Philippe Briand a beau être à la tête d’une énorme galaxie – le groupe Arche – il a les pieds bien sur terre. En matière d’immobilier, il défend des valeurs plutôt traditionnelles.
Le groupe Arche, c’est 5 des plus grands réseaux immobiliers, un total de 2 870 agences, une participation majoritaire au sein du portail Bien’ici… Quel regard portez-vous sur cette position ultra-dominante ?
Aujourd’hui, je tiens à préciser que 90 % des transactions immobilières se font encore sans nos marques, ce qui ne place pas Arche dans une position ultra-dominante. En ce qui concerne Bien’ici, si nous n’avions pas racheté les parts de Nexity, le portail tombait entre les mains d’un grand-faiseur, qui aurait tué les professionnels de l’immobilier à petit feu… Je ne voulais pas que l’immobilier vive ce que l’hôtellerie a vécu avec Booking. Gardons en tête qu’Arche, c’est avant tout une entreprise familiale. Or, c’est plus solide, pour les clients et les collaborateurs, que d’être dirigé par de grands groupes financiers. Avec le recul, je pense d’ailleurs que c’est grâce à cette dimension familiale que nous avons racheté autant de marques au fil des années. C’est plus rassurant de se tourner vers nous que vers des fonds. Cette solidité, elle s’illustre aussi par le fait que nous réinvestissons nos bénéfices en capitaux propres, sans jamais distribuer de dividendes, et ce depuis qu’Arche existe.
Arche, en quelques chiffres :
– 5 réseaux immobiliers : Citya, Laforêt, Guy Hoquet, CENTURY 21, Nestenn
– Actionnaire majoritaire d’un portail d’annonces : Bien’Ici
– 2 870agences immobilières, à l’origine de 110 000 transactions en 2023
– 23 500 collaborateurs
– 1,45 milliard de chiffre d’affaires en 2024
D’après la FNAIM, le nombre de transactions immobilières s’est écroulé de 36 % entre 2021 et 2024. Comment les agences de vos réseaux immobiliers ont-elles traversé cette crise inédite ?
Nos agences ont été moins frappées que les agences entièrement indépendantes, en termes de fermetures. Le soutien du réseau, la priorité donnée à la formation, le poids des marques y sont pour beaucoup. Ces deux dernières années, le nombre d’ouvertures d’agences a tout de même ralenti : une vingtaine par an et par réseau, versus une quarantaine habituellement.
Nous entrevoyons toutefois une embellie depuis le début de l’année, ce qui nous laisse envisager une croissance de 15 % en 2025. Le nombre d’ouvertures d’agences est de nouveau en augmentation.
Sur les 80 ouvertures d’agences enregistrées au cours du premier semestre sur l’ensemble de nos réseaux, on dénombre une majorité d’entrepreneurs mais aussi des franchisés qui cherchent à s’étendre, des négociateurs réseau qui se lancent et des indépendants qui rejoignent nos marques. Cela démontre que les entrepreneurs continuent de croire en l’immobilier, qui est à la fois un besoin primaire et une valeur refuge.
Quel poids donnez-vous à la formation des professionnels de l’immobilier au sein du groupe ?
Philippe Briand
J’ai toujours voulu que la formation soit un sujet stratégique, y compris lorsque le groupe Arche avait « seulement » Citya. Depuis le début, nous axons notre catalogue de formation sur 3 aspects : la législation, les technologies ainsi que le savoir-être, notamment sur les règles de bienséance que les agents immobiliers devraient tous connaître étant donné qu’ils sont dépositaires de la confiance de leurs clients !
Cet effort de formation a payé et j’en suis fier car Citya est en 2e position du Palmarès 2025 de la Relation Client, d’après Les Échos-HCG. Devant des marques comme LVMH, BMW, BNP Paribas… Alors qu’en France, la loi impose aux organisations de consacrer, au minimum, 1 % de leur masse salariale à la formation professionnelle, nous en consacrons 8 % pour le réseau Citya. C’est à la hauteur de l’importance de la mission sociétale des agents immobiliers : loger les Français. Nos autres marques ont, elles aussi, à cœur de former leurs collaborateurs.
À l’échelle du groupe, 10 000 collaborateurs sont formés chaque année par nos soins.
Le poids que vous donnez aujourd’hui à la formation vise-t-il à « compenser » les lacunes que les syndicats professionnels (FNAIM, UNIS…) pointent régulièrement du doigt en matière de formation des professionnels de l’immobilier ?
