« Le Nudge : un coup de pouce pour les mandats exclusifs ? », Nathalie Gardes Enseignante chercheuse à l’Université de Bordeaux

Voici un problème qui tient à cœur les professionnels: comment inciter les clients à signer un mandat exclusif ?

Salesman trying to convince a doubtful customer showing products in a tablet at workplace

En dépit des efforts des syndicats et des réseaux, les mandats exclusifs ne représentent pas plus de 20% de tous les mandats… Si, certes, derrière cette moyenne se cachent des réalités bien différentes, le fait est que, dans leur grande majorité, les professionnels de l’immobilier font face à une réalité déplaisante: les vendeurs ne semblent pas leur donner facilement leur confiance. Alors quelle analyse peut-on proposer et comment changer la donne ?

La chose semble entendue, le mandat exclusif est l’option la plus intéressante pour le client. L’argumentation des professionnels qui se tient en deux points souligne d’une part, la supériorité du mandat exclusif (raccourcissement du délai et meilleur prix de vente, cohérence et maitrise de la commercialisation, proposition de valeur supérieure, motivation de l’agent) et d’autre part, la contre performance du mandat simple (la démultiplication du nombre de contacts et des annonces conduit à un incohérence commerciale contre productive). Logiquement, le mandat exclusif offre au vendeur la quasi-certitude d’une vente rapide et au meilleur prix. Comment alors comprendre la désaffection massive des clients vis- à -vis de ce mandat ?

3 explications possibles : la première met en cause l’argumentation trop forcée de certains professionnels, les deux autres le client.

Une argumentation et des pratiques qui n’inspirent pas la confiance

Levitt et Dubner dénonçaient déjà en 2005 les pratiques de certains agents immobiliers jouant sur le risque et la peur comme levier d’action efficace auprès des vendeurs et des acheteurs. A travers une argumentation bien rôdée ces professionnels, peu scrupuleux, utilisent l’information qu’ils possèdent en crainte pour justifier leur rôle, en faisant, si besoin, référence à une maison similaire mais plus belle et plus neuve qui est restée six mois sur le marché sans trouver preneur. La même stratégie semble ici être employée lorsque l’argumentation tourne autour de la difficulté de vendre, de l’accroissement du pouvoir de négociation de l’acheteur ou de la dégradation de l’image du bien liée à sa surexposition dès lors que le client souscrit des mandats simples dans de multiples agences.

Une argumentation qui se fonde pour partie sur la peur ou le risque et en sus qui use du « forcing » dans l’espoir de décrocher le « graal » des mandats pose problème en termes d’éthique. Si la confiance est la condition requise de la signature du mandat exclusif  on comprend qu’il soit difficile dans ces conditions d’obtenir l’adhésion du client. Le gage moral auquel s’engage l’agent immobilier lors de la signature d’un mandat exclusif semble peu crédible avec de telles pratiques. Faut-il rappeler que la confiance recouvre trois dimensions : bienveillance, crédibilité et intégrité !

L’opportunisme du vendeur

La seconde explication se fonde sur l’opportunisme du vendeur. Signer un mandat exclusif conduit à renoncer à la possibilité de vendre soi-même son bien et par là même l’espoir de récupérer une partie de la commission de l’agent. Sans garantie relative à la qualité du service et à l’investissement de l’agent, le vendeur préfère conserver une liberté de vente tout en utilisant les services d’une agence.

L’individu n’est pas rationnel

La troisième explication qui permet de comprendre pourquoi la supériorité du mandat exclusif ne suffit pas à son plébiscite tient au fait que les individus ne sont pas toujours rationnels. Connaître les bienfaits d’un comportement n’entraîne pas nécessairement son adoption. De même, savoir qu’une conduite a des conséquences potentiellement nuisibles n’incite pas forcément à y renoncer. Ainsi peut-on tenir pour acquis la supériorité du mandat exclusif sans pour autant le souscrire.

Selon Thaler (économiste récemment nobélisé pour ses travaux en économie comportementale) et le juriste Sunstein dans leur livre « Nudge : la méthode douce pour inspirer la bonne décision » nos décisions sont influencées par nos habitudes, notre environnement social et nos émotions. Celles-ci ne sont pas toujours rationnelles car elles sont affectées par des biais cognitifs qui nous conduisent à effectuer des choix qui ne sont pas optimaux pour nos intérêts. Dès 1970, le prix nobel Kahneman dans son ouvrage « système 1 et système 2 : les deux vitesses de la pensée » soulignait déjà le rôle joué par nos émotions dans notre processus de décision.

Si forcer la main sur un choix plus efficace est incongru voire contreproductif et si la supériorité du choix du mandat exclusif ne suffit pas à obtenir un plébiscite en sa faveur que faire ? Comment faire en sorte que les clients qui choisissent l’option mandat simple choisissent l’option mandat exclusif plus performante?

4 façons de changer le comportement

Selon Dilip Soman, un professeur en stratégie de communication à l’université de Toronto, le juriste, l’économiste, le marketer et le comportementaliste représentent 4 façons de penser le changement de comportement : l’approche restrictive ; l’approche incitative, l’approche persuasive et l’approche nudge.

L’approche restrictive se veut réglementaire. Le problème du comportement souhaité est rendu possible par l’introduction d’une législation qui force le choix. Si l’efficacité de cette approche est redoutable, elle touche à nos libertés de choix, ce qui peut poser problème lorsqu’elle ne garantit pas la qualité professionnelle. L’Unis s’inscrit dans cette approche lorsqu’elle revendique de rendre obligatoire le recours au professionnel de la transaction et de la gestion arguant une meilleure sécurisation des actes immobiliers. Comme Henry Buzy Cazeaux le soulignait dans le Journal de l’Agence  « D’un mot, un professionnel déploie-t-il vraiment plus d’efforts tangibles lorsqu’il est seul responsable d’une vente ? ». Sans garantie de qualité professionnelle difficile de revendiquer une obligation légale.

