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Digitalisation, Big Data, Intelligence Artificielle : la mort annoncée de l’agent immobilier ?

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Nathalie Gardes, enseignante chercheuse à l’Université de Bordeaux revient sur les résultats d’une étude annonçant la disparition des agents immobiliers au cours de prochaines années.

photo : Business, Technology, Internet and network concept. Business man

Frey et Osbom deux chercheurs de l’université d’Oxford affirment avec 97% de certitude que les agents immobiliers disparaîtront au cours des prochaines décennies. La rapidité de l’évolution technologique conduit à la « disruption » de plusieurs secteurs économiques. L’industrie immobilière n’y échappe pas. Pour autant, annoncer la mort des agents immobiliers est, me semble-t-il, abusive car elle fait fi de ce qui se joue dans une interaction servicielle. Si le numérique transforme nos pratiques, nos façons de vendre ou d’acheter (réalité augmentée, visites virtuelles, enchères immobilières), suscite de nouvelles attentes, désirs et exigences (autonomie, expertise, ubiquité, immédiateté), il ne fait pas de nous des numéros. Pour autant soutenir que l’humain ne peut être remplacé et en conclure que les professionnels de l’immobilier demeureront une nécessité est très risqué car cette façon de penser néglige la révolution digitale qui est à l’œuvre et pourrait conduire à une inertie suicidaire des acteurs.

Le digital est sur le point de « disrupter » l’ensemble de l’industrie immobilière mais l’avenir reste à être écrit avec pour enjeu : la valeur ajoutée du service… La vraie question est donc celle de la définition d’un service immobilier à forte valeur ajoutée dans lequel technologie et humain s’entrelacent. Si comme le dit Hervé parent « les start–up sont l’avenir de l’immobilier », il sera sans doute moins question pour les professionnels d’embrasser ce modèle que de repenser leur chaîne de valeur à l’aune des nouveaux outils et nouveaux services proposés par l’industrie du digital.

Big data et digital, une source de valeur

Comprendre pourquoi les firmes du digital proposent plus de valeur que les agences traditionnelles et pourquoi il est impératif pour les professionnels de l’immobilier de porter leur attention sur la valeur qu’elles peuvent offrir à leurs clients nécessite au préalable un petit détour sur quelques fondamentaux.

La valeur, un élément clé de l’avantage concurrentiel

Performance, satisfaction, fidélité, réputation et notoriété tels sont les fruits que récoltent les entreprises qui parviennent à générer pour le client une valeur plus élevée que leurs concurrents. Force est de constater que dans le secteur immobilier les clients ont du mal à identifier une réelle différence entre les professionnels, autrement dit à percevoir des spécificités de valeur. La nature même du service (immatérielle, intangible, hétérogène) qui rend difficile une appréciation ex ante de la qualité entre les prestations proposées, couplée à la faible différenciation des services est à mettre en cause. Une clarification des éléments de la valeur que propose le professionnel s’impose si c’est sur ces éléments que le client effectue son choix.

La valeur, une notion subjective qui s’articule autour…

S’intéresser à la valeur pour le client c’est reconnaître en premier lieu la subjectivité de cette notion. Il ne s’agit donc pas de discuter de la valeur en soi, ni de la valeur du point de vue du professionnel, mais plutôt de l’évaluation faite par le client : la valeur perçue. Cette dernière s’articule autour de deux dimensions.

…d’une dimension cognitive fonctionnelle

Celle-ci repose sur une comparaison entre d’une part, les bénéfices ou l’utilité obtenus par un produit/service et d’autre part, les sacrifices ou coûts perçus (prix, temps, effort, risque, facilité). La qualité du service, la qualité de la relation ainsi que la qualité des installations font partie de cette dimension utilitaire. L’acheteur ou le vendeur mesure donc l’ensemble des gains qu’il peut obtenir en ayant recours à un agent : quels supports publicitaires l’agence offre-t-elle pour la mise en valeur de mon bien ? Propose-t-elle un reportage photo professionnel, des visites virtuelles, un service de homestaging virtuel ? Me facilite-t-on la rencontre en organisant des rendez-vous en ligne avec les conseillers? Prend-elle en charge mes démarches administratives ? Dispose-t-elle d’un extranet client ? etc. Et tout cela à quel coût ? La question de l’acceptation d’un montant d’honoraires ne serait autre chose qu’une question de bénéfices obtenus en retour. Comme le précise Fabrice Larceneux « Redfin a finalement découvert que les consommateurs acceptaient de payer des honoraires dès lors qu’ils bénéficiaient de services de grande qualité ». Le succès des low-cost pourrait trouver une explication dans le déficit de qualité de service ou de valeur perçue des agences traditionnelles.

… et d’une dimension affective

Cette dernière capte d’une part, les aspects émotionnels relatifs aux sentiments générés par l’expérience de consommation et d’autre part, les aspects sociaux de l’achat. Il s’agit ici de considérer que le design esthétique et communicationnel que propose l’agence participe à l’expérience du client sur un registre affectif et émotionnel. Le site internet, le style de communication sur les réseaux sociaux, la façon de présenter les annonces, le design de l’agence, la sympathie/humeur de l’agent, sont autant d’éléments qui conditionnent la valeur que le client perçoit. On comprendra dès lors l’intérêt d’adopter une démarche de storytelling, de marketing sensoriel et relationnel comme vecteur de différenciation.

