Les diagnostiqueurs sont devenus des acteurs cardinaux. Ils doivent désormais assumer leur destin et gagner leurs lettres de noblesse. Tribune de Henry Buzy-Cazaux.
Pour les diagnostiqueurs immobiliers, l’ère du soupçon s’est ouverte d’évidence : une émission télévisée récente diffusée sur une chaîne puissante à une heure de grande écoute, après maints autres reportages, a mis au jour des pratiques condamnables menant à des diagnostics de performance énergétiques frelatés. Au demeurant, si le DPE est sous les feux de la rampe parce que le risque d’interdiction de louer inquiète au dernier degré, qui sait si les autres diagnostics ne sont pas entachés du même manque de sérieux ?
Bref, ce ne sont pas les diagnostics qui sont dans la tourmente mais bel et bien les diagnostiqueurs.
La ministre du Logement elle-même s’est saisie du problème et a concocté dans l’urgence un plan « pour fiabiliser les DPE ». Là encore, la loupe posée sur le diagnostic de performance énergétique ne doit pas faire oublier que les professionnels aujourd’hui dans l’oeil du cyclone sont responsables de bien d’autres actes diagnostiques, porteurs d’enjeux sanitaires plus lourds encore : détecter la présence de plomb dans les peintures d’un appartement ou d’une maison, c’est protéger la vie d’un enfant en bas âge qui risquerait en léchant une plinthe de mettre sa santé en péril. Identifier la dangerosité d’une installation électrique peut aussi sauver les occupants d’un logement.
Pas question de transiger avec la rigueur dans ces matières. Pas question de s’accommoder d’à peu près ni d’absoudre le manque d’intégrité. Pour ces raisons, le Gouvernement réagit et veut mettre en oeuvre des solutions tous azimuts : le recours à l’intelligence artificielle pour débusquer les diagnostics anormaux, le codage de la certification des professionnels et l’enregistrement dans le fichier ADEME de tous les DPE, la multiplication des contrôles sur site et sur dossier, le renforcement des sanctions des pratiques indélicates, ou encore la surveillance accrue des organismes de formation et de certification.
En outre, Valérie Létard a confié deux missions à des personnalités extérieures, l’une pour estimer la pertinence de créer un ordre des diagnostiqueurs immobiliers, l’autre pour préfigurer des parcours de formation supérieures post-bac conduisant à des diplômes reconnus par l’État et pour proposer des améliorations aux formations continues courtes menant aux certifications professionnelles.
Voilà une mobilisation sans précédent des pouvoirs publics, d’ailleurs ainsi désignée : « Un plan ambitieux pour restaurer la confiance ». Pourtant, à la faveur de l’annonce de ce train de mesures, la ministre du Logement a révélé des chiffres qui conduisent à relativiser les difficultés.
D’après le Conseil d’analyse économique, en 2023, 1,7 % seulement des DPE étaient jugés fautifs ou complaisants, contre 3,2 % deux ans plus tôt. Deux limites à cette satisfaction : d’abord le chiffre actuel ne récapitule sûrement pas une réalité complexe à photographier, et surtout l’enjeu ne souffre pas un tel taux d’erreur, dans l’absolu assez faible.
Quel est cet enjeu ? Redonner aux ménages français foi dans l’aide à la décision de travaux de rénovation énergétique. Le doute actuel sape purement et simplement les fondements de la politique environnementale pour le logement et en menace les chances de réussite.
Pas d’autre option que de viser le zéro défaut. Objectivement, alors que les bases de l’action publique pour la transition écologique sont récentes, que les outils à son service ont été créés il y a peu, que le corps professionnel des diagnostiqueurs lui-même est jeune, il n’y a rien de surprenant à constater des faiblesses ou des scories. Ils sont néanmoins insupportables parce qu’ils déclenchent la suspicion. En cela, il y a bel et bien péril en la demeure.
Comment des familles peuvent-elles le coeur léger et l’esprit serein engager des dizaines de milliers d’euros de travaux correctifs sans être sûres de la pathologie ? Comment accepterait-on de décoter la valeur de son logement au moment de sa vente sur des constats de contre-performances écologiques chancelants ? Et un acquéreur sollicitant un prêt s’exposera-t-il sans sourciller à un refus parce que le bien est déclaré passoire énergétique sur le fondement d’un DPE peut-être insincère ? Les diagnostiqueurs sont devenus des acteurs cardinaux, presque malgré eux. Ils doivent désormais assumer leur destin et gagner leurs lettres de noblesse.
Les pouvoirs publics ne leur laisseront pas d’autre choix de toute façon.
Après avoir conseillé Pierre Méhaignerie, ministre de l'équipement et du logement, Henry Buzy-Cazaux a occupé des fonctions de responsabilité dans des entreprises immobilières de premier plan, FONCIA, Tagerim ou encore le Crédit Immobilier de France, mais également au sein des organisations professionnelles du secteur. Ancien délégué général de la FNAIM, il a aussi été administrateur de plusieurs autres syndicats immobiliers. Il a été chargé de mission auprès du président du Conseil de l'immobilier de l'Etat.
Il mène depuis toujours une action engagée pour la formation aux métiers de l'immobilier: président d'honneur de l'Ecole supérieure des professions immobilières, cofondateur de l'Institut des villes, du territoire et de l'immobilier du Groupe ESSEC, il est aujourd'hui président fondateur de l'Institut du Management des Services Immobiliers, centre de prospective et d'enseignement.
Il est enfin membre du conseil scientifique de l'observatoire immobilier des notaires et président du groupe "Immobilier, logement et ville durable" du Forum pour la gestion des villes et des collectivités locales et territoriales.