Inquiète d’un déséquilibre croissant sur le marché foncier rural, la Fédération Nationale de l’Immobilier dénonce une « concurrence faussée », des « privilèges injustifiés » et un « hold-up » sur les transactions immobilières rurales. En 2014 déjà, la Cour des comptes avait dénoncé certaines dérives des Sociétés d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural (SAFER). Mais aujourd’hui, le différend dépasse le cadre national puisque la FNAIM a saisi la Commission européenne début mars.
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Double plainte déposée à Bruxelles
Le 5 mars 2025, la FNAIM annonçait (1) en effet avoir déposé deux plaintes auprès de la Commission européenne : l’une contre les SAFER pour abus de position dominante, l’autre contre l’État français pour aides d’État illégales. La Fédération estime que ces sociétés, historiquement dédiées à la régulation du foncier agricole, se sont progressivement muées en acteurs incontournables – et trop puissants – du marché immobilier rural.
Pour la FNAIM, il s’agit de défendre les professionnels du secteur (agences, notaires) et les particuliers, qu’elle juge désavantagés face à des organismes disposant de moyens d’action et d’un accès à l’information inégalés.
Des missions élargies au-delà de la vocation initiale des SAFER
Initialement créées pour faciliter l’installation agricole et protéger les terres agricoles, les SAFER sont accusées par la FNAIM d’avoir élargi leur champ d’intervention à des segments plus lucratifs : propriétés bâties, biens résidentiels, espaces naturels ou encore maisons de campagne.
« Les SAFER ne se contentent plus de protéger le foncier agricole, elles jouent un rôle d’intermédiaire immobilier privilégié, avec des moyens dont aucun professionnel privé ne dispose », critique Loïc Cantin, président de la FNAIM.
Un monopole d’information et des avantages fiscaux aux impacts directs
De plus, le syndicat professionnel souligne que les SAFER bénéficient d’un monopole d’information : toute transaction rurale doit leur être notifiée, ce qui leur permet d’intervenir en amont, parfois avant même que les agences immobilières ne soient au courant.
En parallèle, elles profitent d’exonérations fiscales – notamment des droits de mutation – qui leur permettent de pratiquer des frais inférieurs à ceux du privé. Un déséquilibre renforcé, par une moindre obligation de transparence ou de responsabilité par rapport aux professionnels traditionnels.
De fait, selon la FNAIM, cette situation entraîne des impacts concrets : des transactions annulées sans explications claires et justifiées ; une restriction de l’offre, notamment sur les biens bâtis ; des clauses imposant à certains acheteurs de repasser par la SAFER en cas de revente dans les 10 ans.
En Bretagne par exemple, il a été relevé que près de 40 % des transactions de la SAFER Bretagne en 2022 concernaient des maisons rurales, pour une valeur totale de 2,95 milliards d’euros. En Auvergne-Rhône-Alpes, plus de 13 700 transactions concernaient des biens résidentiels, soit un tiers de l’activité de la SAFER régionale.
Un renforcement du droit de préemption partiel des SAFER
Puis, le bras de fer s’est encore durci avec l’adoption, dans la nuit du 11 au 12 mars, de la proposition de loi « visant à lutter contre la disparition des terres agricoles et à renforcer la régulation des prix du foncier agricole ». Porté par les députés Peio Dufau (PS) et Julien Dive (Horizons), le texte veut freiner la « consommation masquée » des terres agricoles par des non-agriculteurs.
Parmi les mesures-clés : le renforcement du droit de préemption partiel. Les SAFER pourront désormais demander la dissociation juridique entre un terrain agricole et les bâtiments d’habitation attenants, pour préempter uniquement la partie agricole. Ce point cristallise les critiques de la FNAIM (2).
« Ce droit de préemption est abusif, alerte Loïc Cantin, car il porte sur tout : les maisons de campagne, les forêts, les installations de loisir, les campings, les golfs, les châteaux, les haras, qui sont bien loin de l’activité initiale des SAFER. Il y a un véritable hold-up sur les transactions rurales qui sont opérées à titre onéreux dans ce pays ». Il poursuit : « un bien mis en vente pourra se voir ôter tout ou partie de son terrain, et subir ainsi une dépréciation considérable de sa valeur », et dénonce « un risque d’ingérence totale, au détriment des particuliers ».
Des accusations contestées
Face aux critiques, Emmanuel Hyest, président de la Fédération nationale des SAFER (FNSAFER) depuis 15 ans et lui même exploitant agricole, ne cesse de défendre le rôle et l’intervention selon lui bénéfiques de son organisme. Il a d’ailleurs réagi dans Le Figaro : « Je suis surpris de l’inculture de la FNAIM qui nous cantonne à un rôle exclusivement agricole, alors que les pouvoirs publics n’ont cessé d’élargir nos missions depuis plus de 40 ans. » Il rappelle que les SAFER n’interviennent que dans un nombre limité de cas sur les maisons de campagne, évoquant moins de 500 opérations annuelles à l’échelle nationale.
Concernant le monopole d’information, il précise que les SAFER reçoivent les notifications des notaires, sans accès direct au fichier immobilier.
Une réforme réclamée pour une régulation équilibrée du foncier agricole
Si la préservation des terres agricoles est un enjeu crucial, et que la mission originelle des SAFER est « louable et nécessaire », la FNAIM estime que cette loi ne répond pas aux vrais défis du terrain.
Plus que jamais, elle appelle donc à une réforme en profondeur :
Recentrer les SAFER sur la régulation du foncier agricole, mettre fin à leurs avantages fiscaux en dehors de ce cadre, et instaurer une concurrence équitable. « Rien ne justifie aujourd’hui l’exonération des droits de mutation à titre onéreux pour des transactions sans lien avec une activité agricole », déclare le syndicat, soulignant le manque à gagner pour les collectivités locales.
Enfin, alors que l’une des missions phares des SAFER est de favoriser l’installation de jeunes agriculteurs et la transmission d’exploitations agricoles, « le grignotage de quelques hectares sur des ventes éparses ne suffira pas à renforcer la motivation des jeunes agriculteurs », conclut Loïc Cantin.
1) Communiqué de presse FNAIM du 05/03/2025
2) Communiqué de presse FNAIM du 06/03/2025