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« La data rend-elle vraiment les marchés immobiliers plus transparents et plus sages ? », Claire Juillard sociologue, spécialiste des marchés immobiliers.

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La diffusion d’informations sur les prix, notamment sous forme de données, ne se traduit pas systématiquement par plus de transparence sur les marchés du logement, ni par des effets modérateurs sur les prix. Qu’en est-il dans les faits ? La réponse de Claire Juillard suite à l’étude menée avec Alexandre Coulondre.

photo : Stock financial index of successful investment on property real

Les idées toutes faites sur les marchés immobiliers sont nombreuses. En voilà une : le libre accès aux données immobilières concourt à la transparence des marchés et limite en conséquence les comportements inflationnistes. Cette idée est très répandue. Elle justifie aussi bien la politique d’Open data de l’Etat que la mise à disposition gratuite de données de marchés par les entreprises de la Proptech[1]. Sa force tient au fait qu’elle fait référence à une valeur réputée sûre : la théorie économique.

Que dit la théorie ? Elle établit que la transparence, en instaurant la bonne information des acteurs économiques sur les caractéristiques et les prix des biens et des services, contribue à une concurrence pure et parfaite et facilite la rencontre de l’offre et de la demande en un point d’équilibre notamment défini en termes de prix.

A y regarder de près, la théorie véhicule trois postulats implicites : que la mise à disposition d’une information implique nécessairement son usage de la part des acteurs économiques ; que l’usage de cette information débouche assurément sur une meilleure connaissance des marchés ; que cet usage a un effet modérateur sur les prix.

Qu’en est-il dans les faits ? Les pratiques concrètes des acteurs invitent à nuancer chacun de ces postulat. En particulier, les usages que les vendeurs de logements, cette catégorie centrale et pourtant mal connue du jeu de l’achat-vente, font des informations spécifiques que constituent les données de prix aboutissent aux constats suivants. D’abord, la consommation de données est certes une pratique répandue mais elle n’est pas généralisée et s’avère socialement et géographiquement située. Ensuite, la data procure un sentiment de transparence aux vendeurs qui en consomment avec modération mais floute la vision de ceux qui en consomment beaucoup. Enfin, l’usage des données de prix peut encourager un alignement sur les valeurs hautes du marché.

1. Il ne suffit pas que des données de prix soient accessibles à tous pour qu’elles soient utilisées par tous

Près d’un vendeur sur quatre consomment des données sur le prix des logements. La donnée est donc bien utilisée par un nombre significatif de vendeurs mais pas par la totalité. Elle n’est pas utilisée par tous les profils de vendeurs non plus, sinon plus ou moins intensément. En l’espèce, la consommation de données varie avec l’âge et la position sociale. D’un côté, les plus « gros » consommateurs ont tendance à être plus âgés et à occuper un rang plus élevé dans la hiérarchie socioprofessionnelle (cadres, chefs d’entreprise, etc.). De l’autre côté, les plus « petits » consommateurs concentrent les vendeurs moins âgés et les catégories socioprofessionnelles inférieures (ouvriers et employés). Il faut dire notamment que les personnes les moins diplômées et aux revenus modestes font partie des populations les moins bien équipées et les moins compétentes au plan numérique[2]. De façon assez contre-intuitive donc, l’évolution du paysage informationnel en faveur de la donnée contribuerait plutôt à renforcer une forme de ségrégation informationnelle[3]. Elle réduirait l’asymétrie d’information en faveur des vendeurs les plus dotés et renforcerait la rente de professionnels également de mieux en mieux informés face à des vendeurs relativement démunis.

Mais aussi, 40% des plus grands consommateurs de données évoluent en marché tendu et à peine 15% en marché détendu. Les zones de tension immobilière concentrent donc davantage de consommateurs de données. On peut y voir l’effet des profils des vendeurs, eux-mêmes situés géographiquement, les catégories socio-professionnelles supérieures étant plus nombreuses en zone tendue qu’en zone détendue. On peut également y déceler la tentation plus grande de scruter les valeurs de marché dans des territoires où les prix évoluent rapidement.

En bref, contrairement à ce que sous-entend la théorie, il ne suffit pas que des données de prix soient accessibles à tous pour qu’elles soient utilisées par tous. Autrement dit, la mise à disposition de données n’implique pas forcément leur utilisation. La bonne information des acteurs économiques ne tient pas seulement à une question d’offre de données. C’est aussi une question d’usage.

2. La donnée a un effet conditionné sur la transparence des marchés

La donnée procure un sentiment plus grand de transparence des marchés aux vendeurs qui en consomment. Mais au-delà d’un certain seuil, l’utilisation de la donnée de prix floute la vision du marché. En effet, les plus grands consommateurs de données sont deux fois plus nombreux que les petits consommateurs à entretenir le sentiment que le marché immobilier manque de transparence.

Pourquoi ? D’abord, parce qu’interpréter les données disponibles sur les marchés est un exercice complexe. Ensuite, parce que les données se font de plus en plus nombreuses, notamment sur Internet et qu’elles sont difficiles à comparer. Valeurs estimées, prix de vente, prix moyens : l’ensemble dessine effectivement un vaste paysage informationnel dans lequel se repérer s’avère délicat.

Parmi les données, les estimations et les prix moyens sont d’autant plus difficiles à comparer que les différents sites Internet et applications qui en fournissent peuvent afficher des résultats très divergents pour un même secteur géographique ou pour un même bien estimé. La confusion s’accroit encore lorsqu’à ces données s’ajoutent les références de prix que les particuliers recueillent auprès de leur entourage et des agents immobiliers, encore centraux dans le paysage informationnel.

