Alors que la question foncière est centrale pour la filière, elle a été pourtant souvent reléguée au second plan. D’où la volonté du Club des penseurs SeLoger de rassembler l’écosystème sur le thème « Comment recréer une abondance foncière ? ». Tribune et propositions pour remettre le sujet au cœur des solutions.
Qu’il s’agisse de construire en quantité suffisante pour répondre aux besoins ou de calculer tant le prix de sortie des logements neufs que celui des logements existants… de tous les sujets de préoccupation des acteurs de la filière, la question foncière est celle qui conditionne les autres. C’est sans doute, en outre, l’un des problèmes les plus délaissés au cours des décennies écoulées. Steve Beaudel (Hexaom) et David Miet (Villes Vivantes) ont dressé un état des lieux pour lancer les échanges.
Portrait-robot de la construction de maison individuelle en France
Les ménages ne s’éloignent des localisations d’habitat qu’ils ont choisies pour des raisons de cherté du foncier, même si des justifications a posteriori sont souvent exprimées, relatives à la qualité de vie à distance des pôles urbains ;
Les chiffres sont sans appel, y compris sur période courte : entre 2023 et 2024, le budget moyen des ménages pour faire construire une maison individuelle a cru de 10 % et la hausse du prix des terrains, de 15,6 %, est à l’origine de l’essentiel de l’enchérissement du coût des opérations, sous deux effets, celui de l’inflation foncière et celui de la volonté des accédants de disposer de plus d’espace. Ce désir n’est néanmoins satisfait que par un tiers des acquéreurs, qui achètent des maisons de plus de 110 m2. Cette réalité s’impose aussi chez les promoteurs. La contrainte financière est même tellement forte que les maisons de moins de 90m2 représentent la plus importante proportion, avec 35,5 %… résultant d’une progression de 13,5 %. en une année !
Les 2/3 des constructions se concentrent dans les zones tendues et près de neuf acquéreurs sur dix font construire à moins de 18 km de leur précédent lieu de vie. 20 % choisissent même leur ville d’origine ;
L’habitat individuel se densifie, avec de plus en plus de maisons mitoyennes et à étage ;
Faire évoluer sa maison existante devient fréquent, par extension, surélévation, adaptation à mobilité réduite.
La sobriété comme impact de la logique zéro artificialisation nette
Il est clair que la logique du zéro artificialisation nette a eu, sur la demande des ménages comme sur la stratégie des élus, un effet direct : la sobriété foncière s’est imposée.
Dans ce contexte, les acteurs auraient tort d’être obsédés par la volonté d’obtenir des exceptions, des aménagements ou des délais. Seule compte la capacité à inventer les méthodes et les technologies qui permettront d’utiliser un foncier déjà artificialisé, jusqu’à l’exploitation de la ville et du patrimoine déjà là. La tendance à parcelliser les emprises foncières généreuses sur lesquelles les maisons ont été édifiées il y a trente, quarante ou cinquante ans, en vue de la construction dans le jardin (le fameux BIMBY, « Build In My Back Yard ») conduit aussi à optimiser les terrains artificialisés.
Densifier devient un maître mot et cette technique contribuera fortement à répondre aux besoins de se loger dans la communauté européenne, notamment en France, au cours des cent ans qui viennent. En revanche, la question de construire dense avec des prix abordables se pose : la maison individuelle est une réponse forte grâce à la densification douce qu’elle autorise, mais la densification des immeubles collectifs urbains se pose aussi. Le droit à bâtir se transforme en droit à densifier.
Enfin, le débat sur la nécessité d’un nouvel aménagement du territoire et d’une attractivité mieux répartie dans le pays, pour actuel qu’il soit, ne corrige pas une évidence : quelques métropoles et territoires (littoraux et frontaliers en particulier) concentrent beaucoup d’atouts et c’est là que les ménages souhaitent majoritairement habiter. C’est donc là que la question de l’abondement de l’offre se pose avec acuité, qui est d’abord foncière avant d’être immobilière. Ainsi, sur 100 000 € de prix d’un logement neuf, 70 000€ sont dépendants du coût de la construction à proprement parler et les 30 000€ restant renvoient au foncier et aux contraintes d’urbanisme. À force de raréfier le foncier, on en a rehaussé la valeur marchande jusqu’à la décrocher des capacités contributives des Français : leur budget médian est de 2500€/m2…pour un coût de construction terrain compris qui a de plus en plus de difficulté à descendre sous la barre des 3000€/m2.
Qu’on le veuille ou non, on doit résoudre une quadrature du cercle : l’aspiration des ménages à vivre dans les villes, où se trouve le travail et sur le littoral ou en campagne pour le plaisir, alors que les zones A et B1, les plus prisées par définition, ne représentent que 6 % du territoire.
