« Notre système de financement est envié dans toute l’Europe ! » Pierre Bocquet, directeur de la Banque de détail au sein de la Fédération Bancaire Française

Alors que, depuis quelques mois, les marchés financiers sont chamboulés de toutes parts, le Journal de l'Agence donne la parole à la Fédération Bancaire Française, que les professionnels de l’immobilier ont peu l’habitude d’entendre.
Pierre Bocquet

La Fédération Bancaire Française regroupe 320 banques adhérentes. Quelle est sa mission ?

La FBF est née au début des années 2000 avec pour mission de promouvoir l’activité bancaire et financière, en France comme à l’international. Elle regroupe aujourd’hui 320 banques dont 115 banques étrangères installées en France. La Fédération entend être la voix des banques sur tous les sujets qui touchent à l’activité bancaire : les enjeux réglementaires bien sûr, mais aussi la banque au quotidien, le financement des projets des ménages et des entreprises, l’épargne, l’assurance… Son rôle est également de définir, en comité avec ses adhérents, des positions qui sont ensuite portées auprès des pouvoirs publics, des instances de dialogue, des associations professionnelles, des think tank…

Pour autant, alors que nos adhérents se livrent à une concurrence forte sur le terrain, nous ne traitons aucun sujet concurrentiel. Ainsi, nous ne prenons pas la parole sur leurs pratiques et stratégies commerciales, leur vision des risques en matière de financement. Depuis l’élection américaine et la panique générée par l’offensive douanière de Donald Trump, les bourses mondiales dévissent.

Dans ce contexte, les Français pourraient-ils se détourner des produits de placements financiers au profit de l’immobilier, considéré comme une « valeur refuge » ?

Je ne pense pas qu’il faille opposer les produits financiers et l’immobilier, qui sont complémentaires. Pour autant, il y a en effet des moments plus favorables que d’autres pour investir dans l’une ou l’autre option. C’est au client d’arbitrer en fonction de sa situation, de son appétence aux risques, de ses objectifs de placement… Depuis le 4e trimestre 2024, on voit que le marché immobilier redevient dynamique : avec la baisse des taux d’intérêt, la production de crédits immobiliers est repartie à la hausse, d’après la Banque de France.

L’année 2025 semble s’inscrire dans la même dynamique : en mars 2025, la production des crédits à l’habitat (hors renégociations) s’est établie en France à 12 milliards, versus 9,9 milliards en janvier 2025. Nous sommes donc loin du creux de mars 2024, où la production était de 7 milliards.

L’accès au crédit reste favorable aux primo-accédants : d’après la Banque de France, la part de primo accédants pour l’achat d’une résidence principale représente de façon stable la moitié de la production de crédits immobiliers (51,8 %).

D’après l’Observatoire de Crédit Logement, la production de crédits immobiliers a chuté de 41 % en 2023 puis est remontée de 2,7 % en 2024. Cette timide reprise est-elle uniquement portée par l’accession à la propriété ?

En matière d’investissement locatif, il y a beaucoup d’éléments inconnus : les planètes ne sont, pour l’instant, pas alignées. Nous sommes entrés dans une période où il n’y a plus de dispositifs dédiés à l’investissement locatif. Le dispositif Pinel a pris fin en décembre 2024, il n’existe pas de statut du bailleur privé, pourtant appelé par les fédérations immobilières et les banques… C’est donc essentiellement l’accession qui porte cette reprise de la production de crédits immobiliers.

L’extension du prêt à taux zéro, dont les évolutions sont entrées en vigueur le 1er avril 2025, va participer à cette reprise. Nous savons, pour l’avoir observé, que ce prêt favorise la solvabilisation des ménages y compris ceux qui résident dans des zones moins tendues ou qui s’orientent vers des maisons individuelles.

Cette extension du dispositif qui était très attendue par tout l’écosystème, y compris les banques, devrait ces prochains mois favoriser le passage à l’acte des potentiels acheteurs.

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Pour relancer le marché immobilier, plusieurs banques lancent d’ailleurs leurs propres « PTZ ». C’est par exemple le cas du LCL, qui propose un prêt bonifié à 0 % pour les primo- accédants intéressés par le marché du neuf…

Les banques ont chacune leurs stratégies commerciales, ce n’est pas nouveau. Ces stratégies démontrent qu’il existe toujours une forte concurrence entre les banques sur le sujet du crédit immobilier. Elles font également écho à la forte présence des banques sur le territoire français.

En Europe, 1 agence bancaire sur 3 est située en France, ce qui fait de l’Hexagone un pays où la notion de proximité est unique.

On y dénombre 1 agence pour 1700 habitants, versus 1 pour 20 000 aux Pays-Bas, par exemple. D’ailleurs, lorsqu’on interroge nos clients au travers de notre étude annuelle menée avec l’IFOP, nous voyons que pour 80 % d’entre eux, la banque « idéale » doit réunir une proximité physique via un réseau d’agences et une présence numérique via des services en ligne. C’est d’ailleurs ce qui explique que dans certains centres urbains, certaines se regroupent. Elles adaptent leur présence territoriale à l’usage et aux attentes de leurs clients.

