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« De la théorie de l’orientation régulatrice », Fabrice Larceneux chercheur CNRS

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L’achat d’un bien est régi par le ressenti. Entre le positif et le non-négatif, à l’agent immobilier de cadrer l’information transmise.

photo : AdobeStock_142197275

Supposons deux amies, Catherine et Liliane, qui cherchent toutes deux un appartement à acheter. Parmi les critères les plus importants qu’elle mentionne, Catherine est fortement préoccupée par la sécurité du quartier,  redoute principalement le bruit des voisins et s’inquiète du manque d’isolation thermique. Dans le même temps, Liliane énonce qu’elle cherche un appartement avec une belle vue, fonctionnel et qui lui offre des transports en commun assez proches pour être rapidement vers des lieux animés, des bars et des restaurants. Par un concours de circonstances, Catherine et Liliane achètent des appartements similaires mais, comme on le voit, avec des motivations initiales totalement différentes. En énonçant leurs critères de choix, les deux amies ont affiché des « orientations motivationnelles» différentes : l’une cherche davantage à éviter un résultat négatif quand l’autre recherche avant tout des conséquences positives : c’est ce que les psychologues appellent la théorie de « l’orientation régulatrice ». Selon cette théorie, la motivation humaine est clairement enracinée dans l’approche du plaisir (la philosophie de l’hédonisme) et/ou dans l’évitement de la douleur (la philosophie de l’épicurisme).

Appréhender les problèmes ou considérer les avantages

Le chercheur Higgins a ainsi montré que, lorsque les individus cherchent à atteindre des objectifs et prennent des décisions – acheter un bien immobilier par exemple – ils se positionnent inconsciemment sur un type particulier d’orientation motivationnelle : prévenir les éventuels problèmes (orientation prévention), ou promouvoir les possibles avantages (orientation promotion). Les individus comme Liliane sont plutôt des « positifs », c’est-à-dire attachés à la réussite des objectifs : ils valorisent la volonté d’agir, sont sensibles aux aspects gratifiants et au niveau de plaisir que peut leur procurer une solution proposée par les professionnels de l’immobilier.

 

« Soyez positif en invitant l’acheteur à se focaliser sur les aspects favorables pour éviter des évaluations trop négatives. » Fabrice Larceneux

À l’inverse, les acheteurs comme Catherine sont davantage « non-négatifs », c’est-à-dire attachés à la sécurité et à la protection, orientés vers la prévention des aspects négatifs : ils accordent par exemple plus d’importance à la sureté, à la responsabilité et aux obligations. Ils sont très sensibles à la présence de tracas potentiels et concentrent leurs pensées sur la manière de résoudre les problèmes.

L’achat d’un bien immobilier, un acte irréversible

L’orientation motivationnelle gouverne une grande partie de nos actes dans la vie quotidienne. Par exemple, une personne motivée pour retrouver une bonne santé peut orienter ses décisions dans deux grandes directions. Soit en pratiquant une activité physique, en mangeant des aliments sains et bio… Elle adoptera alors une démarche positive. Soit en s’abstenant de mauvaises habitudes telles que fumer régulièrement ou manger n’importe quoi. Elle diminuera alors les actions négatives. Cette orientation motivationnelle est capitale car elle influence l’évaluation des biens et la perception du temps. Les agents immobiliers savent que l’acquisition d’un chez-soi constitue l’achat le plus important dans une vie et reste vécu comme largement irréversible.

Conséquence : le regret anticipé de cet achat impacte très fortement les processus de décisions des acheteurs et des vendeurs. Ce sentiment affecte le niveau de satisfaction et influence directement non seulement la prise de décision elle-même mais aussi le niveau de plainte et le « bad buzz ». Les chercheurs ont montré que l’orientation  motivationnelle influence l’attrait et le choix d’un bien : toutes choses égales par ailleurs, plus je suis positif, plus j’apprécie un bien, plus je suis non-négatif, moins j’apprécie ce même bien. Et, les « positifs » détestent le statu quo et préfèrent agir sans s’attacher fortement aux conséquences de leurs actes. Le temps resté sur le marché, pour les acheteurs comme pour les vendeurs, est source d’insatisfaction.

À l’inverse, les « non-négatifs » attachent plus d’importance au résultat de leurs actions et aux erreurs qu’ils pourraient faire. Ils sont ainsi plus à l’aise avec l’idée de procrastiner et de reporter leur décision. Si on peut évidemment considérer à la fois les aspects positifs et négatifs de chaque alternative, chacun d’entre nous a une  personnalité  qui va lui faire privilégier inconsciemment l’une ou l’autre : soit la promotion des aspects positifs, soit la prévention des aspects négatifs. Et on aura tendance à sélectionner les biens qui répondent de manière correcte à notre orientation motivationnelle.

Voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide

À partir de ce constat, que peut faire l’agent immobilier ? En fait, il est possible d’influencer l’orientation  motivationnelle des individus et leurs réponses en créant un « cadrage » de l’information transmise. Par exemple, si l’on présente à un acheteur la recherche d’appartement comme une nécessité de trouver des éléments positifs (il est pratique de trouver une bonne connexion aux transports en commun, avoir une belle vue est important, etc.), alors il va ajuster ses réponses dans le cadre initial présenté et valorisera le bien dans ce contexte quelle que soit son orientation motivationnelle. À l’inverse, un cadrage « prévention des éléments négatifs » amène l’acheteur à répondre en valorisant les éléments du même type (bonne sécurité, pas de travaux, etc.)

Les professionnels doivent faire preuve de compétences en psychologie pour orienter le cadre de réflexion de leurs clients : en  activant le registre « positif », ils invitent les acheteurs à se focaliser sur les aspects favorables pour éviter des évaluations trop négatives, diminuer le regret anticipé et augmenter le niveau de satisfaction. Il s’agit d’un réel accompagnement psychologique car l’orientation motivationnelle influence aussi la perception du bien-être et de la qualité de vie en général. En se focalisant trop sur les pertes potentielles, les individus ont tendance à voir le  verre à  moitié vide. Les professionnels de l’immobilier ont alors pour mission de construire avec eux une véritable psychologie positive pour rendre leurs clients plus résilients, plus optimistes et finalement plus heureux.

*Source : Chen, J., Hui, E., & Wang, Z. (2017). « More promotion-focused, more happy ? Regulatory focus, post-purchase evaluations and regret in the real estate market ». Urban Studies, 54(1), 251-268.

Fabrice Larceneux

Chercheur CNRS au centre de recherche DRM (Dauphine Recherche en Management), ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégé d’Economie et Gestion, il est titulaire d’un doctorat en Sciences de Gestion de l’Université Paris Dauphine. Auteur de différentes publications scientifiques et de l’ouvrage Marketing de l’immobilier (Dunod), il assure des cours de marketing de l’immobilier à l’Université Paris-Dauphine.

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