Comprendre l’évolution géographique du pays
Clairement, au cours des quarante dernières années, les décisions politiques et des acteurs économiques, mais également des habitants, ont montré un renforcement de l’attractivité des onze métropoles françaises, en particulier celles du sud et de l’ouest. La démographie, en forte hausse après-guerre a conduit à une urbanisation croissante. Plus tard, le choc pétrolier, en accélérant la tertiarisation de la France, a catalysé sa métropolisation… et ainsi la désertification des territoires aujourd’hui non tendus. L’exemple de la fermeture des lignes ferroviaires jugées secondaires, comme entre Avignon et Carpentras, est criant à cet égard. Il n’est que temps de procéder à un meilleur aménagement du territoire, notamment pour réindustrialiser le pays, ce qui nécessite un foncier disponible pour les grands projets, d’ailleurs décompté de la consommation de la loi ZAN modifiée. Le Club des penseurs aspire également à une authentique planification de l’aménagement du territoire, assortie d’une vision d’ensemble des projets, aujourd’hui éclatés.
Comprendre la formation du prix du foncier pour ajuster la stratégie politique
Les logiques et les mécanismes de formation de la valeur et du prix de la matière première foncière restent mal connus et peu analysés. C’est pourtant ce qui peut fonder une grande partie de la politique du logement, dont la fiscalité. Peu d’institutions ont fait l’effort d’observation raisonnée du foncier, comme la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI).
À ce jour, de façon automatique, la valeur est récupérée par le propriétaire à la faveur d’unecession. On sait pourtant que l’essentiel de la valeur foncière tient à l’action des collectivités locales, sur l’environnement en général, en particulier dans le champ de l’écologie et de la qualité de vie, et bien sûr sur l’équipement et des infrastructures de transport. On sait ainsi que l’arrivée d’une ligne de métro, d’une gare de TGV entraîne un élan de construction puissant.
Pourquoi ne pas flécher une partie de la TVA issue des constructions neuves, par exemple 5 ou 10 points sur les 20 de droit commun, vers les maires et les communes à l’origine de la création de valeur foncière ? Cette allocation pourrait être déclenchée à partir d’un certain seuil de production de logements, ou selon des critères à définir (production en densification par exemple). Le Club dénonce aussi un mensonge admis sur la valeur du foncier obsolète, pour lequel des expertises indépendantes devraient être obligatoires. Par leur situation, telles les friches commerciales ou industrielles, comme par le travail préparatoire à la construction qu’ils exigent le plus souvent – de dépollution notamment – ils portent une forte décote potentielle, de nature à permettre des prix de sortie attrayants pour les ménages.
Moderniser la décentralisation et adapter le pouvoir des maires
Le rapport confié à Éric Wœrth et rendu au Président de la République le 24 mai 2024, sur le thème « Décentralisation : le temps de la confiance » n’a pas eu de suite concrète. Or la question des prérogatives d’urbanisme des maires est cruciale, comme celle des présidents d’intercommunalités. Le débat actuel au Sénat et les évolutions que la Haute Assemblée a ménagées de la loi du 21 août 2021 témoignent du fait que les élus locaux n’entendent pas subir des décisions nationales sans pouvoir en obtenir l’adaptation à leur situation territoriale.
Optimiser le foncier par l’agilité fonctionnelle des constructions
La Charte d’Athènes, édictée sous l’égide de Le Corbusier en 1933, a posé les bases de l’architecture de nos villes, avec des constructions affectées à des usages figés et définitifs, assorti du regroupement fonctionnel de ces usages dans des quartiers dédiés. Les urbanistes, les aménageurs, les promoteurs et les constructeurs devraient s’affranchir de ces dogmes fondateurs, pour aller vers la réversibilité d’usage des bâtiments, sinon des quartiers entiers, à l’instar du Village olympique de Saint -Denis, en voie de mutation pour servir les besoins tous azimuts de la ville. On passe au demeurant sans doute d’un immobilier d’obligation fonctionnelle à un immobilier de désir et de plasticité. La réglementation doit bien sûr faciliter ces souplesses de construction, comme cela a été permis par la loi d’exception du 26 mars 2028 relative à l’organisation des JO et des JOP.
La nécessaire agilité mène à une autre évolution du droit : les normes de stationnements à assortir nécessairement à la construction de logements sont dépassées par les évolutions des modes de vie, les ménages se déplaçant de moins en moins avec un véhicule personnel. Ces normes sont consommatrices de foncier urbain dans des proportions devenues inacceptables.
