L’avenir d’un métier à réinventer : « Soyons fiers d’être syndic de copropriété ! »

En juin 2025, le Conseil National de l'Habitat a publié un nouveau rapport sur l'avenir du métier de syndic de copropriété. Et pour cause, le métier de syndic est plus que jamais en pleine mutation, entre inflation réglementaire, attentes contradictoires et quête de reconnaissance. Gilles Frémont, président de l’Association Nationale des Gestionnaires de Copropriété, livre une tribune engagée de ce rapport. Il appelle la profession à se réinventer avec fierté, exigence… et ambition !

Nous avons pris connaissance avec grand intérêt du rapport du Conseil National de l’Habitat (CNH) consacré à l’avenir du métier de syndic. Avant toute chose, nous saluons la qualité du travail de synthèse et de rédaction réalisé par M. Henry Buzy-Cazaux, rapporteur du groupe de travail qui avait été constitué par le député Lionel Causse, ancien Président du CNH.

Les constats établis et les propositions formulées sont pour la plupart pertinents, même si nombre d’entre eux ont déjà été exprimés depuis longtemps dans les milieux professionnels. Le titre du rapport laissait présager un élan prospectif plus marqué ; à ce titre, on pourrait regretter un certain manque d’audace et d’imagination. Nous en sommes collectivement responsables puisque les professionnels du secteur ont été auditionnés et ont pris part aux échanges. Peut-être cela traduit-il aussi une forme de maturité du métier, qui évolue au rythme de ses besoins, sans nécessairement appeler une révolution.

Une profession centrale et toujours plus sollicitée

Le rapport rappelle utilement que les syndics professionnels gèrent près de 90 % du parc en copropriété, soulignant le caractère incontournable de notre métier. Dans le même temps, nos missions s’élargissent sans cesse, en raison d’une inflation normative continue et d’un contexte social et générationnel toujours plus hétérogène, ce qui fragilise les dynamiques collectives au sein des immeubles que nous gérons.

Le Syndic d’Intérêt Collectif : un pari à soutenir… sous conditions

Le nouveau dispositif du Syndic d’Intérêt Collectif (SIC) pour la gestion des copropriétés en difficulté constitue une piste prometteuse. Il serait une occasion pour les syndics de trouver grâce aux yeux des pouvoirs publics, en remplissant quasiment une mission de service public. Mais ce dispositif est voué à l’échec si l’État ne précise pas clairement les modalités de rémunération afférentes. Aucun professionnel ne peut accepter de gérer de telles copropriétés à perte.

Restaurer la confiance avec les copropriétaires

Parmi les pistes évoquées pour rétablir la confiance entre syndics et copropriétaires, figure la suppression pure et simple de l’obligation de mise en concurrence systématique du contrat de syndic. Nous réclamons la suppression de cette infamie depuis son instauration il y a plus de dix ans. Si la copropriété est satisfaite de son syndic, pourquoi l’obliger à le mettre en concurrence ? Cette exigence est contre-productive et même assez humiliante pour la profession.

Il est également proposé d’élargir le rôle du syndic en lui confiant des missions de médiation dans des immeubles qu’il ne gère pas. L’idée est intéressante, à condition qu’elle repose sur un véritable engagement de notre part, du temps disponible, et une rémunération appropriée. Ce qui est loin d’être gagné.

« Les syndics finissent par incarner malgré eux la complexité des règles qui prévalent dans la copropriété ».

Autre point fondamental : la clarification du droit de la copropriété. Trop complexe, souvent illisible, il alourdit inutilement notre exercice quotidien. La simplification des règles de majorité, comme l’a récemment proposé le GRECCO, ou encore la codification du droit de la copropriété, sont des pistes nécessaires, même si elles paraissent encore aujourd’hui relever du vœu pieux.

À lire aussi : Syndic : « Il est temps de défendre le rôle et l’image de notre métier » Gilles Frémont, président de l’Association Nationale des Gestionnaires de Copropriété

Concentration du marché : une instabilité inquiétante

Le rapport souligne que la croissance externe accélérée des groupes de syndic, en particulier à l’échelle nationale, engendre des risques importants : désordres comptables, dérèglements organisationnels, carences de gestion, turnover accru… Un modèle instable, qui nourrit l’insatisfaction des copropriétaires. La liberté du marché ne se discute pas, mais force est de constater que cette concentration a ses limites. En parallèle, on assiste au renouveau de petits cabinets, preuve que le terrain reste fertile pour des structures à taille humaine. Après l’orage, gageons que les choses finissent par se rééquilibrer d’elles-mêmes. Une application vivante de la théorie du tonneau percé.

