« Les agents immobiliers doivent se mettre à jour de leurs obligations en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le terrorisme », Francis Lamy

L’immobilier est dans la ligne de mire de la Commission nationale des sanctions. Rencontre avec son président Francis Lamy, conseiller d'Etat.

Le premier rapport d’activité de la Commission nationale des sanctions, chargée de lutter contre le blanchiment d’argent et le terrorisme, épingle sérieusement, les agences immobilières et les sociétés de domiciliation. Rencontre avec son président, Francis Lamy, conseiller d’État.

JDA : Qu’est-ce que la Commission nationale des sanctions ?

Francis Lamy : C’est une institution indépendante régie par la loi, le Code monétaire et financier, et chargée de  sanctionner les manquements aux obligations issues du dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Elle a dans son périmètre les agents immobiliers mais aussi d’autres professions : la domiciliation, les cercles de jeux et casinos et les jeux en ligne. La loi et la législation européenne ont soumis les professionnels de l’immobilier à ce dispositif en raison des risques liés à leur activité : l’investissement immobilier peut par exemple donner lieu à une sous- ou à une surévaluation, permettant d’intégrer des fonds d’origine illicite dans l’économie légale. En intervenant sur ces opérations, ils peuvent donc faire l’objet d’instrumentalisation par des personnes qui cherchent à blanchir des capitaux.

JDA : Comment fonctionne la commission ?

F. L. : Elle est saisie par le ministre de l’Économie à la suite de manquements observés par la DGCCRF dans son activité de contrôle des agences immobilières. Jusqu’en octobre 2014, la Direction de la concurrence pouvait émettre des avertissements à la suite de ses contrôles contre les professionnels qui ne respectaient pas leurs obligations. Cependant, la loi a mis en place la Commission nationale des sanctions pour aller au-delà, en définissant une échelle de sanctions selon la gravité des fautes, et pour pouvoir ainsi sanctionner plus lourdement les fautes les plus graves. Depuis cette date, la commission est devenue opérationnelle et, désormais, elle peut sanctionner . Elle dispose pour cela d’une  gamme de sanctions variées, pouvant aller jusqu’au retrait d’agrément et 5 millions d’euros d’amende.

JDA : Quel bilan dressez-vous ?

F. L. : Nous avons sanctionné 58 professionnels au cours de notre première année d’exercice. Ce qui est préoccupant,  c’est que la totalité des agences contrôlées par la DGCCRF ont fait l’objet de sanctions. Cela signifie que la réglementation est très largement méconnue et inappliquée. Cette situation ne peut perdurer ! Quant  aux professionnels qui ont connaissance de leurs obligations, ils ne les prennent pas suffisamment au sérieux. Ainsi, nous  avons  pu constater que les têtes de réseaux ont beau avoir établi des documents d’information sur la législation à destination de leurs  membres, les protocoles à respecter finissent souvent au fond d’un tiroir.

JDA : N’est-ce pas aux banquiers et aux notaires de contrôler l’origine des fonds ?

F. L. : Non, pas seulement eux. Chacun des acteurs de la chaîne doit participer à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. C’est une obligation légale pour chacun. Aujourd’hui, les agences doivent se mettre à jour  de leurs obligations, comme l’ont fait en leur temps les banques et les assurances. Elles ont un rôle à jouer au même titre que les notaires  ou les banquiers. Les professions sont différentes bien-sûr, mais dès lors qu’elles concourent à des opérations ayant le même objet (l’acquisition ou la vente d’un bien immobilier), elles sont soumises à ce dispositif et doivent y contribuer pour assurer son efficacité. Chaque professionnel apporte ainsi un éclairage utile à la détection des opérations frauduleuses. L’agent immobilier ne doit donc pas attendre l’intervention du notaire. Le risque serait sinon que chaque professionnel compte sur les autres professions pour accomplir ses diligences, au détriment de l’efficacité et, qu’à la fin, la loi ne soit pas réellement appliquée.

C’est par l’existence de plusieurs vigilances successives que l’on rend plus complexe, voire impossible, la réalisation de ces activités frauduleuses qui financent l’économie souterraine et parfois contribuent au financement du terrorisme.

Les manquements sanctionnés

Entre octobre 2014 et novembre 2015 le non-respect de l’obligation de mettre en place des systèmes d’évaluation et de gestion des risques représente près de 27 % du total des manquements. Suit le défaut d’identification et de vérification de l’identité du client. L’interdiction temporaire d’exercer pour une durée n’excédant pas cinq ans a représenté près de 32 % des sanctions prononcées, devant le blâme (14 % des sanctions) et l’avertissement (10%). Les sanctions pécuniaires, enfin, ont représenté près de la moitié des sanctions prononcées (44 %).

