« L’obligation d’aptitude clivage ou blason ? » Henry Buzy-Cazaux Président de l’IMSI

Pourquoi cette disposition de bon sens, valorisante pour la profession, n'est-elle pas appliquée ?

Voici que la communauté professionnelle des agents immobiliers et des administrateurs de biens a une nouvelle raison de ne pas s’entendre avec ellemême. Ce qui est plus rare, c’est qu’il y a quelques années, elle s’accordait sur le  sujet au point d’avoir signé une demande concertée au gouvernement. Maintenant, la situation a évolué vers la  discorde. Il s’agit de rendre applicable une disposition majeure de la loi ALUR du 24 mars 2014. Vous avez bien lu,  2014. Huit ans cette année que l’on attend le décret qui rendra effective l’obligation d’aptitude minimum pour les  collaborateurs d’agence immobilière ou de cabinet d’administration de biens, de sorte qu’ils puissent être habilités à  s’entremettre.

Une épopée réglementaire

Un petit retour en arrière est nécessaire. En 2009 et 2010, la FNAIM, l’UNIS et le SNPI travaillent à un livre blanc,  consécutif au grand débat interne de la profession sur l’utilité de faire évoluer l’encadrement des activités par la loi  Hoguet vers la création d’une organisation ordinale. Si l’idée même d’ordre est majoritairement rejetée, les syndicats  demandent aux pouvoirs publics un renforcement du dispositif légal au nom de leurs membres. Celui-ci donnera lieu  à plusieurs évolutions ménagées par la loi ALUR à la loi du 2 janvier 1970. Ainsi est né le Conseil national de la  transaction et de la gestion immobilières (CNTGI), ou encore l’obligation de formation continue pour renouveler sa  carte professionnelle. L’ALUR a aussi renforcé le pouvoir d’investigation des garants des fonds déposés et a majoré  envers eux les exigences de transparence et de solidité financière. Une disposition est en revanche passée inaperçue,  alors que son absence dans la loi Hoguet avait été déplorée par le cahier de doléances des organisations  professionnelles : l’obligation de se former pour les négociateurs ou les gestionnaires prétendant à être délégataires  du titulaire de la carte professionnelle de l’agence ou du cabinet.

Cécile Duflot avait dès le projet de loi ALUR fait droit à la demande des représentants des professions de la  transaction et de la gestion, non sans raison. Le tissu des entreprises avait radicalement changé depuis les années 70  : les agences et cabinets de taille plus importante se sont généralisés, alors que le modèle artisanal ou familial prévalait lors du vote de la loi du 2 janvier 1970.

À l’époque, cela signifiait que le responsable légal de la structure était à proximité physique de ses collaborateurs et s’impliquait sur chaque dossier. La responsabilité des collaborateurs, qu’ils soient d’ailleurs salariés ou agents  commerciaux, est majorée de fait et de droit par rapport à ce qu’elle était il y a trente, quarante ou cinquante ans.  Pour le dire autrement, la probabilité qu’un client ait affaire à un collaborateur habilité par son patron — et non au  patron lui-même — est sans doute de 90 %.

C’est la nature de l’aptitude exigée que le décret d’application de la loi de 2014 précisera. Des suggestions ont déjà été  formulées dans l’ouvrage collectif professionnel de 2010 et plus récemment par la FNAIM, l’ESI (École  supérieure de l’immobilier) ou l’IMSI (Institut du Management des Services Immobiliers). Une semaine de formation serait requise pour l’apprentissage des lois fondamentales, l’encadrement des activités, la déontologie, la copropriété,  les rapports locatifs et la fi scalité notamment. Il est clair qu’on ne parle pas de motivation à la vente mais des rudiments du droit spécifique, sans exclure une approche commerciale.

« Comment des métiers pour lesquels il faut se former une quarantaine d’heures pour exercer perdraient-ils de l’attractivité ? C’est même l’inverse. » HENRY BUZY-CAZAUX Président fondateur de l’Institut du Management des  Services Immobiliers, vice-président de FIABCI-France

Susciter l’attractivité de la profession

Pourquoi donc cette disposition de bon sens, protectrice du consommateur et valorisante pour les professionnels, ne  donnet-elle pas lieu à application ? Parce qu’une partie de la profession n’en veut plus. Elle considère que la liberté  de recruter serait mise à mal, oubliant au passage qu’il s’agit de transférer une partie du pouvoir de se  livrer à une activité règlementée et non de se choisir un simple collaborateur. L’UNIS a ainsi formulé cette pétition  de liberté du chef d’entreprise, ce qui est compréhensible mais ne correspond pas au sujet. D’autres redoutent que  la difficulté de recruter soit aggravée. Comment des métiers pour lesquels il faut se former une quarantaine  d’heures pour exercer perdraient-ils de l’attractivité ? En quoi serait-ce une fermeture ? C’est même l’inverse. On  est attiré par ce qui rend fi er et une activité à laquelle il faut se former est plus séduisante que si elle était ouverte à  tous les vents.  Quel nouveau négociateur, quel jeune gestionnaire ou quelle personne en reconversion n’aura-t-il pas la  satisfaction de dire à son entourage qu’il fait un métier difficile, honorable et par conséquent, qu’il a dû s’y préparer ?

« La profession se prive de prouver qu’elle veut pour elle-même un destin élevé. »

Reconnaître la compétence

Le résultat est attristant : le décret qui pourrait tellement contribuer à donner des professions immobilières une image plus rassurante, de plus grande compétence, est bloqué. L’exécutif, qui se dit sous tous les régimes  indépendants et le prouve parfois avec des mesures brutales et malvenues, est étrangement pris de frilosité et  attend l’unanimité professionnelle qui n’adviendra jamais. Sans compter le déni de démocratie qui consiste à ne  pas rendre applicable une loi votée, qui plus est sur ce point à la quasi unanimité du parlement.

Quant à la profession, elle se prive de prouver qu’elle veut pour elle-même un destin élevé. On rendra d’ailleurs  justice aux leaders des réseaux de mandataires : d’abord opposés à cette disposition qu’ils n’avaient pas demandée  en 2014 parce qu’ils n’avaient pas voix au chapitre, ils sont désormais majoritairement désireux de la voir entrer en  vigueur. Sans doute parce qu’ils ont plus à cœur que les autres de démontrer leur attachement à la compétence,  que la profession établie continue à l’accuser de négliger. Et à laquelle elle-même ne fait pas la place  qu’elle devrait. Bien plus qu’une polémique ou un thème de débat, c’est une question vitale pour les  intermédiaires.

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Henry Buzy Cazaux: Après avoir conseillé Pierre Méhaignerie, ministre de l'équipement et du logement, Henry Buzy-Cazaux a occupé des fonctions de responsabilité dans des entreprises immobilières de premier plan, FONCIA, Tagerim ou encore le Crédit Immobilier de France, mais également au sein des organisations professionnelles du secteur. Ancien délégué général de la FNAIM, il a aussi été administrateur de plusieurs autres syndicats immobiliers. Il a été chargé de mission auprès du président du Conseil de l'immobilier de l'Etat. Il mène depuis toujours une action engagée pour la formation aux métiers de l'immobilier: président d'honneur de l'Ecole supérieure des professions immobilières, cofondateur de l'Institut des villes, du territoire et de l'immobilier du Groupe ESSEC, il est aujourd'hui président fondateur de l'Institut du Management des Services Immobiliers, centre de prospective et d'enseignement. Il est enfin membre du conseil scientifique de l'observatoire immobilier des notaires et président du groupe "Immobilier, logement et ville durable" du Forum pour la gestion des villes et des collectivités locales et territoriales.