D’un point de vue technique, l’éventail parfois très large de valeurs collectées sur la toile même s’explique par l’hétérogénéité des dispositifs méthodologiques qui sous-tendent leur production. Mais du point de vue des particuliers, ces divergences sont difficilement compréhensibles, d’autant que les méthodes sont peu transparentes. L’« opacité méthodologique »[4] limite la capacité des particuliers à comparer les valeurs qu’ils compilent dans leur recherche de références de prix. Elle renvoie à la concurrence qui se joue sur le marché même de la donnée. Sur ce nouveau marché en effet, les données (et les méthodes) servent avant tout à capter des flux d’utilisateurs et d’informations les concernant afin de générer des prospects qualifiés et d’en faire commerce aux professionnels de l’intermédiation immobilière.

3. La donnée favorise les paris gagnants mais n’a pas forcément un effet modérateur sur les prix

Près de la moitié des plus grands consommateurs de données considèrent avoir positionné leur prix de mise en vente dans le milieu de la fourchette et plus d’un tiers dans la fourchette haute. Cette répartition est spécifique aux vendeurs qui consultent des données en quantité importante pendant leur parcours. Parmi l’ensemble des vendeurs, une plus forte proportion vise le milieu de la fourchette et une plus faible proportion la fourchette haute.

Le positionnement du prix de mise en vente varie donc avec la consommation de données. La tendance supérieure à viser les prix hauts des vendeurs qui consomment beaucoup de données peut être rapprochée d’au moins deux raisons. D’abord, ces vendeurs sont plus souvent localisés en zones immobilières tendues, zones qui affichent de fortes augmentations de prix et qui sont propices à des tentatives d’enchère. Ensuite, on l’a vu, ils ont une plus forte propension à entretenir un sentiment de discordance informationnelle. Au fond, les tensions sur les marchés ne seraient pas seules en cause dans les tendances haussières de l’immobilier. Se pencher sur les usages des données indique que le flou qui entourent les marchés pourtant les plus scrutés peut constituer un facteur supplémentaire de croissance des prix.

Ce n’est pas tout : non seulement les plus gros consommateurs de données surfent sur des prix hauts mais ils sont surreprésentés parmi les vendeurs qui ont vendu à un prix final proche de celui qu’ils avaient proposé au départ et dans des délais relativement plus courts. Ce sont donc aussi les plus satisfaits de la transaction conclue. Finalement, la consommation de données semble davantage augmenter la performance économique des vendeurs que minimiser la hausse des prix.

Une histoire à suivre …

La diffusion d’informations sur les prix, notamment sous forme de données, ne se traduit pas systématiquement par plus de transparence sur les marchés du logement, ni par des effets modérateurs sur les prix. Les liens qu’entretiennent ces variables sont complexes. Ils dépendent du contexte social et territorial dans lequel les données sont diffusées. En l’occurrence, la France de 2021 oppose à la libération des données un contexte hétérogène tant sur le plan des populations et des territoires que des acteurs qui concourent au marché de la connaissance immobilière. L’histoire est en cours, elle est à suivre…

 

Claire Juillard

 

Cet article est tiré d’une étude réalisée avec Alexandre Coulondre et le soutien financier du Groupe BPCE, de Crédit Logement, du LIFTI et du PUCA. L’étude s’appuie sur une enquête par questionnaires auprès de vendeurs de logements en France.

Coulondre A., Juillard C., Ce que la data fait au marché. Données immobilières, transparence des marchés et fixation des prix des logements en France, avec le soutien de Crédit Logement, Groupe BPCE, LIFTI, PUCA (juillet 2021).

 

L’étude est disponible auprès d’Alexandre Coulondre et de Claire Juillard 

Les auteurs proposent de faire des présentations détaillées de leurs résultats en entreprise, ainsi que de réaliser des exploitations complémentaires sur mesure de l’enquête par questionnaires.

 


 

[1] Boulay G., Casanova Enault L., Coulon M. (2019), « Une aubaine pour les géographes ? Intérêts des fichiers open DVF sur les transactions foncières et immobilières et précautions d’usage », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], document n°925 : https://journals.openedition.org/cybergeo/33602#bodyftn19; Juillard C. (2019), Le tournant numérique des données immobilières : permanences et recompositions, Etude publiée par Iread avec le soutien d’Iread, du LIFTI, du PUCA et d’Urbanics.

[2] Leglaye S., Rolland A. (2019), « Une personne sur six n’utilise pas Internet, plus d’un usager sur trois manque de compétences numériques de base », Insee Première, n°1780.

[3] Boeing G. (2019), « Online rental housing market representation and the digital reproduction of urban inequality », Environment and Planning A: Economy and space.

[4] Boulay G., Blanke D., Casanova Enault L., Granié A. (2020), « Moving from Market Opacity to Methodological Opacity: Are Web Data Good Enough for French Property Market Monitoring? », The Professional Geographer.

Claire Juillard

Claire Juillard est docteur en sociologie, spécialiste de la ville, du logement et des marchés immobiliers.
Elle a co-fondé et co-dirigé pendant sept ans la Chaire Ville et Immobilier à l'Université Paris-Dauphie et offre dorénavant ses services aux acteurs de l'immobilier au sein d'Oggi Conseil, sa propre agence de conseil et de recherche.
Elle intervient tant en amont qu'en aval des projets, dans une démarche d'expertise et de production de contenus à forte valeur ajoutée. Elle développe en parallèle une activité éditoriale à partir de recherches qu'elle réalise grâce à la souscription financière de partenaires issus de l'immobilier.

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