Connaître la pyramide de la valeur, un préalable à la définition d’une offre à valeur ajoutée

La question qui se pose dès lors est comment les professionnels de l’immobilier peuvent-ils déterminer la meilleure façon d’ajouter de la valeur à leur offre? Comment fournir ce que les consommateurs désirent vraiment ? Comment savoir quels sont les services qu’il est possible d’apporter aux clients via les nouvelles technologies ? A n’en pas douter, cela passe par la connaissance de ce qui existe en participant notamment à des salons dédiés couplée à la connaissance des éléments de valeurs fondamentaux sur lesquels reposent l’industrie immobilière. Pour le premier point je vous invite à participer aux salons RENT, pour le second voici quelques notions à savoir.

Les éléments de la valeur : une articulation autour de 4 types de besoins

Dans leur article les éléments de la valeurs, Eric Almquist, John Senior et Nicolas Bloch proposent un modèle de valeur qui se fonde sur la pyramide des besoins de Maslow. Selon ces auteurs, les produits et services apportent des éléments de valeur qui répondent à quatre sortes de besoins: fonctionnels (gain de temps, gain d’argent, simplification, réduction des risques, réduction d’effort, qualité, attrait sensoriel, information, connexion…), psychologiques (antistress, récompense, bien-être, amusement/ distraction, attractivité, esthétique …), transfigurateurs (espoir, épanouissement personnel, motivation) et sociaux (dépassement de soi). Ces auteurs soutiennent l’existence d’une corrélation entre le nombre d’éléments de valeur fournis d’une part, et la fidélité et croissance du chiffre d’affaires, d’autre part.

La qualité un élément de valeur central

Ceci n’étonnera personne, la qualité perçue affecte plus que tout autre élément l’adhésion des consommateurs. Rien ne peut se faire donc sans qualité… Pour le reste on notera que les éléments de valeur cruciaux varient selon les secteurs. Pour ce qui concerne le secteur immobilier, antitracas et antistress, réduction des risques, réduction des coûts, réduction de l’effort, semblent être des éléments importants. Définir une offre de valeur devra dès lors s’attacher en priorité à ces éléments.

Parce qu’elles agissent sur des éléments de valeur essentiels les start-up offrent un service à valeur ajoutée

En prenant appui sur le big data[1] les start-up ont pu formuler une proposition de service qui repense la façon de servir le client. Trouver les bons algorithmes, i.e. ceux qui vont permettre de donner du sens à cette masse de données produites quotidiennement est la clé de voute de l’amélioration de la capacité de réponse de l’entreprise aux attentes et besoins de ses clients. Citons l’exemple de Home in love. Cette nouvelle start-up est partie d’un besoin non satisfait des clients en mobilité professionnelle. En effet, la structure de l’offre actuelle des agences ne permet pas de gérer la difficulté à trouver un logement notamment dans le cas d’une mutation. Cette société a donc choisi de mieux servir ces clients en utilisant de la donnée environnementale pour trouver les bons quartiers, i.e. celui qui correspond au client, qu’elle confronte au profil sociologique du client : ce qu’il aime, ses habitude ses besoins et son style de vie. L’entreprise recherche ensuite pour le compte de son client dans l’offre desservie par les agences les biens qui lui correspondent. Des propositions sont faites sur la plateforme de l’entreprise et le client à la façon de Tinder dit j’aime ou j’aime pas. Byzerpro fonctionne sur le même principe du matching avec pour promesse une prise de contact directe avec des acquéreurs qualifiés. Homeloop s’appuie également sur la data pour proposer l’achat d’un bien immobilier en 48H. En se référent à la pyramide de la valeur force est de constater que les start-up apportent des éléments de valeur intéressants : gain de temps, antitracas, réduction de l’effort, connexion, amusement.

Une transition digitale nécessaire

Face à ces nouveaux acteurs les entreprises traditionnelles sont menacées. Les investissements dans le digital vont être nécessaires pour proposer une offre à la hauteur des attentes des clients en recherche d’autonomie, de suivi, d’expertise, de qualité, de réactivité, de personnalisation, et de transparence. Il s’agit donc d’embrasser les technologies pour mieux répondre aux nouvelles exigences des clients et gagner en productivité.

Prendre le virage technologique ou disparaitre

La visite virtuelle, la qualité professionnelle des photos, les drones, les outils de CRM, la dématérialisation des process, l’intelligence artificielle, permettent à l’entreprise d’être plus agile, plus productive et plus compétitive (accélération des processus de vente, dématérialisation des process, amélioration de la qualité de service). Ceux qui ne prendront pas le virage technologique sont voués à disparaître car demain l’écoute client, l’empathie, l’expertise, la connaissance client, antécédents essentiels de la qualité relationnelle ne suffiront pas à générer une valeur suffisante face au conseiller 3.0. Ce dernier s’appuiera sur l’intelligence artificielle pour gérer ses clients, rédiger ses annonces ou ses rapport d’expertises, sélectionner les biens, prospecter. Les gains attendus en termes d’efficacité, de qualité de service et même de qualité relationnelle disqualifieront le conseiller 2.0 . Si le rôle du digital va devenir déterminant, il semble en revanche peu probable qu’il élimine l’intervention humaine et le rôle central du conseiller et sans doute aussi celui de l’agence.

