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« Le confort, cet obscur objet du désir », Fabrice Larceneux, chercheur CNRS

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Qu’est-ce qu’un habitat confortable ? Au delà du confort matériel, peut-être faut-il repenser un « bonheur d’habiter » compatible avec les nécessités environnementales ?

photo : fabrice larceneux

Il faut un minimum de confort pour pratiquer la vertu » écrivait St Thomas d’Aquin.

Chacun peut avoir sa propre idée du confort mais le Politique impose régulièrement sa vision pour définir un citoyen vertueux. Et cette vision a largement évolué au cours de l’Histoire.

Dès la fin du Moyen Âge, c’est le modèle du logement familial bourgeois, garant de l’intimité et de la sécurité, qui doit s’imposer comme nouvelle norme, remplaçant les maisons communautaires des corporations. La « culture d’intérieur » et ses normes d’habiter sont alors régulièrement redessinées en fonction des priorités de l’époque et de l’idée que l’on se fait du bien-être du collectif.

La propreté, la norme hygiéniste

Au cours du 19e siècle, pour lutter contre les épidémies et la surpopulation des villes, les pouvoirs publics encouragent de nouvelles normes de propreté et développent les réseaux de gaz, d’approvisionnement en eau potable et de rejet des eaux usées.

Les petits panneaux « eau et gaz à tous les étages » fixés sur les murs des villes révèlent les nouvelles exigences sanitaires et identifient les immeubles vertueux. Les taudis et leurs habitants ne sont, eux, même plus considérés comme objets de droit et d’intérêt.

C’est dans ce contexte que le Baron Haussmann reçoit mandat pour imposer une vision sanitaire à l’architecture de Paris, moins dense et mieux aménagée, où les notions d’intimité et d’hygiène deviennent les incontournables du confort des nouvelles constructions.

Les trente glorieuses, le confort matériel pour tous

Après-guerre, c’est le confort matériel et les équipements techniques des logements qui se démocratisent. Les pouvoirs publics soutiennent la création de grands ensembles équipés du chauffage central, d’ascenseurs, de vide-ordures, etc. L’accès généralisé à l’eau courante autorise douches et baignoires, le gaz permet de contrôler plus facilement le chauffage, l’électricité facilite la lumière à volonté et la variété des équipements (machine à laver, réfrigérateur, etc). Le dedans s’autonomise de plus en plus du dehors, voire le défie. On peut être en tee-shirt chez soi en hiver et mettre un pull dans les espaces climatisés en été. La norme est alors de se jouer du temps qu’il fait, d’utiliser le progrès technique pour contrôler son environnement immédiat. Symboliquement, l’amélioration du confort intérieur renforce la cellule familiale nucléaire comme unité décisionnaire et responsable : la fierté pour l’habitant, c’est autant la possession de son logement que la capacité d’en contrôler son organisation. La villa Arpel du film « Mon oncle » de Jacques Tati illustre à merveille l’avènement de « la machine à habiter » de Le Corbusier.

 

« Symboliquement, l’amélioration du confort intérieur renforce la cellule familiale nucléaire comme unité décisionnaire et responsable. »

 

Le pavillon est alors le fer de lance du « tous propriétaires » de la politique du logement : le symbole du confort, de la réussite et du bonheur individuel. Par la suite, le logement se doit de favoriser l’épanouissement personnel. Le confort, de par l’organisation des pièces, l’ameublement ou la décoration, devient plus expérientiel et sensoriel. La vue, l’ouie, le toucher ou même l’odorat sont travaillés pour apporter des réponses émotionnelles positives. C’est dans cet esprit que, par exemple, la salle de bain doit servir le bien-être et devenir une « salle de bien ».

Le confort énergétique, un renversement des normes

Mais « le pavillon est aujourd’hui un non-sens écologique, économique et social » déclarent en substance urbanistes et politiques. De fait, les contextes géopolitiques, technologiques, environnementaux s’invitent au sein des logements et des manières d’habiter. Les différentes crises obligent à « désautonomiser » l’intérieur de l’extérieur. Elles redessinent les contours de ce qu’est, ou doit être, le confort. Avec l’explosion des prix de l’énergie, les habitudes de consommation énergétique doivent s’adapter : mettre un pull en hiver redevient une norme et l’idée d’un confort orienté vers un plaisir sans effort et sans contrainte, se heurte à une gestion raisonnée des ressources limitées. Les injonctions environnementales des pouvoirs publics s’imposent : il faut économiser l’énergie, trier les déchets, apprendre la sobriété, etc.

La réduction de la consommation énergétique doit-elle passer par une diminution du confort ? Les progrès technologiques y répondront de manière sans doute convaincante s’ils sont associés à des changements de comportements de l’ensemble des citoyens. Et les pouvoirs publics tentent aujourd’hui de les inciter. Les logements non vertueux se définissent alors par les scores E, F, G des étiquettes énergétiques affichées sur les annonces.

Dans ce contexte, les inégalités de confort génèrent d’autres inégalités, économiques tout d’abord (ce sont souvent les moins riches qui habitent les logements les plus énergivores), ensuite et surtout symboliques : puisque la moitié des maisons individuelles souffre d’une mauvaise performance énergétique (E, F, G), le pavillon est devenu aujourd’hui le symbole de l’hérésie écologique, et son propriétaire, l’archétype du citoyen peu vertueux. Lourde image à porter pour ceux qui avaient simplement suivi les incitations des pouvoirs publics et les normes de l’époque…

 

« En quelques années, le pavillon est devenu le symbole de l’hérésie écologique. »

 

Finalement, par delà les normes, le confort ne serait-il pas aussi la sensation de se sentir bien chez soi ? Et ce confort psychologique n’est pas forcément lié à la technicité des équipements ou au diagnostic énergétique. Il est plus complexe à évaluer.

C’est un « bonheur d’habiter », un ressenti émotionnel qui ne doit pas être oublié, car c’est lui qui fera accepter plus facilement les normes imposées aujourd’hui, et leur évolutions demain.

 

1 : Fijalkow, Y. (2022). The notion of housing need in France: From norms to negotiations. Urban Planning, 7(1), 197-206.

Fabrice Larceneux

Chercheur CNRS au centre de recherche DRM (Dauphine Recherche en Management), ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégé d’Economie et Gestion, il est titulaire d’un doctorat en Sciences de Gestion de l’Université Paris Dauphine. Auteur de différentes publications scientifiques et de l’ouvrage Marketing de l’immobilier (Dunod), il assure des cours de marketing de l’immobilier à l’Université Paris-Dauphine.

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