Une profession mal comprise et trop peu valorisée

La DGCCRF pointe les nombreuses non-conformités (sans caractère de gravité) relevées lors de ses contrôles, souvent dues à la difficulté de suivre une réglementation en constante évolution. Le contrat type de syndic est lui-même truffé d’incohérences et de formules ambiguës. Il est donc proposé de créer une commission d’interprétation permanente, associant la DGCCRF et les organisations professionnelles : une sorte de comité de liaison et de clarification qui serait bienvenu.

Par ailleurs, la méconnaissance du public quant aux honoraires des syndics est frappante. Très peu de copropriétaires savent identifier clairement la part des honoraires du syndic dans leurs charges trimestrielles. Beaucoup d’entre eux les surestiment. Une meilleure pédagogie s’impose. Nous devons l’admettre, le défaut de communication reste l’un des principaux handicaps de notre profession.

À lire aussi : Syndic bashing : et si on en finissait ?

Repenser la rémunération pour assurer la pérennité du métier

L’analyse est sans appel : plusieurs études montrent que les honoraires forfaitaires de gestion devraient être revalorisés d’au moins 50 %, au regard de la charge de travail actuelle. Le modèle économique des cabinets doit être repensé en profondeur. Ce sont surtout les honoraires annuels forfaitaires qui doivent être revalorisés, et non les prestations supplémentaires toujours sujets à crispation du côté des copropriétaires qui n’aiment pas les surprises. On les comprend.

Revoir la liste des prestations complémentaires tous les trois ans comme le suggère le rapport est une bonne idée, mais encore faut-il appliquer les dispositifs existants, comme la concertation bisannuelle prévue par la loi ALUR, jamais mise en œuvre à ce jour par le ministère du Logement. Une marque d’irrespect assez sérieuse de la part des pouvoirs publics vis-à-vis de notre profession.

Un point d’évolution majeur est cependant en cours : la rémunération des diligences accomplies par les syndics dans la phase d’études préalable aux travaux de rénovation énergétique. A ce sujet l’ANGC a formulé une proposition de texte, actuellement examinée par la DHUP. Il est temps que toutes ces heures de travail préparatoire effectuées par le syndic soit enfin reconnues à leur juste valeur.

Vers un ordre professionnel ?

Le rapport relance l’idée de créer un ordre professionnel doté d’un véritable pouvoir disciplinaire. Nous soutenons pleinement cette proposition, tout comme 95 % des gestionnaires interrogés. C’est un véritable plébiscite. Pourtant, nos syndicats représentatifs semblent peu pressés d’y souscrire, illustrant un décalage entre les instances syndicales et la réalité des praticiens sur le terrain.

Si un ordre devait voir le jour, il devra être strictement professionnel, sans présence des associations de consommateurs, comme c’est le cas aujourd’hui au sein de la commission de contrôle du CNTGI. Dans un ordre, les professionnels sont jugés par leurs pairs uniquement. Les associations de consommateurs n’y ont absolument pas leur place.

Des responsabilités accrues… des moyens à la hauteur ?

Compte tenu de l’ampleur des responsabilités confiées aux syndics — en témoignent des affaires récentes comme la condamnation pénale du syndic dans l’effondrement de l’immeuble rue d’Aubagne —, il paraît logique d’envisager un renforcement de leurs prérogatives, notamment en matière de police du règlement de copropriété, ou dans la gestion des immeubles en difficulté pour lesquels le syndic devrait être doté de pouvoirs similaires à ceux des administrateurs judiciaires. Donnons au syndic les moyens d’agir.

Les caisses de garantie doivent aussi s’impliquer davantage. Trop souvent, elles se dérobent face aux sinistres, malgré les primes onéreuses versées par les professionnels. Une surveillance plus anticipées des situations à risque et une responsabilisation accrue s’imposent de toute urgence à nos garants.

