Dans un métier où les échanges écrits sont constants, le ton et la forme des mails ont un impact direct sur la qualité des relations, la santé mentale des gestionnaires et l’efficacité des équipes. Gilles Frémont, président de l’Association Nationale des Gestionnaires de Copropriété, tire la sonnette d’alarme et appelle à un retour à plus de tact… et plus d’oral. Un rappel salutaire pour les professionnels de l’immobilier.
L’art subtile du mail… ou la science de la tension
Dans le secteur de l’immobilier, où les échanges écrits entre clients, syndics, gestionnaires et collaborateurs sont quotidiens, le ton employé dans les courriels peut faire toute la différence. Une communication bienveillante ne relève pas simplement de la courtoisie : elle est devenue une compétence stratégique pour désamorcer les tensions, instaurer la confiance et préserver des relations de travail durables.
C’est ce que rappelle Gilles Frémont, président de l’Association nationale des gestionnaires de copropriétés (ANGC), dans un post LinkedIn remarqué, où il dresse une liste éloquente de ces formulations que l’on retrouve trop souvent dans les mails professionnels :
« Merci de », « Je suis surpris de », « Sauf erreur de ma part, vous », « Il est regrettable que », « Vous n’avez toujours pas », ou encore « Dans les plus brefs délais, vous »…
Sous couvert de formalisme, ces tournures expriment souvent un agacement à peine masqué. Résultat : une communication qui braque plus qu’elle ne résout. À l’inverse, Gilles Frémont propose un éventail d’expressions plus apaisées :
« Pourriez-vous s’il vous plaît », « Je vous serais reconnaissant de », « Je reste dans l’attente de votre retour », « Permettez-moi de revenir vers vous afin de », « Vous souhaitant une agréable journée »…
Ces alternatives ne sont pas moins professionnelles : elles permettent de dire les choses, mais avec le recul, le respect et la diplomatie que mérite tout échange.
Les mails, une charge mentale permanente
Mais au-delà des formules, c’est le rapport même aux mails qui est devenu problématique, comme Gilles Frémont l’exprime dans un autre post, encore plus personnel et incisif : « Les mails ont changé notre métier. Outlook est arrivé en 2003, mais entre 2007 et 2010, avec les smartphones, c’est devenu un tsunami. Les gestionnaires souffrent en silence, les mails représentent une charge mentale permanente. C’est le fléau de notre époque. »
La métaphore est forte, mais elle parle à tous : cette pile de courriels qui s’accumule sans fin, cette angoisse de la boîte mail le dimanche soir, cette peur du message oublié qui explosera à la prochaine assemblée générale… Et surtout, cette violence froide qui s’est installée dans les échanges : « Avec les mails, on ne se parle plus, on s’invective, on s’agresse, chacun son tour, jamais en face. C’est tellement plus simple de balancer une pique par écrit. Même entre collègues, on s’engueule par mail interposé dans le même bureau. C’est absurde. »
Gilles Frémont va plus loin : il appelle à réhabiliter la parole vivante. Reprendre le téléphone. Oser la conversation. Réentendre une voix, une intonation, une émotion. Revenir à l’essence même du métier : parler, écouter, comprendre.
« Syndic est un métier d’écrit, mais aussi de parole et d’écoute. Aujourd’hui, je n’utilise plus le mail que pour transmettre un document. Le reste, je le dis. Et c’est infiniment plus efficace, plus agréable, plus humain. »
Repenser nos habitudes de communication, en équipe et avec les clients
La réflexion dépasse la simple grammaire. Elle touche à nos réflexes numériques : si les mails sont devenus la norme, c’est aussi parce qu’ils nous offrent un confort illusoire : celui de l’écrit impersonnel, qui évite la confrontation directe mais nourrit malentendus, tensions ou crispations.
Pour les acteurs de l’immobilier, il est temps de réinterroger ces habitudes. Et d’encourager, en interne comme vis-à-vis des clients, une communication plus vivante, plus incarnée. Cela passe par la formation, bien sûr, mais aussi par des pratiques simples : privilégier l’appel quand la situation est sensible, instaurer des temps d’échange réguliers en équipe, ou encore limiter l’usage du mail aux transmissions factuelles.
Pourquoi ne pas aller plus loin, comme le suggère Gilles Frémont, en interdisant les mails pour les discussions internes complexes, ou en revenant à leur usage originel : transmettre une information, et rien de plus ? « Car on ne construit pas de relation durable derrière un écran. Parler, c’est créer du lien. Et dans un métier fondé sur la confiance, ce lien est la clef de tout ».