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« Transmission successorale & délai de préavis du congé pour vente », Me Cyril SABATIE

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La délivrance d’un congé pour vente est toujours un exercice délicat, notamment depuis la loi Alur lorsque le bien est acquis par voie successoral. Attention aux délais ! Décryptage par Cyril Sabatié, avocat spécialiste en droit immobilier .

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Depuis la loi dite Alur du 24 mars 2014, en cas d’acquisition d’un bien occupé le nouveau bailleur ne peut plus donner congé en respectant le délai usuel de préavis de 6 mois. En effet, l’article 15 I de la loi du 6 juillet 1989 dispose depuis lors que :

  • Soit le terme du contrat de location en cours intervient plus de trois ans après la date d’acquisition, le bailleur peut alors donner congé à son locataire pour vendre le logement au terme du contrat de location en cours.
  • Soit le terme du contrat de location en cours intervient moins de trois ans après la date d’acquisition, le bailleur ne peut donner congé à son locataire pour vendre le logement qu’au terme de la première reconduction tacite ou du premier renouvellement du contrat de location en cours. En application de cette disposition, d’ordre public, un congé délivré pour le terme du bail alors qu’il reste moins de trois ans d’occupation au locataire est nul.

Cette mesure anti spéculative[1] vise expressément les acquisitions d’un bien occupé. Mais cette disposition s’applique-t-elle au transfert de propriété par voie successorale ? Question que doivent impérativement se poser les agents immobiliers lorsque la commercialisation de ce type de biens leur est proposée par des héritiers.

A priori l’héritage d’un bien locatif ne semblait pas entrer dans la philosophie de ce dispositif, puisque juridiquement les successibles du de cujus ne font pas l’achat du bien occupé. Il est vrai cependant qu’au sens de l’article 711 du Code civil la donation ou la succession est un mode d’acquisition de la propriété.

Le CRIDON[2] de Paris a d’ailleurs publié le 28 octobre 2018 un avis en ces termes : « Les dispositions relatives aux congés délivrés par les bailleurs ayant acquis un bien occupé visent exclusivement les bailleurs ayant acquis à titre onéreux l’immeuble occupé. Il n’y a aucune raison de faire application de ces textes lorsqu‘un congé est donné consécutivement à la transmission du bien par voie successorale ou par libéralité (donation, legs,) ». 

La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 12 mars 2019 n°16-17263, avait d’ailleurs confirmé sans ambiguïté cette analyse et écarté l’application de « ce délai de préavis rallongé » en cas de dévolution successorale.

Précisons que la chambre des huissiers de Paris était à l’époque plus circonspecte et prudente sur cette interprétation tranchée du notariat.

Or, peu de temps après, la cour d’appel de Paris[3] a jugé au contraire que cette disposition contraignante devait s’appliquer lorsque le transfert de propriété du bien s’est opéré par le biais d’un leg. Dans cette espèce l’association nouvellement propriétaire faisait valoir que le bien lui avait été légué et qu’elle ne l’avait pas acquis à titre onéreux, qu’elle n’avait donc pas à respecter ce délai de préavis de 3 ans. Mais en première instance, comme en appel, les magistrats ont annulé le congé et ont considéré que cette condition n’était pas prévue par l’article 15 de la loi de 1989, texte d’ordre public.

La cour d’appel de Paris dans un arrêt du 6 octobre 2022 n°20-04688 semble opérer un revirement par rapport à sa jurisprudence précitée du 12 mars 2019 et suivre l’interprétation adoptée le 19 novembre 2021 sur la question de l’acquisition par leg.

En effet, pour les juges parisiens, il ne résulte pas de l’article 15 susvisé que les conditions énoncées s’imposent aux seuls acquéreurs à titre onéreux d’un bien occupé et non aux acquéreurs à titre gratuit. Il n’y a donc pas lieu d’ajouter à la loi, protectrice des droits du locataire, une condition qu’elle ne contient pas.

Ainsi, en attendant un éventuel arrêt de principe de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, il apparaît que les bailleurs qui héritent d’un bien par succession doivent également respecter ce « délai de préavis rallongé » lorsque le terme du contrat de location en cours intervient moins de trois ans après la date du transfert de propriété à leur profit.


[1] Voir en ce sens l’amendement CE586 : Extrait de l’exposé sommaire « L’objet de cet amendement est de lutter contre les ventes à la découpe, qui menacent nombre de locataires, notamment en zones tendues, mais pour lesquelles la loi n’offre pas une protection suffisante. Certains locataires se retrouvent ainsi évincés d’un logement occupé parfois depuis des dizaines d’années. »

[2] Centre de recherches, d’information et de documentation notariales.

[3] CA Paris, pôle 4 – ch. 3, 19 novembre 2021, n°19-05893.

Cyril Sabatié

Cyril SABATIE est avocat au Barreau de Paris et associé fondateur du Cabinet LBVS AVOCATS. Il dispose également de deux autres cabinets sur Nice et Angers destinés principalement au conseil des professionnels de l’immobilier et de la construction. Il a été notamment Directeur juridique de la FNAIM et est l’auteur de divers parutions et articles sur le droit immobilier, en particulier l’ouvrage COPROPRIETE aux éditions Dalloz-Delmas.
Il est également membre de la Chambre nationale des experts en copropriété (CNEC) et de la Chambre des experts immobiliers FNAIM (CEIF).

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