Le terme pavillon a supplanté progressivement la notion de maison. Résultat de l’importation d’une culture américaine qui a contribué à l’appauvrissement des centres historiques des villes. Comment se réapproprier la notion de maison ?
Dans les années 50, le modèle de production inspiré par Henry Ford jette les bases d’une fabrication à grande échelle, imposant une consommation uniformisée, dans une Amérique du Nord aussi vaste que culturellement disparate.
La standardisation architecturale qui s’y répand est due aux promoteurs Levitt & Sons. A l’image de leur ville « Levittown », ils rationnalisent et bâtissent rapidement grâce à des équipes spécialisées exécutant des plans identiques. Cet étalement urbain, appelé urban sprawl, repose sur la disponibilité d’un espace sans obstacles et de grandes facilités de financement.
La standardisation esthétique qui en découle est fortement contrainte par les HomeOwners Associations (HOA) qui imposent des règles strictes au pays du libéralisme : la couleur des façades, la hauteur des haies, le type de boîte aux lettres ou les décorations de jardin, tout y est réglementé au nom de la « valeur immobilière » et du « bon goût collectif ».
Le système juridique des codes de zonage (zoning laws) est aussi extrêmement rigide : il interdit la mixité fonctionnelle (résidentielle, commerciale, industrielle), fixe des tailles minimales de parcelle, impose des distances minimales entre les constructions (setbacks), etc. Ces règles ont été propices à la prolifération de quartiers résidentiels uniformes dans tout le pays.
L’habitat pavillonnaire présente alors une homogénéité formelle et fonctionnelle : maisons unifamiliales non mitoyennes, garage en façade, pelouse à l’avant (front yard) et jardin à l’arrière (back yard), etc.
Mais l’uniformité résidentielle répond aussi à un très puissant récit national enraciné dans l’idéal américain de la « nuclear family » occupant une maison en banlieue, avec son gazon vert, son barbecue et sa clôture blanche.
Tout est normé pour un style de vie standardisé, garantissant sécurité, intimité et convivialité. Ce modèle fonctionne comme un outil d’intégration sociale.
Le propriétaire signifie que sa famille se conforme à l’idéal national de réussite individuelle et de respectabilité. C’est le contrat social, le ciment symbolique de la nation : la standardisation crée du lien entre les citoyens américains où qu’ils soient, à l’image des communautés de marques (Home depot, CocaCola, etc.) et de produits emblématiques (voitures, hamburgers, etc.).
Ici, la maison est temporaire : on la consomme un certain temps et on pense à la suivante lorsqu’on gagne plus d’argent.
Entre stratification historique et diversité culturelle en France
Ce modèle a été importé dans la France d’après-guerre en quête de reconstruction.
Or, les villes et les territoires français s’étaient structurés par couches successives d’histoire.
Le village ancien est souvent organisé autour d’une église ou d’une place centrale et il n’est pas rare d’y croiser aux alentours quelques châteaux qui racontent l’histoire du lieudit. Les maisons de centre-bourg peuvent être mitoyennes, en briques rouges dans le Nord, en pierre de Bourgogne dans le Centre, en toit d’ardoise en Bretagne ou de lauze dans le Centre, etc.
Bref, un substrat bien différent des États-Unis. Mais, dans les années 50, la priorité accordée au développement des banlieues résidentielles a appauvri de facto les villes, favorisant les projets de standardisation généralisés à bas coût. Comme l’analyse Raphaël Languillon, les centres historiques dévitalisés ont été le témoin d’un passage d’un modèle européen monocentrique et dense vers un modèle polycentrique et diffus. Mais le géographe note un revirement depuis quelques années : on observe un retour des activités, des populations et des capitaux dans les centres des villes françaises via une gentrification résidentielle et de nouveaux aménagements centraux.
Est-ce un nouveau cycle immobilier plus respectueux du territoire qui s’annonce ?
Vers une nouvelle standardisation ?
Aujourd’hui, la transition écologique invite à repenser une nouvelle fois la standardisation de l’immobilier.
Mais nombre de situations spécifiques montrent à quel point la règle commune n’est plus la solution. Le modèle (DPE non territorialisé, etc.) doit être ajusté aux particularités locales, pour les nouveaux logements et les rénovations qui doivent conserver leurs spécificités (poutres en bois, cheminées, etc.). Les politiques européennes ont régulièrement permis de préserver des cultures de consommation plus fragmentées, valorisant la production artisanale et locale (IGP, AOP, etc.). Elles doivent continuer dans ce sens.
L’immobilier ne doit plus seulement être pensé sous un angle industriel, à coût minimum, au profit de tous, mais au service d’une culture locale, de circuits courts innovants et de bâtiments existants, à rebours d’une standardisation destructrice de l’avenir.
Aujourd’hui, la diversité est une richesse et l’opportunité d’un storytelling unique pour les agents immobiliers. Comme pour la culture ou la gastronomie, l’exception culturelle française s’affirme dans la variété de son parc immobilier. Elle exige cependant de reconnaître son histoire et d’apprendre à la promouvoir.
Chercheur CNRS au centre de recherche DRM (Dauphine Recherche en Management), ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégé d’Economie et Gestion, il est titulaire d’un doctorat en Sciences de Gestion de l’Université Paris Dauphine. Auteur de différentes publications scientifiques et de l’ouvrage Marketing de l’immobilier (Dunod), il assure des cours de marketing de l’immobilier à l’Université Paris-Dauphine.