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Colocation : mode d’emploi juridique pour les gestionnaires locatifs

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La colocation n’est plus un phénomène marginal : elle structure aujourd’hui une part croissante du marché locatif. Mais entre bail unique ou multiple, solidarité des colocataires, clauses de copropriété et encadrement des loyers, la pratique reste un terrain miné pour les bailleurs et gestionnaires. Voici les rappels essentiels pour exploiter cette niche sans risque juridique, avec Amandine Labro, Avocate au barreau de Paris.

photo : Colocation : mode d'emploi juridique pour les gestionnaires locatifs

La colocation, une pratique récente devenue courante

La colocation connaît un véritable essor en France du fait de l’évolution des modes d’habitat et de la crise du logement actuelle. Témoin de cet engouement, la Cour d’Appel de Douai (1) a justement écrit à ce sujet : « La colocation, sans doute rare en 1952, est devenue une pratique courante, souvent par nécessité, compte tenu du montant élevé des loyers pour les étudiants ou les personnes à faibles revenus, mais aussi parfois comme mode de vie choisi. »

En Île-de-France, là où le montant des loyers est plus élevé, environ 954 000 personnes, soit 8 % de la population francilienne, vivaient dans 271 700 ménages dits « complexes » car non « traditionnels » (2) (étude de l’INSEE, 2020). L’étude précise que « plus de la moitié des ménages complexes sont constitués de couples, avec ou sans enfant(s), ou de familles monoparentales qui cohabitent chacune avec au moins une autre personne. Ils sont dits « avec noyau familial ». Dans l’autre moitié des ménages, dits « sans noyau familial », vivent des personnes sans lien parent-enfant, ni lien conjugal. Ainsi en 30 ans, le nombre de ménages complexes sans noyau familial a fortement augmenté, la colocation entre jeunes, étudiants ou actifs, s’étant développée. À l’inverse, le nombre de ménages complexes avec noyau familial a diminué ».

La définition légale de la colocation

Aujourd’hui, la loi définit clairement la colocation. Selon l’article 8-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, la colocation constitue la « location d’un même logement par plusieurs locataires, constituant leur résidence principale, et formalisée par la conclusion d’un contrat unique ou de plusieurs contrats entre les locataires et le bailleur, à l’exception de la location consentie exclusivement à des époux ou à des partenaires liés par un pacte civil de solidarité au moment de la conclusion initiale du contrat ».

En conséquence, soit un seul bail est conclu entre un bailleur et des locataires, soit un contrat par locataire est prévu. Attention donc : la location consentie à des époux ou à des partenaires pacsés ne peut faire l’objet d’une colocation. Ils relèvent du régime de la cotitularité légale et de la solidarité légale.

Les particularités de la colocation

  • La colocation est prévue par contrat-type défini par décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de concertation ;
  • Les parties au contrat de bail d’une colocation peuvent convenir dans le bail de la souscription par le bailleur d’une assurance pour compte récupérable auprès des colocataires ;
  • Les charges locatives : elles se présentent soit sous la forme de provisions pour charges soit sous la forme d’un forfait versé simultanément au loyer, dont le montant et la périodicité de versement sont définis dans le contrat et qui ne peuvent donner lieu à complément ou à régularisation ultérieure. La loi précise que le montant ne doit pas être manifestement disproportionné au regard des charges dont le locataire ou, le cas échéant, le précédent locataire se serait acquitté.
  • La solidarité d’un des colocataires et celle de la personne qui s’est portée caution pour lui prennent fin à la date d’effet du congé régulièrement délivré et lorsqu’un nouveau colocataire figure au bail. A défaut, elles s’éteignent au plus tard à l’expiration d’un délai de six mois après la date d’effet du congé.
  • Concernant les baux multiples : la surface et le volume habitables des locaux privatifs doivent être au moins égaux, respectivement, à 9 mètres carrés et à 20 mètres cubes.

Les loyers en colocation

Le loyer de base des logements est fixé librement entre les parties lors de la conclusion du contrat de bail dans la limite du loyer de référence majoré dans les zones tendues.

Les loyers de référence étant fixés par appartement et non par chambre, l’addition des loyers perçus au titre de ces multiples baux ne doit pas dépasser le loyer de référence majoré.

Quid des colocations dans les copropriétés ?

