthode, nous en conviendrons, est qu’il nous faut avoir une parfaite connaissance de l’historique de la vie du bien, une courte période de mise en location, un propriétaire peu soigneux, une vacance temporaire,… venant peser sur le coefficient de modération.

2) Approche corps d’état par corps d’état :

Chacun y consentira, un bâti peut se décomposer corps d’état par corps d’état, chaque élément de construction n’occupant pas proportionnellement la même place au sein du bâti, et par ailleurs, ne vieillissant pas à la même vitesse. Ainsi, distingue-t-on les différents postes du gros œuvre et ceux du second œuvre afin de leur appliquer une valeur proportionnelle à leur importance dans la construction. Il convient ensuite de déterminer le taux de vétusté propre à chaque poste (colonne bleue) en fonction de sa durée de vie, puis de convertir ce taux en fonction de la valeur occupée par chaque élément dans la construction (dernière colonne). Il suffit alors d’en déduire un taux de vétusté global (case rouge).


Prenons un exemple simple : des fenêtres en bois de qualité, entretenues régulièrement (1 fois tous les 10 ans au minimum), pourront prétendre à une durée de vie d’une quarantaine d’années. Si mon bâti a 30 ans, le taux de vétusté des fenêtres s’évalue à environ 75%. Mais, si je me rapporte à mon tableau, les fenêtres ne représentent que 4,5% du bâti, soit un taux de vétusté proportionnel de 3,38%. Il convient de réaliser l’opération pour chaque élément afin d’en tirer un taux de vétusté global (somme de tous les taux de vétusté proportionnels).

3) Approche par critère :

Lorsque nous avons défini la notion de vétusté, nous avons établi que la dépréciation d’un bien dépend de sa longévité certes, mais également de l’usage que l’on en fait et de l’entretien qu’on apporte au bâti. De manière plus précise, cet entretien s’entend en termes de qualité et de fréquence. On peut ainsi relever quatre critères majeurs dans la définition du coefficient de vétusté. Et c’est ce que nous propose la méthodologie de M. Doyen, qui définit quatre taux de vétusté, l’un en fonction de l’âge, les autres en fonction de l’usage, de la qualité et de la fréquence d’entretien. Une fois obtenus, il convient d’établir une moyenne de ces taux pour en déduire un taux de vétusté global.

 

Source : Guide de l’expertise immobilière (M. DOYEN – 1984)

Reprenons par exemple une maison de 40 ans. A la lecture du graphique, le taux de vétusté en raison de l’âge du bien s’établit à 15% (taux de vétusté moyen). Admettons que cette maison a été mise en location durant de nombreuses années. Nous en déduisons un usage intensif et par suite un taux de vétusté de 25%. S’agissant d’un bien locatif, la fréquence et la qualité d’entretien se sont révélés respectivement espacé et médiocre, soit l’application d’un double taux de vétusté de 30%. En faisant la moyenne de ces quatre taux de vétusté ([15+25+30+30]/4 = 25%), on pourra déduire un taux de vétusté maximale de 25%.

Pour conclure…

Après ces quelques apports méthodologiques, la notion de vétusté reste délicate à appréhender et n’admet finalement qu’une seule règle d’or : objectivité et discernement. A cette règle, certains répondent par une approche différente, celle de l’enveloppe travaux en lieu et place de la détermination d’un coefficient de vétusté. Mais attention la vétusté n’est pas seulement une question de dépréciation en raison de la longévité d’un bien. Désormais l’obsolescence boostée par l’innovation, notamment des matériaux et des procédés de construction, s’installe plus vite que la vétusté à tel point que certains éléments peuvent être obsolètes, mais finalement pas vétustes

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Caroline THEUIL: Caroline Theuil Juriste, expert en évaluation et médiatrice judiciaire et conventionnelle Titulaire d'un double master en droit, Caroline THEUIL est avant tout spécialiste des contrats immobiliers : elle dispose d'une expertise de près de 10 ans en la matière notamment auprès des personnes publiques. Elle pratique par ailleurs l'évaluation immobilière avec la particularité d'avoir une expérience, et donc une approche, à la fois fiscale et privée de la matière. Éprouvée par la dureté des contentieux, elle s'est instinctivement orientée vers l'apaisement des relations humaines. Médiatrice, elle participe ainsi aujourd'hui activement à la prévention des différends et à la résolution amiable des situations conflictuelles, que celles-ci apparaissent dans un cadre privé ou en entreprise. Forte de cette richesse professionnelle, elle est chargée d'enseignement universitaire, et forme, partout en France, des professionnels de tous horizons.