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« Les mètres carrés perçus : vers un diagnostic émotionnel » Fabrice Larceneux, chercheur CNRS

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Tous les mètres carrés ne se valent pas. Pour orienter l’appréciation des acheteurs, présentons-les stratégiquement.

photo : Larceneux

Andy Warhol disait « Tout est artificiel, dans une certaine mesure ». Et n’importe quelle mesure est artificielle. Elle est construite par l’Homme pour étalonner tout ce qui l’environne. Mesurer la taille d’un objet avec un instrument fiable, c’est objectif et valorisable. La surface d’un logement mesurée par des mètres carrés fournit une valeur supposée être vraie quelles que soient les situations. Et pourtant ! Des surfaces a priori identiques peuvent être perçues différemment. Tous les mètres carrés ne se vaudraient-ils pas ?

La loi Carrez pour objectiver la perception des surfaces

Le premier à avoir relativisé la valeur des mètres carrés est Gilles Carrez. Il n’est pas un géomètre, encore moins ingénieur expert du métrage des surfaces. Il a plutôt fait ses classes à l’ENA. Pourtant, dès 1965, il laisse son nom à l’une des mesures les plus utilisées en immobilier, mettant en lumière le concept de surface perçue. La loi Carrez a ainsi pour but « d’objectiver » l’utilité d’une surface d’un logement pour y habiter.

Et cette vision est déclinée dans le Code de la construction : l’article R111-2 introduit la notion de surface habitable à partir de la surface construite (hors murs, embrasement, gaines, etc.) dès lors qu’elle dépasse 1,80 m ; et rejette les autres surfaces annexes. La surface utile définie par l’article R335-15 propose, elle, de réintégrer pour moitié de leur métrage ces surfaces de plus de 1,80 m (cave, sous-sols, remises, combles, etc. mais pas les garages…). Bref, le législateur lui-même perçoit les mètres carrés différemment en fonction des situations.

Des surfaces identiques perçues plus ou moins grandes

La valeur d’une surface dépendrait ainsi de son utilisation. En réalité, elle dépend (surtout) de l’attrait pour le marché, et en particulier pour l’acheteur. Les recherches en psychologie cognitive sont éclairantes à ce niveau. Les chercheurs américains Sadalla et Oxley ont par exemple mis en évidence le « biais de rectangularité ». Les acheteurs auraient ainsi tendance à préférer une pièce rectangulaire aux autres formes d’espace. Plus précisément, pour une surface identique, les pièces rectangulaires sont perçues plus grandes que les pièces carrées… Les chercheurs démontrent que les proportions d’un rectangle influencent la taille perçue.

Concrètement, les gens jugent une pièce de 36 mètres carrés différemment selon sa forme : une pièce de 6 m x 6 m est ainsi perçue plus petite qu’une pièce de 12 m x 3 m. D’après les experts en psychologie, cela s’explique par le fait que les points extrêmes sont perçus comme plus éloignés dans les rectangles que dans les carrés. Une surface allongée sera perçue plus grande qu’une surface ramassée.

Pour autant, davantage d’espace ne signifie pas toujours que l’on préfère cet espace. Intuitivement, il paraît évident qu’une pièce de 6 m x 6 m sera préférée à une pièce/couloir de 36 m x 1 m. Elles ont la même surface objective, un nombre de mètres carrés perçus supérieurs pour la seconde mais un attrait évidemment moindre.

Existerait-il alors un ratio (longueur X largeur) idéal ? Cette question n’est pas simple. Elle a été l’objet de nombreux travaux depuis l’Antiquité, en architecture comme en art. En particulier, la valeur du ratio longueur / largeur = 1,618 correspond au nombre d’or, le nombre qui définirait les proportions parfaites (base des calculs des pyramides de Gizeh ou du Parthénon à Athènes). Ce ratio représenterait ainsi la perfection de l’harmonie dans l’art. On pourrait parler de l’organisation de l’espace universellement la plus appréciée.

 

 

Le diagnostic émotionnel : l’espace prend sa valeur selon ce que l’acheteur y projette

Et cette appréciation ne s’arrête pas à une organisation de l’espace particulièrement harmonieuse. L’espace n’est pas neutre. Il prend sa valeur en fonction de ce que l’acheteur y projette. Et ces projections sont ambivalentes car elles peuvent générer des états psychologiques variés, positifs ou négatifs : de grandes pièces peuvent créer un sentiment agréable d’étendue, de liberté, mais elles peuvent aussi, à l’inverse, générer une sensation de vide, pourvoyeuse d’inquiétude et de malaise. Les petites pièces peuvent générer un sentiment de bien-être, de cocooning, de sécurité ou à l’inverse une sensation désagréable de confinement et d’étouffement… Les mêmes mètres carrés peuvent ainsi représenter un atout ou une difficulté pour un logement. Et c’est à l’agent immobilier qu’est dévolu le diagnostic des émotions des mètres carrés. Ce diagnostic pourra alors être stratégiquement présenté aux acheteurs selon leur profil.

Finalement, « tout est émotionnel, dans une certaine mesure ! » pourrait-on dire. Et les agents immobiliers, experts en diagnostic émotionnel, ne doivent pas oublier de fêter leurs transactions en offrant une flûte de champagne aux acheteurs et aux vendeurs. Une flûte et non une coupe : là aussi, les flûtes sont perçues comme contenant plus de champagne que les coupes. Plus de bulles perçues pour plus de recommandations voulues !

Source : Sadalla, E. K., & Oxley, D. (1984). The perception of room size: The rectangularity illusion. Environment and Behavior, 16(3), 394-405.

Fabrice Larceneux

Chercheur CNRS au centre de recherche DRM (Dauphine Recherche en Management), ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégé d’Economie et Gestion, il est titulaire d’un doctorat en Sciences de Gestion de l’Université Paris Dauphine. Auteur de différentes publications scientifiques et de l’ouvrage Marketing de l’immobilier (Dunod), il assure des cours de marketing de l’immobilier à l’Université Paris-Dauphine.

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Vos réactions
  • Par Claire de Circourt, il y a 9 mois

    Bonjour Monsieur Larceneux,

    j’ai beaucoup apprécié le contenu de votre Newsletter sur les mètres carrés « émotionnels ». Tellement intéressant !
    Cordialement,
    Claire de Circourt

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