La colocation étant une pratique relativement récente, elle est rarement prévue par les règlements de copropriété très anciens. De fait, elle peut devenir source de tensions. Certains s’appuient même sur les clauses d’habitation bourgeoise stipulées dans les règlements de copropriété pour tenter de l’empêcher.

Attention : certaines clauses dans des règlements de copropriétés peuvent être déclarées réputées non écrites. Seul un juge a le pouvoir de décider si la clause est réputée non écrite et si en quelque sorte, la colocation est ou non interdite dans la copropriété.

Rappelons aussi que la Haute autorité pour lutter contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) (3), dans une délibération n° 2007-110 du 23 avril 2007, a souligné qu’interdire de louer un bien immobilier à quatre colocataires étudiants revenait à discriminer (4).

Que disent la loi et la jurisprudence au sujet de la colocation ?

Le principe est que les restrictions aux droits des copropriétaires édictées par le règlement de copropriété ne peuvent être imposées que si elles sont justifiées par la destination de l’immeuble. La destination de l’immeuble est définie par ses actes (le règlement de copropriété, état descriptif de division), les caractères de l’immeuble (qualité architecturale, standing), et la situation de l’immeuble (quartier résidentiel ou non).

Quelques exemples de décisions judiciaires (au cas par cas par les juges)

Colocation licite

  • Jugement du tribunal judiciaire d’Evry du 14 décembre 2023

La location à des personnes différentes d’un même appartement n’est pas en soi contraire à la destination résidentielle de l’immeuble, étant précisé que le propriétaire doit veiller au respect des règles de fonctionnement de l’immeuble par ses locataires.

  • CA VERSAILLES 4e chambre 2e section 12 mars 2018 n°16/01462.

Dans cet arrêt, il a été considéré qu’une clause d’habitation bourgeoise était réputée non écrite dès lors qu’elle pouvait faire obstacle, dans une copropriété pavillonnaire disposant d’entrées majoritairement séparées, à la possibilité de louer en colocation à six personnes différentes, cette occupation ne pouvant avoir pour les logements voisins un impact différent de celui qui résulterait de l’occupation par une famille de six personnes.

Colocation illicite

  • Cour d’appel, Paris, Pôle 4, chambre 2, 23 Mai 2012 – n° 10/07710

Le juge a considéré que la colocation était illicite en raison de la destination de standing cossu défini par le RCP et des caractères de l’immeuble et sa situation, et ce afin de permettre à la copropriété de conserver un aspect d’appartements spacieux, résidentiels ainsi que la tranquillité des occupants, dont les conditions d’habitation seraient modifiées par un va et vient de personnes dans l’immeuble.

  • Cass.civ. 3e, 25 avril 2006, Adm. Juillet 2006, p. 57

« Est licite dans un immeuble à caractère résidentiel la clause restreignant la location de chambres garnies à des personnes honorables agréées par le syndic s’il apparaît que ce type de location entraîne un va-et-vient incessant de personnes étrangères à l’immeuble et en modifie les conditions d’habitation ».


1) Cour d’Appel de DOUAI Section 1, Arrêt du 6 avril 2017

2) https://www.insee.fr/fr/statistiques/8286890

3) Devenu le défenseur des droits

4) « En outre, le lien de cause à effet qu’institue l’assemblée générale des copropriétaires entre le statut d’étudiant des locataires ou colocataires, leur âge et les troubles anormaux du voisinage conduit à effectuer une discrimination prohibée par la loi à raison des moeurs. Enfin cette résolution, apparemment neutre, conduit également à discriminer de manière indirecte à raison de l’âge en violation du principe général du droit communautaire de non-discrimination en fonction de l’âge ».

Amandine Labro

Avocate au Barreau de Paris depuis 2013 et ancienne chargée d'enseignement à l'Université, Amandine Labro exerce essentiellement en droit immobilier et commercial. Elle plaide dans toute la France dans des contentieux portant sur des ventes immobilières, des problèmes locatifs (impayés, squats, expulsions), le droit du voisinage (troubles anormaux du voisinage), le droit de la copropriété (référés préventifs et expertises, annexions de parties communes, travaux sans autorisation...) et le droit commercial (recouvrement de créances, manquements contractuels, ruptures de contrats commerciaux).

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