Nous souhaitons aller plus loin.
Aujourd’hui, le secteur forme surtout les futurs professionnels sur des métiers précis : comptable copropriété, gestionnaire gérance, gestionnaire de syndic… Cependant, la dimension commerciale est trop souvent délaissée. C’est aussi sur cette dimension que les professionnels doivent monter en compétences. Car être sympathique et avoir un bon relationnel avec des clients, ce n’est pas forcément être un bon vendeur.
Les agents immobiliers doivent donc acquérir des techniques commerciales
pour parfaire leur expertise.
Les réseaux de franchise le font déjà très bien. Lorsque j’ai fini par entrer – un peu par curiosité – dans le monde de la franchise via l’acquisition du réseau Laforêt en 2017, la qualité des écoles de formation m’a marqué. Je l’ai moins constaté au sein des réseaux mandataires, qui affichent un turnover très important : le niveau de connaissance des collaborateurs y était alors beaucoup plus hétérogène.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, nous attendons encore le contour du décret d’application de la Loi Alur sur la formation initiale des collaborateurs en immobilier (mandataires, négociateurs salariés…). Celui-ci vise à garantir un niveau de compétence minimum pour les 120 000 professionnels qui exercent pour le compte d’agents immobiliers et de syndics titulaires d’une carte professionnelle. Que pensez-vous des modalités proposées par ce décret ?
Le décret s’achemine vers une formation de 35 heures : c’est un bon premier pas. Toutefois, cela ne doit pas dispenser les agences de former, chaque année et tout au long de l’année, leurs collaborateurs. Il faudrait qu’un nombre d’heures minimum par an et par collaborateur soit prévu par ce décret.
En réalité, vendre un bien n’est pas difficile. Ce qui l’est, c’est de bien conseiller un acquéreur sur le cadre juridique de l’achat, la manière de financer un bien, de mettre en concurrence les assurances…
C’est uniquement en formant ces collaborateurs en immobilier qu’on réussira
à renforcer leur posture de conseil.
Si l’apprentissage à distance a du bon – par exemple lorsqu’il s’agit d’apprendre un savoir technique – le présentiel a ma préférence. Cette modalité permet aux collaborateurs de se mesurer. La technologie a plein de vertus mais a un inconvénient majeur : celui de renforcer l’isolement. Se former en présentiel, c’est apprendre des autres et ça, c’est irremplaçable.
D’après le baromètre annuel de la Maison des mandataires, les réseaux de mandataires ont aujourd’hui une part significative des transactions intermédiées : 27 % en 2024. C’est 2 points de plus qu’en 2023 et 14 points supplémentaires par rapport à 2018. Votre regard change-t-il sur les mandataires immobiliers ?
Je ne suis pas l’ennemi des mandataires. Déjà, parce qu’au sein du groupe, les agents commerciaux embauchés par nos agences s’apparentent aux mandataires. La seule différence, c’est qu’ils sont « résidents » dans nos agences : ils bénéficient d’une infrastructure, de l’accompagnement d’une équipe… Ensuite parce que les mandataires parviennent à capter des affaires qui étaient jusqu’ici non-intermédiées, notamment dans les zones rurales, où la notion de proximité est forte.
En cela, les mandataires font donc progresser le pourcentage d’intermédiation du marché, ce qui est positif pour l’ensemble de la profession. Car rappelons qu’en France, 30 % des transactions échappent encore aux professionnels de l’immobilier, versus seulement 10 % aux États-Unis. Le « décret formation » devrait d’ailleurs aider les mandataires – dont certains sont des professionnels non formés – à monter en compétences, donc à grignoter des parts de marché sur ce marché non-intermédié.
Au 1er janvier 2026, la méthode de calcul du DPE évoluera. Le coefficient de conversion de l’électricité en énergie primaire sera abaissé, permettant à 850 000 logements chauffés à l’électricité de quitter le statut de passoire thermique, selon Matignon. Que pensez-vous de ce revirement de situation, qui fait grincer les dents des propriétaires ayant déjà entrepris des travaux de rénovation ?
Ce qui me choque davantage, c’est l’application du DPE et ses conséquences parfois délétères sur la vie des gens et sur la pénurie de locations, qui s’aggrave. Par ailleurs, je trouve étonnant que, selon les organismes de diagnostic, les résultats d’un même DPE puissent varier. Là encore, il est nécessaire de former l’ensemble de cette profession et de lui donner un cadre clair, pour éviter ce genre de dérives. Par ailleurs, l’application du DPE devrait être mieux adaptée au terrain. Rénover, ça prend du temps pour les copropriétés, environ 3 ans.
