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« Arrêter les pratiques discriminatoires », Nathalie Gardes Enseignante chercheuse à l’Université de Bordeaux

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SOS Racisme a mené un testing sur le secteur immobilier. Résultat : le taux de discrimination dans l’accès au logement locatif est de 51 %.

photo : Black lives matter!

Dans une société plus inclusive, dans laquelle les marques sont observées et jugées par l’ensemble des parties prenantes, les pratiques discriminatoires pourraient mettre en péril votre réputation. Les personnes victimes de discrimination s’empresseront de diffuser leur expérience en ligne et nul doute qu’elles trouveront une caisse de résonance médiatique importante. Au risque juridique de non-respect du principe de l’égalité de traitement s’ajoute donc un risque d’image et de réputation lié au jugement négatif de l’ensemble des parties prenantes. Très rapidement, cela peut conduire à une perte de légitimité par défaut d’éthique.
Il est donc temps que notre secteur s’empare du sujet(1)!

Des biais discriminatoires sur les trois dimensions du service client

Un point d’information sur les biais discriminatoires est important. Dans la pratique, les processus de discrimination se fondent sur les biais cognitifs qui ne sont autres que des illusions cognitives représentatives d’erreurs de raisonnement, liées à des croyances injustifiées, voire fausses (préjugés, stéréotypes). Involontaires et souvent imperceptibles, les biais discriminatoires se produisent sur les trois dimensions du service client.

  • Au niveau de la prestation de service immobilier de base, ils se manifestent sous la forme d’une proposition de biens conditionnée par des considérations éthiques ou de genre.
  • Au niveau de l’accompagnement du client, ils se traduisent par une différenciation de l’attention portée aux besoins des clients (qualité de l’écoute, degré de priorité à répondre aux demandes du client).
  • Au niveau de l’étiquette, le traitement différencié du service peut se produire lors de moments les plus inattendus, tels que le ton de la voix ou encore le degré de courtoisie adressé en réponse aux demandes du client.

Identifier les pratiques discriminatoires : une démarche d’audit

En réalité, identifier les comportements biaisés n’est pas évident : ils peuvent être difficiles à reconnaître en raison de leur subtilité et difficilement mesurables uniquement à partir d’enquêtes de satisfaction. Ainsi, une véritable démarche d’audit doit être mise en place pour les capter clairement.

• Parlez à vos clients
En plus d’interroger de façon habituelle vos clients sur leur satisfaction liée au service délivré par votre agence, vous devez tenir compte de la façon dont l’identité des personnes impacte le traitement qu’elles reçoivent, en particulier sur les trois dimensions du service client. À titre d’exemple, les questions suivantes que vous pouvez adresser à vos clients vous permettront d’identifier les dimensions les plus sensibles aux préjugés.

– Comment pensez-vous que vos expériences se comparent à celles d’autres clients ?
– Dans quelle mesure vos interactions avec les conseillers ont-elles été agréables ?
– Quels types de comportements (manières, langage, ton) ont façonné ces interactions ?
– Dans quelle mesure pensez-vous que les autres clients ont eu la même expérience dans leurs interactions ?

• Faites des expériences
Ensuite, l’expérimentation est un excellent moyen pour vous aider à déterminer de façon concrète comment une caractéristique spécifique d’un client affecte des pratiques et un résultat (par exemple la façon d’être salué). Les enquêtes mystères avec des personnes de type, sexe, âge différents sont particulièrement utiles pour identifier la cause de la discrimination.

• Définissez des objectifs
L’un des principaux défis de l’évaluation de la qualité du service client est que le service est souvent intangible et difficile à quantifier. Pour cette raison, il est plus efficace de déterminer clairement les comportements que vous souhaitez tester.
– Définissez des comportements clairs et mesurables, qui sont le reflet du service que vous souhaitez que vos collaborateurs fournissent.
– Développez des protocoles de service anticipé. Standardisez les scripts et développez des règles.
La normalisation des interactions entre professionnels et clients peut limiter le pouvoir discrétionnaire des premiers, et tout préjugé qui pourrait s’infiltrer dans leurs réponses.

S’attaquer aux préjugés, sensibiliser et former

De fait, si la sensibilisation des individus aux préjugés est une démarche nécessaire, elle n’est pas suffisante. Il convient d’apprendre comment gérer ses préjugés et modifier ses comportements en conséquence. L’idée que nous pouvons réduire nos préjugés simplement en étant conscients est le défaut fatal de la plupart des formations.

• Surmontez le déni
En effet, les formations ont tendance à se concentrer sur les cas extrêmes d’abus et de harcèlement, conduisant les individus à ne pas se sentir concernés par
ce type de comportement. Les formations gagneraient certainement en efficacité si elles portaient également sur des scénarios de
discrimination plus insidieux (au demeurant les plus répandus) dans lesquels les individus excluent subtilement les autres ou minimisent leurs contributions.

• Brisez les stéréotypes
Il est certain que les stéréotypes que nous entretenons sur nous-mêmes et sur les autres influencent profondément notre comportement. À chacun donc de prendre la responsabilité de briser les stéréotypes que nous avons intégrés. Le fait de s’informer et consulter régulièrement des informations contre-stéréotypiques peut ainsi aider à réduire nos préjugés et améliorer la qualité dans nos interactions interpersonnelles.

On retiendra

Si nombre de professionnels immobiliers font de la délivrance d’un service client exceptionnel leur priorité, peu sont attentifs à la discrimination. Or, les attentes élevées des parties prenantes en termes de citoyenneté et de responsabilité pointent l’urgence de détecter les inégalités dans la façon dont le client est traité.
Lutter contre toute forme de discrimination permet non seulement d’éviter un risque de réputation, mais également de construire un positionnement différencié fondé sur des valeurs éthiques et citoyennes.


1 https://www.cercledesmanagersdelimmobilier.com/discrimination-dans-les-agences-parviendra-t-on-a-leradiquer-lundi-25-mars-18h/
Flage, A. (2018). Ethnic and gender discrimination in the rental housing market : Evidence from a meta-analysis of correspondence tests, 2006–2017. Journal of Housing Economics, 41, 251-273.
Forscher, P. S., Mitamura, C., Dix, E. L., Cox, W. T., & Devine, P. G. (2017). Breaking the prejudice habit: Mechanisms, timecourse, and longevity. Journal of experimental social psychology, 72, 133-146.

Nathalie Gardes

Nathalie Gardes est Enseignante chercheuse à l’Université de Bordeaux, elle est titulaire d’un doctorat et d’une habilitation à diriger des recherches.
Elle publie dans différentes revues scientifiques en marketing stratégique.

Responsable de la licence professionnelle métiers de l’immobilier option transaction et commercialisation de biens immobiliers à l’IUT de Bordeaux, elle dispense des cours en stratégie et marketing immobilier.

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