JDA : Que doivent faire les professionnels de l’immobilier concrètement ?

F. L. : Ils doivent respecter les règles prudentielles imposées par la loi et détaillées par la Direction de la concurrence  dans ses lignes directrices : bien identifier les risques propres à leur activité, les formaliser dans un protocole, en informer l’ensemble de leurs équipes, suivre un protocole adapté à leur activité pratiquement à chaque vente, bien identifier l’acquéreur, le bénéficiaire réel de l’opération, former leur personnels…. Les choses sont a priori simples lorsqu’une acquisition est financée par un crédit ou par la revente d’un bien, car l’origine des fonds est normalement simple à établir. Mais il faut être en alerte, par exemple, lorsque le bien est acheté au nom d’une société dont le  dirigeant n’est pas le client. Il faut toujours se demander qui vont être les bénéficiaires effectifs du bien. Il faut aussi accorder une attention particulière aux acquéreurs venant d’un pays qui figure sur la liste du Gafi (Groupe d’action financière). Bien sûr, les agents immobiliers ont beaucoup d’autres contraintes à respecter, mais il en va aussi de leur  réputation et de leur sécurité juridique. Respecter ce dispositif leur permet de se prémunir contre le risque d’être  associés à une  opération de blanchiment ou de financement du terrorisme, s’ils n’ont pas été en mesure d’identifier le but réellement poursuivi par cette opération.

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Les réseaux, groupes et syndicats doivent mobiliser leurs membres ou adhérents autour de la mise en oeuvre de leurs obligations en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du du terrorisme.

 

JDA : Quelles sont les sanctions encoures ?

F. L. : Les sanctions sont fixées au vu de la gravité des manquements commis et de la situation de l’entreprise : son chiffre d’affaires, sa situation financière, notamment. Pour l’instant, nous avons privilégié la pédagogie, partant du principe que la législation est largement méconnue et inappliquée. Nous avons toutefois retenu des interdictions d’exercer, mais pour la plupart avec sursis. Les sanctions pécuniaires ne sont pas allées au-delà de 8 000 euros… mais  la loi nous autorise à aller jusqu’à 5 millions d’euros ! Il faut maintenant que les choses évoluent rapidement ! Les tragiques attentats de l’année dernière, les nombreuses tentatives d’attentats nous rappellent que tous ceux qui ont un devoir de vigilance doivent assumer pleinement toutes leurs responsabilités. C’est la loi qui impose ce devoir de vigilance aux agents immobiliers, ils ne peuvent s’y soustraire.

JDA : Quelles sont les agences immobilières les plus exposées ?

F. L. : Chaque agence est concernée, pas uniquement celles qui vendent des biens de luxe à des étrangers. N’oublions pas que les actes terroristes qui ont été commis à Paris ces derniers mois ont été financés par de petites opérations. Lorsqu’une banque accorde un crédit de 10 000 euros, elle doit respecter des règles prudentielles ; lorsqu’une agence vend un bien à 100 000 euros, elle doit faire de même! Et en cas de soupçon de blanchiment, les professionnels doivent faire une déclaration de soupçon auprès de Tracfin. Signaler les opérations suspectes est un devoir.

Les tragiques attentats de l’année dernière, les nombreuses tentatives d’attentats nous rappellent que tous ceux qui ont un devoir de vigilance doivent assumer pleinement toutes leurs responsabilités.

 

JDA : Comment se passe la procédure ?

F. L. : Les agents immobiliers inspectés par la DGCCRF reçoivent d’abord une lettre de notification des manquements qu’ils auraient pu commettre à leurs obligations. C’est le lancement de la procédure. Les professionnels peuvent nous faire connaître leurs observations et peuvent, le cas échéant, commencer à se mettre en conformité avec la loi avant  l’audience.  L’audience a lieu généralement quelques semaines plus tard à Bercy. Pendant l’audience qui dure une ou deux heures, un échange s’engage entre les membres et les responsables représentants de l’agence, accompagnés, le cas échéant, d’un avocat. Les membres peuvent ainsi apprécier l’attitude des professionnels concernés et ce qui les a conduits à ne pas respecter la loi. Mais cet échange permet aussi souvent d’éclairer ces professionnels, car nous  n’hésitons pas, lorsque cela  peut être utile, à leur apporter des précisions sur le dispositif et ses modalités d’application. Il faut qu’en ressortant de l’audience, l’agent immobilier ait pris conscience des devoirs qui sont les siens. La délibération a lieu ensuite et la sanction est notifiée trois à cinq semaines plus tard.  Propos recueillis par Ariane Artinian ©byBazikPress©Christophe Lebedinsky/BazikPress

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