Logement indécent vs logement inhabitable : une distinction salutaire !

La distinction entre logement indécent et logement inhabitable est essentielle pour les bailleurs et professionnels de l’immobilier. Focus avec Alain Cohen-Boulakia, sur la jurisprudence récente qui éclaire les enjeux liés au paiement des loyers et à l’expulsion des locataires.

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En effet, la distinction entre logement indécent et logement inhabitable peut permettre au bailleur d’éviter de se retrouver dans une situation inextricable devant les tribunaux.

Dans le prolongement de la Cour de cassation, qui a initié le mouvement (cf. notamment cass. civ. 3, 22 juin 2022, 21-12.022), une décision récente de la cour d’appel de Montpellier mérite l’attention.

I. Un locataire qui se fait justice

Nous sommes ici non pas dans le cas où un locataire mobilise la législation portant sur la décence de son logement (article 6 de la loi du 6 juillet 1989 et décret 2002-120 du 30 janvier 2002) pour engager une action en justice à l’encontre du bailleur afin de le contraindre à engager des travaux sous astreinte et, dans l’attente d’une mise en conformité, une suspension du paiement de tout ou partie du loyer : ce cas est en définitive peu courant.

Dans notre cas d’espèce, le locataire s’abstient de régler son loyer en invoquant l’absence de décence de son logement au regard de la législation en vigueur ; le bailleur fait délivrer à son locataire un commandement de payer visant la clause résolutoire puis l’assigne en référé d’expulsion.

Le locataire s’oppose à ses demandes, sollicite une expertise et la suspension du paiement des loyers, dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise.

Le juge des référés reste sourd à cette réplique et ordonne l’expulsion du locataire en constatant que les conditions d’acquisition de la clause résolutoire sont réunies.

La cour d’appel de Montpellier confirme la décision du premier juge (CA Montpellier 6 mars 2025, RG 24/03001).

Le locataire avait cependant bien fourbi ses armes, arguant notamment l’existence d’une exception d’exécution en dépit de l’absence de mise en demeure d’exécuter les travaux ; quant à l’absence de saisine du juge aux fins d’être autorisé à consigner les loyers, le locataire prétendait que cette procédure n’est pas un préalable obligatoire ni même une obligation pour se prévaloir de l’exception d’inexécution.

La juridiction montpelliéraine retient que « la délivrance d’un logement ne satisfaisant pas aux critères du logement décent n’a pour conséquence un défaut d’exigibilité de la totalité du loyer que dans l’hypothèse d’un état d’inhabitabilité des lieux ».

En l’espèce, il avait été constaté que les montants de la porte d’entrée de l’appartement loué étaient piqués et rongés par la rouille, que la fermeture de la porte était difficile en raison de gonflements et de déformation du panneau, des traces de ruissellement dans la salle de bains, un boursouflement du revêtement de murs et des auréoles d’humidité étaient visibles.

Cependant, il est retenu que ces dysfonctionnements avérés n’avaient pas privé l’occupant de la jouissance totale du bien.

II. Le bon sens au secours du bailleur

L’enseignement de cette décision est important.

La rigidité de la législation portant sur la décence du logement est ainsi malmenée, pour revenir au bon sens !

C’est au cas par cas qu’il convient d’apprécier si les défectuosités d’un logement peuvent faire barrage à l’expulsion d’un locataire en l’absence de paiement du loyer. Ne tirons pas davantage de conséquences de cette jurisprudence.

Si le locataire ne s’était pas fait justice en cessant de régler ses loyers mais avait assigné son bailleur en justice pour le contraindre à exécuter les travaux permettant une mise en conformité du logement avec l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989 et surtout du décret 2002-120 du 30 janvier 2002 (définition du logement décent), il est possible que le juge non seulement aurait ordonné la réalisation de travaux, mais encore aurait fait droit à une demande de consignation totale ou partielle du loyer.

De même, en l’absence d’action du locataire, si l’existence d’un logement inhabitable avait été retenu judiciairement, l’action en justice du bailleur n’aurait pu prospérer…

Méfions-nous « des appréciations de fait » des juges, qui peuvent laisser ouvertes les portes de la subjectivité…

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Alain Cohen-Boulakia: Avocat à la Cour d'appel de Montpellier depuis 1980 Alain COHEN-BOULAKIA s'est forgé une solide expérience en Droit de la Distribution (Franchise, Concession, Agents commerciaux, Coopérative de détaillants …) et en Droit Immobilier (Copropriété, Baux commerciaux, Rcp des professionnels de l'immobilier, Application de la loi Hoguet …). Il est membre du collège des experts de la Fédération Française de la Franchise (FFF) et du Conseil Québécois de la Franchise (CQF). Alain COHEN-BOULAKIA est également Professeur à l'ICH ; il intervient dans de nombreux colloques et séminaires en droit immobilier ainsi qu'en droit de la franchise.