Faire de la mobilisation foncière par la fiscalité une priorité
La fiscalité est un outil privilégié de pilotage des politiques publiques et elle doit être ajustée aux objectifs de mobilisation foncière en vue d’abonder l’offre, ce qui aura aussi pour effet de tempérer les prix de marché.
Il est normal par exemple que la fiscalité d’un propriétaire liée à la détention d’une emprise foncière devenue constructible soit majorée : à ce jour, une taxe sur la vente de tels terrains est assujettie à une délibération de la commune ou de l’EPCI concernés. On pourrait également souhaiter une inversion du mécanisme de taxation de la plus-value sur les terrains détenus par des particuliers, aujourd’hui dégressive selon la durée de détention, à l’instar des propriétés bâties hors résidence principale du propriétaire. Une telle disposition favoriserait l’offre de terrains, que la fiscalité actuelle incite plutôt à thésauriser.
Le Club considère en outre que les propriétaires de foncier bâti qui embarrassent des projets d’intérêt général de leur commune, conçus dans la sobriété foncière et l’optimisation des emprises déjà artificialisées, mériteraient une taxation spécifique. Elle devrait être assez dissuasive pour les inciter à participer à l’effort collectif d’aménagement.
Dédramatiser la densité urbaine
Il faut qu’une didactique de l’opinion, historiquement hostile en France à la hauteur des constructions, libère les maires et les promoteurs. Les villes américaines ou japonaises nous fournissent des exemples d’un économie du foncier par la densification verticale, qui a structuré les paysages urbains de ces pays et de ces nations. Il serait logique, dans cet ordre d’idée, de renforcer les sanctions contre les recours abusifs qui attaquent les projets pour cause de densification. Les architectes ont la mission de montrer que la densité peut être belle et contribuer de la sorte à son acceptabilité populaire.
La surélévation des immeubles existants de nos grandes villes et de nos villes moyennes devrait être désormais systématiquement examinée par les propriétaires uniques, publics ou privés, et par les syndicats de copropriétaires. Ces acteurs pourraient recourir à un logiciel disponible qui évalue la faisabilité de telles opérations au regard des contraintes d’urbanismes. Plusieurs communes en font déjà usage pour inciter les propriétaires et copropriétaires à décider de surélever ou de céder les droits à construire aériens. D’ailleurs, ces surélévations permettent de financer la rénovation, notamment écologique, des immeubles. Enfin, elles peuvent se faire plus aisément à l’aide d’un matériau biosourcé vertueux, le bois, plus léger et tout aussi résistant que le béton. Quoiqu’il en soit, les techniques de surélévation doivent viser la baisse des coûts pour rendre accessible au plan économique ce mode de densification.
Œuvrer à l’abondance foncière constitue la priorité de la politique du logement, et plus largement de la politique immobilière, les entreprises ayant elles aussi le besoin de s’établir sur tout le territoire et de contribuer à un meilleur équilibre des territoires. Cet élan doit être porté par les acteurs professionnels et les décideurs publics, mais le peuple doit partout endosser ce combat. La campagne des élections municipales à venir ne pourra pas faire l’impasse sur cet objectif cardinal.
Etaient présents à ce débat : Henry Buzy-Cazaux (Président de l’institut du Management des services immobilier et Parrain du Club des penseurs SeLoger) et Steve Beaudel (Directeur Commercial et marketing Hexaom) et David Miet (Urbaniste et CEO Villes Vivantes) en tant que grands témoins ainsi que Caroline Arnould (Directeur Générale de CAFPI et présidente de l’APIC), Didier Bellier-Ganière (Délégué Général, FPI), Xavier Belvaux (Directeur Général, We Invest), Claude Olivier Bonnet (Directeur Général Coldwell Banker), Danielle Dubrac (Présidente, UNIS), Norbert Fanchon (Président Groupe Gambetta),Alexandra François-Cuxac (Présidente AFC Promotion), Emma Freyd (Fondatrice Optimmo), Maxime Lanquetuit (Directeur Général Adjoint, Woodeum Pitch), Thomas Lefebvre (VP Data Science SeLoger-groupe AVIV), Xavier Lépine (Président, IEIF), Céline Mahinc (Anacofi et Gérante fondatrice, Eden Finances), Stéphanie Obadia (Directrice, Construction 21), Thomas Prud’Homoz (Notaire associé chez KL-Conseil), Jérôme Revy ( consultant en innovation spécialiste de l’immobilier), Romain Sulpice (Directeur Contenu, RP et SOME SeLoger-groupe AVIV) et Jean-Claude Szaleniec (Senior Advisor HARES Conseil). Coordination : Isabelle Wanclik (Service RP SeLoger).