Humain et digital, trouver le bon équilibre

Reste à savoir quel équilibre trouver entre l’algorithme et l’humain. Trois stratégies pourront être jouées : 1) substituer autant que faire se peut des algorithmes aux agents humains, autrement dit automatiser, 2) jouer la complémentarité entre canaux humains et digitaux pour un meilleur suivi et/ou réactivité 3) concentrer la mise à disposition des services digitaux aux agents humains, et faire en sorte que les outils digitaux accroissent leur productivité en leur permettant de se concentrer sur les tâches à forte valeur ajoutée. Les choix devront se faire au regard des déterminants de la satisfaction et de l’insatisfaction des clients selon la nature de la relation (médiatisée ou non par la technologie). Le profil des consommateurs selon leurs aptitudes et attentes vis-à-vis des modes relationnels devra être étudié avant de faire des choix.

Ce qu’il faut retenir

Un service à forte valeur ajoutée doit prendre en considération la dimension utilitaire et affective des besoins. L’expérience de consommation du client sur ces deux dimensions devient dans ces conditions une réflexion centrale. Elle devra être pensée en respectant un principe de cohérence entre les différentes interfaces de la relation client: internet, réseaux sociaux, agence. Sur la dimension utilitaire on notera l’importance de la variable expertise. La littérature en marketing relationnel souligne les conséquences de l’expertise du conseiller sur la confiance, la satisfaction, la crédibilité, autrement dit sur la qualité relationnelle. Cette expertise s’entend pour le secteur immobilier sur un plan juridique. Sur ce point les agences traditionnelles ont une carte forte à jouer. Sur la dimension affective, l’expérience devra susciter l’émotion et le bien-être du client pour rendre la rencontre de service utile et agréable.

Le profil des clients étant un déterminant de leurs attentes, le mieux est de choisir une ou plusieurs cibles pour proposer une offre différenciée et à valeur ajoutée. Pour les indépendants, Bumper, ou We invest sont des exemples de réussite qui peuvent vous inspirer. Pour les réseaux on peut imaginer à la façon des banques retrouver un service de type « franchise direct »  définissant une offre on line. Elles devront également réussir à construire une marque forte. La standardisation de la qualité des services en est l’enjeu. Peut-être le digital est-il un levier pour assurer un standard de qualité en palliant la variabilité de la prestation liée au facteur humain. Les agences immobilières vont devoir se réinventer. Au-delà du numérique c’est de la redéfinition même du rôle du conseiller et de ce que l’agence peut proposer en termes de prestations dont il est question.

[1] (Ensemble des traces numériques laissée par un individus : fréquentation des sites web géolocalisation, réseaux sociaux…)

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Enseignante chercheuse à l’Université de Bordeaux, Nathalie Gardes est titulaire d’un doctorat et d’une habilitation à diriger des recherches. Elle publie dans différentes revues scientifiques en marketing stratégique.
Responsable de la licence professionnelle métiers de l’immobilier option transaction et commercialisation de biens immobiliers à l’IUT de Bordeaux, elle dispense des cours en stratégie et marketing immobilier. nathalie.gardes@u-bordeaux.fr

 

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Nathalie Gardes

Nathalie Gardes est Enseignante chercheuse à l’Université de Bordeaux, elle est titulaire d’un doctorat et d’une habilitation à diriger des recherches.
Elle publie dans différentes revues scientifiques en marketing stratégique.

Responsable de la licence professionnelle métiers de l’immobilier option transaction et commercialisation de biens immobiliers à l’IUT de Bordeaux, elle dispense des cours en stratégie et marketing immobilier.

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Vos réactions
  • Par Lust, il y a 6 années

    Merci pour cet article très complet, très bonne réflexions sur la valeur, le low cost …

  • Par PRESSIAT Sébastien, il y a 6 années

    il est vrai qu’un grand et beau virage s’annonce, mais pas de « mort », des choix de conscience doivent être faits, des valeurs que seul l’humain porte selon moi

    • Par Bricaut Olivier (Agence FIRST à Biarritz), il y a 6 années

      Espérons en effet que l’humain reste indispensable, encore faut-il comme le souligne très justement la rédactrice se demander pour quels services rendus précisément et donc en corrolaire, à quel coût pour le client ? Les performances actuelles des entreprises du net dans tous les domaines (je pense évidemment à Amazon, Zalendo ou même à Vistaprint mais les exemples sont foison) sont à la fois épatantes quand on est simple consommateur mais devraient alerter les plus « old school » d’entre nous. sans remise en cause et évolution à marche forcée, je crois que l’agence traditionnelle de quartier aura disparu d’ici allez, disons 1à à 15 ans.

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