Dans un marché où la concurrence s’intensifie, une compétence fait la différence : instaurer une confiance réelle et durable. Plus qu’un savoir-faire, c’est une stratégie relationnelle qui conditionne la performance. Une réflexion proposée par Nathalie Gardes, pour inviter les professionnels de l’immobilier à repenser leur pratique.
L’agent immobilier exerce dans un espace relationnel complexe dans lequel la confiance client ne se décrète pas, mais se mérite. Le secteur peine encore à se défaire de ses vieux démons : des discours jugés trop commerciaux, une transparence perçue comme toute relative et une empathie parfois soupçonnée d’être plus stratégique que sincère. Comme tous les stéréotypes, ces perceptions s’ancrent sur des expériences réelles, suffisamment fréquentes pour nourrir la défiance. C’est donc dans cette tension entre attentes légitimes et images persistantes que se loge l’enjeu fondamental de la relation de confiance en immobilier.
Se pose dès lors la question suivante : sur quels leviers concrets peut s’appuyer l’agent pour susciter une confiance durable ? Moins qu’une affaire de charisme, construire la confiance est une compétence méthodique qui mobilise des outils issus de la psychologie sociale et du design relationnel.
Maîtriser l’alchimie des premières impressions
À peine le premier mot échangé, le client, souvent sans même en avoir conscience, commence à catégoriser l’agent immobilier à partir d’une géométrie sociale qui se fonde sur deux axes, mis en lumière par le Stéréotype Content Model (1):
La chaleur que dégage l’agent : une impression d’intention bienveillante, d’écoute sincère, de disponibilité non feinte. Cette dimension répond à une question simple : « Cet agent me comprend-il vraiment ? ».
La compétence perçue du professionnel : un sentiment de fiabilité, d’expertise, de maîtrise nette et sans ostentation. Elle soulève une autre interrogation, tout aussi décisive : « Peut-il réellement m’aider ? ».
Ces deux dimensions structurent l’évaluation initiale sur laquelle se joue toute la symphonie relationnelle. Mais voilà : dans la perception du client, ces deux qualités n’évoluent pas toujours en harmonie. Elles interagissent subtilement, et leur déséquilibre crée des biais puissants dans l’expérience client.
Un excès de compétence, sans chaleur, fige l’agent immobilier dans une posture distante, presque clinique. « Il est performant, certes, mais je ne me sens pas en confiance. » Trop de chaleur sans preuves tangibles, et le même agent semblera charmant… mais suspect. « C’est quelqu’un de gentil, mais je ne lui confierais pas la vente de mon bien. » Alors comment offrir au client une impression d’expertise calme, soutenue par une proximité vraie, sans tomber ni dans la froideur technique ni dans l’affabilité creuse ?
Les travaux en marketing immobilier (3) soulignent que l’efficacité d’un échange client ne dépend pas seulement du contenu ou du ton, mais de la séquence dans laquelle ces éléments sont orchestrés dans le temps. Autrement dit, la valeur perçue de votre discours dépend autant du moment où vous dites les choses que de ce que vous dites. En organisant l’échange selon une séquence relationnelle optimisée, chaleur – compétence – chaleur, l’agent immobilier renforce la crédibilité de son accompagnement et la satisfaction perçue.
Au-delà des critères apparents : saisir ce que le client cherche à accomplir
La plupart des échanges en transaction immobilière débutent par des formulations familières, presque rituelles : « Je cherche un trois pièces avec balcon », « Je souhaite vendre rapidement », « Je vise un bon rendement locatif ». Ces énoncés, d’apparence limpides, ne disent rien de l’histoire en coulisses.
Ce que le client formule n’est pas tant un besoin qu’un point d’entrée conversationnel. Il convient donc de savoir ce qui, derrière ces formulations, est réellement en jeu. C’est précisément ce que met en lumière la théorie des Jobs-To-Be-Done (3), selon laquelle le client ne cherche pas un bien ou un service en soi, mais “embauche” une solution pour accomplir un objectif personnel — qu’il soit :
fonctionnel (gagner du temps, réduire les coûts, simplifier une étape de vie, réduire une incertitude),
émotionnel (rassurer sa famille, se projeter, alléger une charge),
ou social (changer de statut, se reconnecter à un groupe).
