La promesse de vente immobilière à l’épreuve du COVID-19, analyse de Me Cyril SABATIE

Pour faire face à la crise sanitaire le Gouvernement a pris 25 ordonnances en application de la loi d’urgence. L'analyse de Maitre Cyril Sabatié notamment sur la prorogation des délais par rapport aux compromis et à la SRU.

Pour faire face à la crise sanitaire et aux difficultés que pose le confinement, le Gouvernement a d’ores et déjà pris 25 ordonnances (parues au Journal Officiel du 26 mars 2020) en application de la loi d’urgence n°2020-290 du 23 mars 2020.

Certaines de ces ordonnances visent, de manière très (trop) générale malheureusement, à aménager ou suspendre les délais pour les adapter aux contraintes du confinement et permettre d’une certaine manière une continuité de l’activité économique du pays. Parmi celles-ci, l’Ordonnance n°2020-306 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.

Cette ordonnance permet lorsque des démarches, dont l’absence d’accomplissement peut produire des effets juridiques tels qu’une sanction, une prescription ou la déchéance d’un droit, n’ont pas pu être réalisées pendant la période d’état d’urgence augmentée d’un mois ; elles pourront l’être à l’issue de cette période dans le délai normalement prévu, et au plus tard dans un délai de deux mois suivant la fin de cette période.

Quels actes ?

Selon l’article 2 de cette ordonnance n°2020-306, sont concernés « tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er ».

Semblent donc légalement concernées les promesses unilatérales comme synallagmatiques de vente.

Semblent également concernés, dans un autre registre, les baux (congé, résiliation, indexation triennale, prescription en paiement, etc.), les délais imposés aux mandats de la loi Hoguet (compte-rendu de l’article 77 du décret du 20 juillet 1972 par exemple) ou encore le renouvellement des cartes professionnelles venant à expiration pendant cette période.

L’article 4 de cette même ordonnance prévoit notamment pour les mandats et les promesses « que les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires, ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet », si ce délai a expiré pendant la période précédemment définie.

Enfin, précisons que l’article 5 toujours de cette ordonnance dispose que « lorsqu’une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu’elle est renouvelée en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont prolongés s’ils expirent durant la période [précitée], de deux mois après la fin de cette période ».

Le caractère très général de cette ordonnance, visant de manière louable à couvrir toutes les hypothèses susceptibles d’être impactées par la situation sanitaire, conduit forcément à certaines interrogations. C’est singulièrement le cas pour les promesses synallagmatiques de vente (compromis) au regard des délais qu’elles comportent ou qu’elles font courir.

Quels délais ?

L’article 1er de cette ordonnance précise que ses dispositions sont applicables « aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire ». Ce gel, assorti d’un report, ne semble toutefois, selon la lettre même du texte, ne concerner que les formalités ou notifications prescrites par la loi ou le règlement au sens de l’article 2 susvisé.

En ce qui concerne notre sujet on retrouvera ici le délai de rétractation de 10 jours (ou de réflexion selon le cas) prévu par l’article L.271-1 du code de la construction et de l’habitation (CCH) dit « délai de rétractation SRU » dans le jargon des intermédiaires immobiliers.

Sera également concerné le délai imparti à la commune pour faire valoir son droit de préemption urbain (en suite d’une DIA) mais également le délai minimum d’un mois prévu par le code de la consommation (article L.313-41) pour la condition suspensive de l’obtention d’un ou plusieurs prêts.

Pour ce qui est du délai de rétractation SRU de 10 jours, si celui-ci devait expirer durant la période « de gel » visée à l’article 1er précité à savoir « entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire » l’acquéreur non professionnel d’un bien à usage d’habitation bénéficiera d’un nouveau délai de 10 jours pour se rétracter à compter de la fin de ladite période à laquelle est ajouté un délai d’un mois.

Cette situation concerne donc toutes les notifications qui ont été faites à partir du 3 mars 2020. Toutes les promesses signées avant le 12 mars et qui n’ont pu faire l’objet de cette notification légale avant cette date (en raison notamment des nombreuses annexes qu’il convient d’y joindre en matière de vente de lot de copropriété) devront idéalement attendre la fin de cette période de crise.

Ainsi, à titre d’exemple pour le droit de rétractation qui aurait dû expirer le 13 mars 2020, l’acquéreur pourra se rétracter à l’expiration d’un nouveau délai de dix jours suivant la fin de la période dite d’urgence sanitaire à laquelle s’ajoute un mois supplémentaire.

L’état d’urgence devrait en principe s’achever le 24 mai 2020 ; en pareil scénario l’acquéreur pourrait se rétracter jusqu’au 3 juillet 2020 minuit (24 mai + un mois + 10 jours).

En terme de sécurisation juridique cette situation peut être inquiétante pour les professionnels de l’immobilier et la réalisation effective de leurs actes passés avant ou durant cette période de crise et pour lesquels tous les délais légaux n’ont pas été purgés.

Précisons toutefois que l’ordonnance ne semble pas être impérieuse. En effet, ce texte a pour effet de geler les effets d’un délai qui n’aurait pas pu être exercé en raison de la situation de paralysie sanitaire. Elle ne semble pas imposer l’ajout de nouveaux délais à la « partie protégée » qui ne voudrait pas en bénéficier et rallonger inutilement la réalisation de son achat immobilier.

En effet, le dossier de presse de présentation de ces 25 ordonnances précise notamment « les démarches, quelle que soit leur forme (acte, formalité, inscription…) dont l’absence d’accomplissement peut produire des effets juridiques tels qu’une sanction (…) elles pourront l’être à l’issue de cette période dans le délai normalement prévu, et au plus tard dans un délai de deux mois suivant la fin de cette période. »

Alors certes, certains opportunistes ou acquéreurs inquiets se saisiront de ces délais d’exception pour faire marche arrière et se délier de leur engagement, mais il est fort à parier que cette situation sera marginale dans la pratique, passée la période de crise sanitaire.

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Cyril Sabatié: Cyril SABATIE est avocat au Barreau de Paris et associé fondateur du Cabinet LBVS AVOCATS. Il dispose également de deux autres cabinets sur Nice et Angers destinés principalement au conseil des professionnels de l’immobilier et de la construction. Il a été notamment Directeur juridique de la FNAIM et est l’auteur de divers parutions et articles sur le droit immobilier, en particulier l’ouvrage COPROPRIETE aux éditions Dalloz-Delmas. Il est également membre de la Chambre nationale des experts en copropriété (CNEC) et de la Chambre des experts immobiliers FNAIM (CEIF).