L’assouplissement des règles du HCSF en matière de crédits immobiliers est un débat toujours aussi électrique… Desserrer les conditions d’octroi de crédits permettrait-il de soutenir positivement la reprise du marché immobilier en France ?

Le HCSF a donné un cadre qui s’inspire beaucoup de la pratique des banques françaises en matière d’octroi de crédits et de « prêts responsables ». Il faut rappeler que ces dernières prêtent de l’argent aux Français en fonction de leurs capacités de remboursement.

La question n’est donc pas de savoir si on peut endetter les Français jusqu’à plus soif. C’est plutôt de faire en sorte que les projets de nos clients réussissent, ce qui suppose que la mensualité de remboursement de prêt soit acceptable pour eux et leur laisse un reste à vivre suffisant. Pour l’accession à la propriété, les règles du HCSF fonctionnent donc bien, même si elles peuvent être lourdes, en matière de gestion, pour les banques. La durée d’emprunt maximum de 25 ans combinée aux taux fixes – et non variables comme dans certains pays européens – préservent le budget des ménages. Ces conditions d’emprunt sont lisibles pour les Français, dont le budget d’accession à la propriété est ainsi stable pendant toute la durée du prêt. Dans notre pays, le risque de taux est uniquement porté par les banques.

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Est-ce pour cette raison que la France fait régulièrement l’objet de critiques de la part des acteurs bancaires européens ? Le fonctionnement de son système bancaire dérange-t-il ?

Grâce à son système de financement sécurisé de l’habitat, la France bénéficie de fondamentaux sains qui expliquent son faible niveau de sinistralité des crédits. Au 31 décembre 2022, le taux d’encours douteux était de seulement 0,97 %, selon l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). La cerise sur le gâteau, c’est qu’en France, les crédits sont majoritairement à taux fixe long (97 % des crédits nouveaux à l’habitat en février 2025) et le taux moyen de crédit est autour des 3 %, ce qui est aujourd’hui plus bas que dans la majorité des autres pays européens. La France est donc réputée, à l’échelle européenne, pour offrir des conditions d’accès au crédit inclusives et compétitives, que d’autres pays peuvent en effet nous envier. En Angleterre par exemple, plus de 300 000 ménages se sont retrouvés en grande difficulté et en surendettement en 2022, du seul fait de la variabilité (à la hausse) des taux de crédits, qui a eu un impact direct sur le montant de leurs mensualités de prêt.

Pour améliorer l’accès à la propriété des Français, la FNAIM milite en faveur de la portabilité des prêts. Ce dispositif permettrait à un propriétaire de transférer son crédit vers l’achat d’un nouveau bien. Pourquoi la FBF rejette-t-elle cette idée, qui avait fait l’objet d’une proposition de loi, arrêtée par la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024 ?

Le modèle français est majoritairement à taux fixe et la part de prêt à taux variable est bien en deçà des principaux pays de la zone euro. En France, les banques se basent sur la solvabilité des ménages et non la valorisation des biens, bien plus volatile. C’est d’ailleurs ce qui a protégé les ménages emprunteurs pendant la remontée des taux et l’inflation. Au-delà de la lourdeur et de sa complexité de mise en œuvre, cette « fausse bonne idée » de portabilité des prêts serait un risque majeur pour le modèle français de financement de l’immobilier à taux fixe long. Le risque serait notamment de passer à un marché avec une offre à taux révisable et des taux fixes résiduels plus élevés, notamment pour les primo accédants et les jeunes ménages. En effet, la volatilité plus grande des durées des crédits immobiliers et leur allongement ainsi que le poids plus important donné au bien immobilier comme garantie nécessiteraient une transformation du modèle et du refinancement des crédits pour maîtriser les risques.

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Les banques françaises, les plus puissantes d’Europe ?

Selon une étude menée par le cabinet américain S&P Global Market Intelligence, la France dénombre cinq banques dans le Top 10 européen : BNP Paribas, le Crédit Agricole, le groupe BPCE, La Société Générale et le Crédit Mutuel. L’Hexagone domine ses compères européens par la taille de ses actifs : en 2022, ces banques françaises frôlaient les 10 000 milliards d’euros d’actifs, versus 7 300 milliards d’euros pour les plus grandes banques britanniques et 3 100 milliards d’euros d’actifs pour les principales banques allemandes, qui évoluent pourtant sur le plus grand marché européen. À l’échelle mondiale, la France place deux banques (BNP Paribas et Le Crédit Agricole) à la 9e et 10e place du classement, largement dominé par les établissements chinois et américains, selon S&P.

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Aurélie Tachot: Aurélie Tachot est une journaliste spécialisée dans l'immobilier, qu'elle aime aborder sous le prisme des innovations, notamment technologiques. Après avoir été rédactrice en chef de plusieurs médias spécialisés, elle collabore avec Le Journal de l'Agence afin de rédiger des articles d'actualité sur les acteurs qui font l'immobilier d'aujourd'hui et qui feront celui de demain.