Dans le cas particulier de l’immobilier, le job présente une double nature : il concerne à la fois le bien en tant qu’objet tangible, porteur de caractéristiques et de valeur d’usage, et le service apporté par l’agent immobilier, en tant que médiateur, accompagnant et garant du processus.
Un agent qui s’arrêterait aux caractéristiques demandées risquerait de proposer une réponse précise… mais à une mauvaise question. Il livrerait une solution cohérente sur le plan fonctionnel, mais aveugle aux enjeux émotionnels ou existentiels sous-jacents.
Prenons un exemple souvent entendu mais rarement interrogé : un client déclare chercher un T3 à cinq minutes du métro. Pris au pied de la lettre, cet énoncé invite à une réponse technique — un tri dans la base de données, quelques biens filtrés, des visites programmées. Mais si l’on s’en tient à cette formulation, on risque de passer à côté de l’essentiel. Car cette demande, en apparence précise, masque en réalité un besoin bien plus profond : « Je veux récupérer une heure par jour pour passer du temps avec mes enfants. »
Ce changement de perspective transforme complètement la situation. Le client ne recherche pas seulement un logement bien placé : il aspire à un quotidien plus léger, à des liens familiaux renforcés et à une routine réinventée.
Un logement un peu plus éloigné mais mieux desservi par une ligne directe ou situé à proximité de l’école des enfants pourrait offrir une économie de temps encore plus significative et mieux répondre à la finalité du projet.
Déceler cette intention profonde n’est ni une affaire de flair, ni de magie commerciale. C’est un processus structuré, qui commence par une posture : celle de l’enquêteur bienveillant, ou, pour le dire autrement, de l’agent immobilier qui écoute pour comprendre, non pour répondre.
Quelques questions clés pour amorcer cette écoute stratégique :
« Pourquoi ce critère est-il important pour vous ? »,
« Qu’aimeriez-vous que ce bien vous permette de faire, que vous ne pouvez pas faire aujourd’hui ? »,
« Et dans six mois, qu’est-ce qui vous ferait dire que ce projet a été une réussite ? ».
Ces questions ne visent pas à “vendre plus”. Elles visent à révéler la fonction du projet, à faire émerger les motivations profondes que le client n’a pas toujours mises en mots.
La relation de confiance en immobilier exige une approche structurelle, fondée sur une lecture fine des perceptions, des besoins réels et des dynamiques d’échange.
Le métier d’agent immobilier devient ainsi une pratique relationnelle exigeante, à la croisée de la psychologie, de l’analyse des usages et de la scénographie verbale.
1 Fiske, S. T. Cuddy, A. J. C., Glick, P., & Xu, J. (2002). A model of (often mixed) stereotype content: Competence and warmth respectively follow from perceived status and competition. Journal of Personality and Social Psychology, 82(6), 878–902. 2 Berger, J., Li, Y., & Packard, G. (2024, July 1). How to structure customer service calls to boost satisfaction and sales. Harvard Business Review. 3 Christensen, C. M., Cook, S., & Hall, T. (2005). Marketing malpractice: The cause and the cure. Harvard Business Review, 83(12), 74–83. Christensen, C. M., Hall, T., Dillon, K., & Duncan, D. S. (2016). Know your customers’ jobs to be done. Harvard business review, 94(9), 54-62.
Nathalie Gardes
Nathalie Gardes est Enseignante chercheuse à l’Université de Bordeaux, elle est titulaire d’un doctorat et d’une habilitation à diriger des recherches.
Elle publie dans différentes revues scientifiques en marketing stratégique.
Responsable de la licence professionnelle métiers de l’immobilier option transaction et commercialisation de biens immobiliers à l’IUT de Bordeaux, elle dispense des cours en stratégie et marketing immobilier.