Cela ne peut pas se faire en un claquement de doigt ! Il faut faire voter le DPE collectif en assemblée générale, monter le financement, lancer les appels d’offres… Il est évident que pour des questions environnementales, il faut rénover les logements, mais uniquement ceux qui sont « rénovables ».
Dans certains cas, il vaut mieux détruire des logements et en construire des neufs.
Cela coûte parfois aussi cher : une belle rénovation, c’est environ 2 000 euros du mètre carré tandis qu’une construction à neuf, c’est entre 2 000 et 2 200 euros.
Le statut fiscal du bailleur privé – toujours en discussion – est réclamé à cor et à cri par les professionnels de l’immobilier depuis plusieurs années. Selon vous, est-ce une bonne manière de relancer l’investissement locatif ?
Les bailleurs ont des problèmes financiers. Avant, la taxe sur le foncier bâti correspondait à un mois de loyer. Depuis que la taxe d’habitation a été supprimée, c’est trois mois. S’ils sont assujettis à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), ils versent de nouveau un mois de loyer. Par contre, s’ils avaient des actions Paypal, une entreprise américaine dont les retombées vont aux États-Unis, ils ne payeraient pas d’IFI.
Bref, les propriétaires bailleurs génèrent de moins en moins de recettes locatives via leurs investissements. Ça leur coûte parfois plus que ce que ça leur rapporte. C’est pour ça qu’ils fuient : ils ont trop de contraintes, trop de frais ! Selon moi, la solution pour relancer l’investissement locatif serait – plus que le statut du bailleur privé – d’aligner la fiscalité immobilière sur celle des produits financiers. De cette manière, les particuliers diversifieraient leurs investissements : ils placeraient leur argent sur de l’assurance vie, dans l’immobilier, dans un portefeuille d’actions…
Il est urgent de clarifier et d’imposer la même règle du jeu à tout le monde.
Vous portez souvent un regard acerbe sur la politique du logement du Gouvernement, que vous considérez comme « une République d’apprentis qui a perdu tout sens de l’orientation », selon vos propres mots, prononcés lors du Congrès 2024 de la FNAIM…
Aujourd’hui, nous sommes dans un pays qui n’a pas de politique de logement. On se demande même si c’est un sujet qui intéresse le Gouvernement.
Pourtant, la construction de logements, c’est 20 % de recettes pour l’État !
Tout ce qu’ils savent dire c’est que le logement coûte cher. Le jour où la TVA ne s’appliquera plus sur le logement, cela coûtera déjà 20 à 25 % moins cher ! Le problème, c’est que nous sommes gouvernés par des élus qui ne sont plus formés. Avant, ils commençaient par être conseiller municipal puis adjoint au maire puis maire puis conseiller départemental… Au fil de leurs expériences, ils gagnaient en maturité et consolidaient leurs connaissances. Maintenant, n’importe qui peut devenir député : il suffit de répondre à un questionnaire sur Internet ! Si bien que des personnes sans aucune connaissance arrivent à l’Assemblée. Elles ont certainement plein de bonnes idées, mais elles matchent rarement avec la réalité du terrain.
Philippe Briand est né le 26 octobre 1960, à Tours. Il est notamment diplômé de l’Institut des Hautes Etudes de l’Entreprise (IHEE) de Paris et titulaire d’un Master en Management des Services Immobiliers de l’IMSI. Ancien député (de 1993 à 2017) notamment pour le RPR, l’UMP et LR, ancien secrétaire d’État chargé de l’Aménagement du Territoire (2004) et maire de Saint-Cyr-sur-Loire depuis 1989, il est également Commandant de l’Armée de l’Air de réserve. Entrepreneur, il dirige aujourd’hui Arche, un groupe qu’il a créé en 1990 à Tours et qui regroupe des réseaux d’agences immobilières ainsi que des filiales spécialisées en assurances, diagnostics, financement, conciergerie…
Aurélie Tachot est une journaliste spécialisée dans l'immobilier, qu'elle aime aborder sous le prisme des innovations, notamment technologiques. Après avoir été rédactrice en chef de plusieurs médias spécialisés, elle collabore avec Le Journal de l'Agence afin de rédiger des articles d'actualité sur les acteurs qui font l'immobilier d'aujourd'hui et qui feront celui de demain.