« Proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite : poudre aux yeux ou premier pas ? », Maitre Alain COHEN-BOULAKIA, SVA Avocats

La médiatisation de cas de logements squattés en dépit de décisions de justice ordonnant l’expulsion des occupants a conduit deux députés de la majorité, Aurore BERGÉ et Guillaume KASBARIAN à la rédaction d’une proposition de loi déposée le 18 octobre 2022 qu’ils défendront prochainement…

On saluera une démarche qui va dans le bon sens et qui tend vers un rééquilibrage entre les droits et obligations des propriétaires d’une part et d’autre part des locataires défaillants. Les mesures proposées sont-elles efficaces et suffisantes ? L’état ne doit-il pas faire preuve davantage de courage pour s’attaquer au véritable problème : l’inexécution des décisions de justice ?

La plupart des propriétaires bailleurs français ne détient qu’un seul logement, et pour un tiers d’entre eux, il s’agit de retraités pour qui le logement constitue un complément de revenus indispensable compte-tenu du faible niveau des pensions de retraite.

Prenant acte que, face à un locataire défaillant, « l’injustice peut aussi être celle du propriétaire qui voit son bien occupé par un locataire qui ne paie plus son loyer, refuse de se plier aux obligations prévues dans son contrat de bail qu’il a signé, et refuse de partir, avant de devoir lutter pendant des mois et des années pour récupérer son bien, en essuyant souvent au passage des pertes financières considérables » la proposition de loi n°360 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite, contient certes des dispositions judicieuses et opportunes. Par exemple, la qualification de « squat » est davantage précisée ; le mécanisme pernicieux qui permettait une imbrication entre les procédures de surendettement et les procédures d’expulsion est supprimée et certains délais raccourcis… Il s’agit cependant de « mesurettes », en attendant une réflexion globale et nécessaire portant sur le statut de bailleur privé.

La seule véritable nouveauté consiste à proposer la création d’un délit « d’occupation frauduleuse du logement d’un tiers ».

Il est proposé l’instauration de l’article 315-1 du Code Pénal, lequel prévoirait :

« L’occupation sans droit ni titre d’un logement appartenant à un tiers, lorsqu’elle se fait en violation d’une décision de justice définitive et exécutoire, ayant donné lieu à un commandement régulier de quitter les lieux, est puni de 6 mois d’emprisonnement et 7 500€ d’amende »

Il s’agit ici de venir sanctionner, pénalement, le justiciable qui refuse d’exécuter une décision de justice d’expulsion. Le délit est constitué dès lors qu’une décision de justice est intervenue et qu’un commandement de quitter les lieux a été notifié, même en l’absence de réquisition de la force publique…

Le droit au logement est un droit fondamental qu’il convient de préserver. Il ne saurait être question de faire supporter la crise du logement par les locataires. Mais on ne résoudra cette crise qu’en encourageant les propriétaires à consentir des locations de longue durée (aucune loi ne viendra palier la carence de l’état). La recherche de l’équilibre ne passe pas par la gestion, par la loi, de situations conflictuelles marginales. Les intérêts des bailleurs et des locataires doivent pouvoir converger dès lors que la bonne foi est de mise.

Or telle est en définitive la « genèse » du nouvel article L315-1 du Code Pénal si la proposition de loi fait mouche.

La plupart des situations dans lesquelles on relève un déséquilibre trop important entre droits d’un propriétaire et droits d’un occupant sans droit ni titre a pour origine le refus de l’état de prêter son concours à l’exécution d’une décision de justice d’expulsion, alors qu’il y est tenu.

Alors qu’en présence d’une décision de justice ordonnant une expulsion, qui n’est pas exécutée, le Préfet dispose d’un pouvoir d’appréciation portant sur l’opportunité de donner suite au concours de la force publique, la proposition de loi contient une mesure qui présuppose que le Procureur de la République, juge de l’opportunité des poursuites , va effectuer des diligences pour que soit déféré, promptement, devant le Tribunal Correctionnel surchargé, les justifiables susceptibles d’encourir cette nouvelle sanction pénale… Lorsqu’on connait l’état de la justice pénale française, de qui se moque-t-on ? Certes, par voie de citation directe, le bailleur victime de l’infraction pourra saisir le Tribunal Correctionnel… procédure coûteuse ; nouveau marathon judiciaire succédant à celui ayant conduit à une décision de justice ordonnant l’expulsion ; une démarche pas toujours bienvenue par les tribunaux et qui sera réservé à des cas bien particuliers… Sans vouloir jouer à « l’oiseau de mauvaise augure » je suis prêt à parier que les décisions seront rares et les sanctions très mesurées…Ne seront concernés que les…cas…les plus médiatiques… je ne veux pas croire que ce serait le but recherché.

Il serait judicieux que soit opéré une réorientation des priorités, et que la proposition de loi soit complétée, a minima, par les points suivants :

  • Règlementation des conditions dans lesquelles le préfet peut surseoir au concours de la force publique pour procéder à l’expulsion. Le pouvoir d’appréciation du Préfet, dans sa « configuration actuelle » n’est pas compatible avec la règle selon laquelle l’état est tenu de prêter son concours à l’exécution des décisions de justice. Certes la responsabilité de l’Etat peut être recherchée devant le Tribunal Administratif, en cas de refus de concours de la force publique. Le Tribunal Administratif entre habituellement en voie de condamnation. Une indemnisation peut également intervenir dans le cadre d’une demande amiable adressée au préfet par le propriétaire, sans qu’il soit nécessaire d’engager une action en justice. Il reste cependant que, lorsque les recours dont dispose l’occupant sans droit ni titre ont été épuisés, sur le plan judiciaire, et alors qu’ils sont nombreux, il n’existe aucune raison, sauf exception, pour que le préfet refuse d’accorder la force publique. Il serait souhaitable qu’à ce niveau, la loi rappelle cette évidence et que les conditions d’un sursis à l’exécution d’une décision de justice fassent l’objet d’un encadrement strict. Ce n’est qu’à ce prix que sera atteint un objectif fondamental pour résoudre la crise du logement et l’insuffisance du parc locatif privé : la confiance des bailleurs.
  • Possibilité pour le juge de moduler ou supprimer le sursis à exécution d’une mesure d’expulsion pendant la trêve hivernale (article L412-6 du CPCE),
  • Modification de l’article L412-3 du CPCE qui prévoit que le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants d’un logement dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement. Dans sa rédaction actuelle le juge a la possibilité d’ordonner un sursis à exécution « chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales ». Il serait opportun qu’il soit ajouté « dans un délai raisonnable » et que le juge puisse pouvoir refuser d’accorder des délais s’il est établi que l’occupant sans droit ni titre n’a pas effectué une démarche effective en vue de son relogement ; la situation du bailleur, au cas par cas, doit aussi être prise en compte.

 

 

 

 

 

 

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Alain Cohen-Boulakia: Avocat à la Cour d'appel de Montpellier depuis 1980 Alain COHEN-BOULAKIA s'est forgé une solide expérience en Droit de la Distribution (Franchise, Concession, Agents commerciaux, Coopérative de détaillants …) et en Droit Immobilier (Copropriété, Baux commerciaux, Rcp des professionnels de l'immobilier, Application de la loi Hoguet …). Il est membre du collège des experts de la Fédération Française de la Franchise (FFF) et du Conseil Québécois de la Franchise (CQF). Alain COHEN-BOULAKIA est également Professeur à l'ICH ; il intervient dans de nombreux colloques et séminaires en droit immobilier ainsi qu'en droit de la franchise.