Pour l’économiste point besoin d’interdire, l’incitation suffit à changer les comportements. Il s’agit ici de mettre en place des taxes ou de rendre un choix plus couteux ou moins avantageux. En suivant cette logique on pourrait imaginer faire payer au vendeur en mandat simple toutes les actions de communication entreprises par l’agence. Si cette solution permet de rendre l’option mandat exclusif plus avantageuse, elle ne considère pas la difficulté actuelle des professionnels à obtenir des mandats. Dans un univers concurrentiel cela ne peut fonctionner que si tous les professionnels engageaient la même stratégie. Tout le problème est dès lors la mise en place d’une stratégie coopétitive.

Le marketer de son coté soutient le raisonnement suivant : les individus ne choisissent pas le mandat exclusif pour la simple raison qu’ils ne comprennent pas pourquoi c’est une meilleure option. Les individus ont juste besoin d’être persuadés qu’il s’agit bien de l’option la plus performante. Autrement dit, il faut procurer de l’information. C’est sur ce registre que les agents immobiliers ont choisi d’agir, mais son efficacité est pour le moins limitée. On pourrait toutefois accroitre la performance de ce levier d’action en améliorant l’argumentation. Défendre simplement l’idée d’une réciprocité entre un travail et sa rémunération me semble légitime. Ce qui rend problématique le mandat simple est la rémunération incertaine du travail de l’agent. L’exclusivité garantie la rétribution de son travail et de son investissement. La confiance pourrait peut-être mieux se construire sur la défense d’un contrat plus équitable pour chacune des parties.

Enfin, pour le comportementaliste la seule chose à faire est de rendre plus facile le choix de l’option B (mandat exclusif) que de l’option A (mandat simple). Il convient de leur donner un coup de pouce (nudge). Le nudge est une incitation (visuelle, comparative, informationnelle) dont l’objectif est de changer le comportement de l’individu sans le contraindre en jouant sur le système de pensée intuitif. Le nudge le plus emblématique est celui des fausses mouches collées  au fond des urinoirs. Ce dispositif simple, qui incite les hommes à mieux viser, a permis à l’aéroport d’Amsterdam Schipol de réduire de 80 % ses dépenses de nettoyage des toilettes pour hommes ! Selon Thaler et Suntein le nudge concerne n’importe quel aspect de l’architecture des choix qui permet de modifier le comportement des gens d’une manière prévisible.

Comment un agent immobilier peut il nudger ses clients ?

L’émotion, les biais psychologiques (biais d’ancrage, biais du temps présent, biais de négativité …), ainsi que les mécanismes à l’œuvre en psychosociologie comme la comparaison ou la preuve sociale, reconnus comme des facteurs d’influence dans nos décisions peuvent être utilisés pour trouver les bons nudges dans le secteur immobilier.

Une infographie de meilleursagents.com publiée en 2015 sur une comparaison mandat simple Vs exclusif donne des informations intéressantes à exploiter, à supposer que cette information soit crédible au regard des clients. Les agences peuvent ainsi imaginer utiliser la preuve sociale en organisant un affichage actualisé sur la satisfaction comparative entre mandat simple et exclusif ou sur le nombre de personnes qui ont choisi ce mandat sur le dernier mois.

Elles peuvent également utiliser le biais de négativité en présentant par exemple le délai de vente moyen plus élevé des mandats simples inhérent au fait que pour ce type de mandat l’agence n’utilise pas les services d’un professionnel immobilier de la photo ou de homestaging virtuel (les résultats de redfin ou l’institut comportemental et expérimental de l’immobilier de 2014 et 2013 font état des bénéfices de la photographie immobilière professionnelle : réduction de 21 jours des délais de vente, amélioration du prix de vente moyen supérieur de 1,1 à 2,8%). Elles peuvent enfin jouer sur l’émotion en surfant sur la tendance sociétale qui se veut plus responsable… (Les hôtels ont réduit de moitié leur facture laverie en usant de ce levier). Est-on capable d’établir le coût carbone du mandat simple vs mandat exclusif ?…. nombre de déplacement plus importants, multiplication de la publicité papier… la chose en soi peut se penser…

Une salle d’attente vendeur avec une exposition informationnelle adéquate dès lors s’impose. Le mandat exclusif doit pouvoir se choisir spontanément sans aucune argumentation… il suffit de trouver les bons nudges. La solution n’est pas donnée mais peut être ces pistes de réflexion vous donnerons un coup de pouce !

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Enseignante chercheuse à l’Université de Bordeaux, Nathalie Gardes est titulaire d’un doctorat et d’une habilitation à diriger des recherches. Elle publie dans différentes revues scientifiques en marketing stratégique.
Responsable de la licence professionnelle métiers de l’immobilier option transaction et commercialisation de biens immobiliers à l’IUT de Bordeaux, elle dispense des cours en stratégie et marketing immobilier. nathalie.gardes@u-bordeaux.fr

 

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Nathalie Gardes: Nathalie Gardes est Enseignante chercheuse à l’Université de Bordeaux, elle est titulaire d’un doctorat et d’une habilitation à diriger des recherches. Elle publie dans différentes revues scientifiques en marketing stratégique. Responsable de la licence professionnelle métiers de l’immobilier option transaction et commercialisation de biens immobiliers à l’IUT de Bordeaux, elle dispense des cours en stratégie et marketing immobilier.