Mieux former, mieux outiller, mieux vivre son métier

Le rapport souligne à juste titre l’importance de la formation continue des gestionnaires. Encore faut-il qu’elle soit effectivement suivie, et surtout qu’elle réponde aux besoins concrets des professionnels, notamment sur les aspects techniques du bâtiment. L’élaboration d’un référentiel par métier serait une excellente initiative, tant les gestionnaires ont des profils, des diplômes et des parcours professionnels très divers, nécessitant des formations adaptées. L’enseignement est une chose dans laquelle nous croyons profondément.

Les CCI, en charge de la délivrance des cartes professionnelles, sont appelées à assumer pleinement leurs responsabilités. Il leur est demandé de contrôler plus rigoureusement le respect, par les gestionnaires délégataires de la carte S, de l‘obligation de formation continue de 42 heures triennale. A ce jour nous sommes loin du compte.

« Sans doute la communauté des syndics professionnels, ne mesure-t-elle pas la richesse des données qu’elle manie et n’a-t-elle pas priorisé la qualité de leur traitement optimal par les SSII ».

L’attractivité du métier passe aussi par les outils numériques. L’interopérabilité des logiciels de gestion entre eux est une nécessité, qui ne pourra, selon nous, se concrétiser que par une action législative obligeant nos éditeurs à s’y atteler.

De même, la digitalisation des usages doit se poursuivre et s’intensifier. Nous comptons ici également sur un véritable effort d’innovation de nos éditeurs de logiciels qui a trop longtemps manqué. Les syndics savent très bien s’approprier les nouvelles technologies. L’intelligence artificielle est déjà couramment utilisée par les gestionnaires, notamment pour l’assistance à la rédaction, l’analyse juridique ou encore la comparaison de devis.

Enfin, et nous ne cessons de le répéter, la pénibilité du métier doit être prise en compte : le maintien des assemblées générales en soirée est l’une des principales causes de désaffection. Le rapport le souligne avec insistance, et nous nous en félicitons.

À lire aussi : Gestionnaire de copropriété : « Le métier présente de belles opportunités de carrière et la période est propice pour se reconvertir »

Changer l’image du syndic, pas son nom.

L’idée de renommer la profession est évoquée dans le rapport. Elle nous semble inopportune.

Le mot syndic mérite d’être réhabilité, non remplacé. Il nous appartient de lui redonner ses lettres de noblesse, par nos actions, notre communication et notre fierté. Il est temps de changer notre discours sur nous-mêmes et rompre avec l’image du syndic souffre-douleur. Soyons fiers de ce que nous faisons. Fiers d’être syndic !

En conclusion

Le rapport du CNH constitue peut-être une étape importante dans la réflexion collective sur l’avenir de notre métier. Il a le mérite de poser des constats lucides, de mettre en lumière les tensions structurelles qui pèsent sur la profession, et de formuler des propositions concrètes et pertinentes, même si certaines restent en deçà des attentes suscitées par l’intitulé du rapport.

Ce document rappelle une évidence trop souvent ignorée : le syndic est un acteur essentiel du bon fonctionnement de la copropriété et, à travers elle, du logement collectif en France. Or, ce rôle central est aujourd’hui exercé dans un contexte de plus en plus complexe, contraint par une réglementation instable, des attentes contradictoires, une pression économique croissante et une reconnaissance encore trop faible. Il est temps que cela change.

Le moment est venu de repenser le modèle économique de la gestion de copropriété, de revaloriser nos honoraires à la hauteur des responsabilités exercées, de simplifier notre cadre juridique, de mieux former les professionnels, de moderniser nos outils, et surtout… de restaurer la confiance. Celle des copropriétaires, bien sûr. Mais aussi celle des institutions, des partenaires, et parfois même celle que nous devons retrouver envers nous-mêmes.

Ce changement ne viendra pas uniquement des pouvoirs publics ou des rapports officiels. Il viendra de nous. De notre capacité à porter une parole collective exigeante, à nous affirmer comme une profession utile, structurée, éthique, et tournée vers l’avenir. Nous sommes des professionnels engagés, confrontés chaque jour à des problématiques complexes, à des enjeux humains, techniques, juridiques et financiers. Et nous savons y faire face.

Alors oui, soyons critiques. Oui, soyons ambitieux. Mais surtout, soyons fiers.

À lire aussi : Pas sexy le syndic ? Les coulisses de superhéros de l’immobilier

Source : Tribune publiée dans les Ondes de l’Immo

Journal de l'Agence: