Générations X, Y, Z… à chacune ses idées reçues. On dit des boomers qu’ils sont attachés à la stabilité, que la génération Y est individualiste, ou encore que la génération Z est hyper connectée. Dans les réseaux, les agences et cabinets, toutes ces générations forment des équipes qui rassemblent parfois deux voire trois générations, des plus jeunes en apprentissage aux plus aguerris aux cycles du marché. Ont-ils des codes, des valeurs et des pratiques si différentes ?
Nos jeunes, moins bien formés ? Au contraire
Pour en parler, Carine Jambilloux, professeure agrégée en Économie Droit option Marketing en BTS Professions Immobilières, est passionnée par ses élèves. Elle souligne leur spontanéité, leur dynamisme, leur fraîcheur et leur aisance avec les outils technologiques.
Lorsqu’on entend dire que le niveau d’apprentissage des jeunes baisse, Carine Jambilloux rétorque :
« Depuis 25 ans, je n’ai pas vu le niveau de mes élèves diminuer. Avoir un Bac+3 et un Bac+5 est devenu courant dans l’immobilier. Les jeunes font des études plus longues et ils arrivent sur le marché du travail avec un volume de connaissances important, bien plus que leurs aînés nombreux à être arrivés dans l’immobilier sans diplôme ou peu. J’ai déjà eu les retours enthousiastes de dirigeants d’agences et de négociateurs aguerris épatés par les connaissances techniques et juridiques de leurs stagiaires et alternants ».
Une belle nouvelle pour la professionnalisation du secteur !
« Le constat se confirme lorsque j’accompagne des professionnels expérimentés dans leur parcours de VAE, poursuit Carine Jambilloux. Beaucoup exercent depuis de nombreuses années et n’ont pas les mêmes acquis juridiques que nos jeunes diplômés ».
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Des digital natives, encore en apprentissage
L’aisance avec les outils technologiques fait partie des atouts les plus remarqués des nouvelles générations. « Digital natives », elles maîtrisent souvent depuis l’enfance l’informatique et le numérique et sortent diplômées par wagons des écoles de communication et de marketing. Hugo Bolzinger, fondateur du Recruteur immobilier, précise : « Les jeunes n’ont certes pas de réseau à leurs débuts, mais ils excellent dans la création et le développement d’une communauté sur les réseaux sociaux… Leurs employeurs misent sur cette force pour déployer leur communication et se moderniser ».
Pour Nathalie Gardes, enseignante chercheuse à l’Université de Bordeaux, cette familiarité avec le digital peut être trompeuse. « L’usage numérique des jeunes est principalement personnel et ils ne maîtrisent pas toujours les codes professionnels : gestion de la relation client, réactivité, courtoisie, formules de politesse… De plus, face à l’IA, leur esprit critique est encore en construction. Ils prennent souvent pour acquis ce qu’ils trouvent sur ChatGPT. Il peut ainsi exister une différence de savoir-être et d’usages dans la communication entre les plus jeunes et leurs aînés ».
À l’étape du recrutement, Hugo Bolzinger observe également différentes pratiques. « D’abord, c’est flagrant d’un point de vue vestimentaire : alors que les précédentes générations tiennent à venir travailler en « en tenue formelle », l’ensemble jean-baskets est devenu l’uniforme des plus jeunes. Même constat du côté des CV : si les boomers privilégient les formats texte classiques, leurs cadets optent pour des présentations plus créatives. « Ce sont des écarts d’usage notables mais qui ne sont pas rédhibitoires » concède-t-il.
Nos jeunes se se désengagent du travail ? Non, ils varient leurs objectifs
De plus, le mythe d’un désengagement des jeunes au travail persiste. Pourtant, dès 1974, l’enseignant Jean Rousselet évoquait l’émergence d’une « allergie au travail ». Le professeur Olivier Babeau, dans son ouvrage « L’ère de la flemme » (2025) développe quant à lui que le sens de l’effort s’est évanoui. Pour Nathalie Gardes, ce n’est en rien l’apanage des jeunes ; les multiples reconversions professionnelles prouvent que « l’effort excessif » au détriment de la vie privée n’est plus une valeur universelle, toutes générations confondues.
Mieux, une récente enquête menée par l’Institut Montaigne « les jeunes et le travail » (16-30 ans)* démontre que le travail reste un pilier fondamental d’accomplissement pour les jeunes. C’est plutôt leur rapport au travail qui a évolué : l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle est devenu un enjeu central. « Alors qu’auparavant le candidat devait séduire le recruteur, aujourd’hui, c’est l’entreprise qui doit se montrer attractive. Le rapport de force a changé et les jeunes examinent les conditions de travail, les avantages proposés. Une fois en poste, s’ils conservent l’ambition d’avoir une carrière, ils tiennent à préserver leur équilibre de vie. Ils ont souvent vu leurs parents « sacrifier » leur temps personnel et ne souhaitent pas reproduire ce modèle ».
Est-ce un défaut ? « Pas nécessairement ! poursuit Hugo Bolzinger. Si les générations précédentes plaçaient la valeur travail au centre de leur vie, beaucoup de jeunes décident de construire la leur autour d’objectifs plus variés. Et c’est tant mieux : ils seront épanouis, en phase avec les attentes de leurs futurs clients ».
Quant à la mobilité professionnelle, on pense que les jeunes sont des « zappeurs ». Difficile d’être catégorique. 62 % des jeunes interrogés privilégient le fait d’occuper assez longtemps un emploi dans la même entreprise pour progresser dans leur carrière (enquête de l’Institut Montaigne) et 93 % souhaitent être embauchés en tant que salariés pour garantir leur sécurité financière (étude Recrutimmo 2024). Pour autant, la stabilité de l’emploi n’est pas considérée par les jeunes comme un critère prioritaire. 60 % d’entre eux envisagent de quitter leur entreprise actuelle dans les cinq prochaines années, et la moitié d’entre eux aspire à devenir travailleur indépendant. L’aspiration à la mobilité des jeunes salariés est donc en grande partie alimentée par un désir d’indépendance.
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Les jeunes sont-ils toujours attirés par l’immobilier ?
Du côté de l’orientation professionnelle, l’image glamour véhiculée par les émissions TV ** séduit encore. Mais la réalité ne correspond pas toujours aux attentes des jeunes. « Ils réalisent qu’il n’existe pas que la transaction et que le parc immobilier ne se résume pas à des villas de luxe. Ils sont aussi surpris par le volume et la technicité des connaissances qu’ils doivent acquérir », s’accordent Nathalie Gardes et Carine Jambilloux. « Il est vrai qu’il y a des départs en cours de formation. Pour autant, les profils qui persistent sont souvent mieux renseignés et plus motivés. Ils découvrent d’autres débouchés comme la gestion locative, le syndic ou le notariat, et perçoivent la possibilité d’y mener une carrière ».
Teddy Michaud, 24 ans, a été le seul élève de sa promotion à choisir le syndic. Depuis 4 ans, ce métier le passionne ! « Au cours de ma formation, je développé une appétence pour le droit de la copropriété, puis j’ai fait mon alternance dans un cabinet qui m’a inculqué beaucoup de méthodes et de compétences et qui m’a embauché par la suite ». Doté d’un sens aiguisé du service client, il aspire à redorer l’image des syndics.
Des transmissions réciproques entre les générations
Alors, les équipes multigénérationnelles forment-elles une bonne alchimie ? Emmanuelle Sadone, dirigeante de l’agence éponyme, compte dans son équipe des collaborateurs âgés de 20 à 62 ans. Elle croit au pouvoir de la transmission réciproque : « Notre collaboratrice plus expérimentée accompagne la plus jeune sur le juridique, la technique, la gestion client. La plus jeune apporte quant à elle sa maîtrise des outils technologiques ».
Aurélie Baille, également dirigeante de son agence, entretient le même état d’esprit. « Chaque génération a ses spécificités, ses valeurs, son curseur et ses atouts. J’apprécie le savoir-être, le savoir-faire et la loyauté de nos collaborateurs plus âgés, quand l’adaptabilité, la vivacité d’esprit et la fraîcheur des juniors sont des points forts pour notre agence. Voir nos jeunes recrues devenir des professionnels sûrs d’eux est une source de fierté gratifiante pour tous ».
« Pour que les collaborations fonctionnent bien, malgré les quelques divergences de génération qui peuvent exister, les membres d’une équipe doivent avant tout être alignés en termes de valeurs » conclut Hugo Bolzinger. Une fois de plus, l’avenir de l’immobilier se construira donc ensemble, tous âges confondus.
* « Les jeunes et le travail : aspirations et dé sillusions des 16-30 ans », Institut Montaigne, avril 2025
** « Quand les agents deviennent stars de l’immobilier de luxe » Fabrice Larceneux
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