La remontée des taux des crédits immobiliers
En octobre, le taux moyen des crédits immobiliers s’est établi à 3.14 % d’après l’Observatoire Crédit Logement/CSA.
Après 5 mois d’une relative stabilité, le taux moyen a commencé à s’élever en septembre. Et en deux mois la hausse a été de 7 points de base (pdb). D’ailleurs, pour beaucoup, le niveau des taux serait maintenant stabilisé sous l’effet de la concurrence à laquelle les établissements bancaires se livrent : aujourd’hui, comme par le passé en fait.
Mais à bien y regarder, la situation est un peu différente de celle que révèle la seule chronique du taux moyen. Car dès avril 2025, les taux des 3 produits « phares » (les prêts à 15, 20 et 25 ans) avaient amorcé leur remontée : lentement et avec hésitation dans un premier temps, puis plus nettement et assez rapidement à partir de juillet.
Ainsi au total, les taux des prêts à 25 ans ont augmenté de 12 pdb entre mars et octobre et même de 16 pdb pour les prêts à 20 ans, alors que les taux des prêts à 15 ans n’ont cru que de 4 pdb.
Cette évolution des taux des produits « phares » s’inscrit dans un paysage dominé par les incertitudes :
- un environnement politico-économique dégradé,
- une demande préoccupée par des perspectives macroéconomiques et budgétaires peu engageantes et
- des incertitudes géopolitiques persistantes, mais aussi
- des taux obligataires orientés à la hausse alors que les taux de refinancement de la BCE n’ont pas été réajustés depuis le 11 juin.
Dès lors les établissements bancaires ont renforcé leurs stratégies prudentielles et ils doivent en permanence arbitrer entre la nécessité de marger pour renforcer leurs fonds propres ce qui les conduirait à accroître les taux des nouveaux crédits immobiliers ; et le souci de préserver la solvabilité de leurs clientèles en modérant les hausses des taux des crédits accordés.
Ainsi, sachant qu’au sein des seuls prêts bancaires (donc mis à part les PTZ, les PC-Pas et l’épargne-logement), les prêts à 25 ans concernaient récemment 45 % de l’ensemble de la production et ceux à 20 ans, près de 35 %, on conçoit que la hausse des taux des crédits immobiliers est plus ancienne et plus rapide que ce qu’indique la seule chronique du taux moyen.
Mais aussi plus complexe et sans doute à l’origine de mauvaises interprétations de la situation conjoncturelle actuelle, d’autant que la mauvaise pratique des renégociations et des rachats de créances vient brouiller le paysage.
Le recentrage de la production de crédits
Si une différence aussi nette se constate entre le taux moyen et les taux des produits « phares », c’est en raison de la déformation de la structure de la production constatée au fil des mois. Car la proportion des prêts bancaires d’une durée de 25 ans et plus recule assez rapidement depuis le printemps dernier : elle était de 44.7 % en octobre contre 51.9 % au 1er trimestre 2025.
En revanche, la part des prêts de 20 ans à moins de 25 ans s’élève : elle s’établissait à 35.9 % en octobre contre 29.6 % au 1er trimestre. La structure du marché se transforme donc (moins de prêts longs) avec comme conséquence, la moindre capacité de la demande à absorber les bouleversements de son environnement.
En effet, confrontée à la remontée des taux d’intérêt et à une hausse de plus en plus rapide des prix des logements, partout sur le territoire, la demande voit sa solvabilité s’altérer : jusqu’alors la stratégie de l’allongement de la durée des prêts octroyés avait permis aux établissements bancaires de préserver la capacité d’emprunt des ménages. Mais depuis le printemps, la déformation de la structure de la production a un impact notable sur les nouveaux emprunteurs :
- l’annuité de remboursement moyenne pour un emprunt de 100 K€ est stable depuis le début de l’année ;
- et si elle est encore inférieure de 11.1 % à celle de décembre 2023, elle reste plus élevée de 18.5 % par rapport à décembre 2021.
Dans un contexte de renforcement des incertitudes, les banques s’efforcent évidemment de contenir la durée de leurs engagements et évitent les durées les plus longues, sans pour autant négliger les formules à durée élevée (20 ans à moins de 25 ans). Or depuis 2019, la stratégie de relance mise en œuvre par les banques s’était appuyée sur le déplacement de la production de crédits immobiliers vers les formules de prêts à 25 ans : la poursuite des évolutions en cours risque donc de peser de plus en plus nettement sur le dynamisme du marché.
En outre, cette déformation de la structure de la production permet de comprendre la situation inhabituelle observée depuis plusieurs mois : le taux moyen des crédits augmente bien moins vite que les taux des produits « phares » à 20 et 25 ans, puisque les prêts les plus longs et par nature les plus chers voient leur poids se réduire dans le marché au bénéfice de formules moins longues et donc à taux plus bas.
Le tassement de la reprise
Déjà la demande des candidats à un achat immobilier était devenue bien plus difficile à satisfaire depuis la mise en œuvre de la recommandation du HCSF de décembre 2019.
Confrontés au rationnement de l’accès au crédit immobilier qui en a résulté, les ménages modestes (familles nombreuses, jeunes salariés, travailleurs agricoles, …) et ceux dont l’apport personnel était devenu insuffisant d’après la nouvelle norme imposée par la Banque de France ne pouvaient plus accéder à la propriété : on estime ainsi d’après l’Observatoire du Financement du logement de l’Institut CSA qu’entre 2019 et 2024, la quasi-totalité du recul des flux de l’accession à la propriété (et par là-même de la primo accession) évalué à 262 100 unités (soit – 29.4 %) résulte de la mise en œuvre du rationnement de l’accès au crédit (respectivement, – 226 800 primo accédants, soit – 36.2 %). Avec comme conséquence, une chute sans précédent du niveau de la construction et un recul des achats de logements anciens dévastateur pour le secteur.
Avec la déformation de la structure de la production de crédits, moins de prêts à 25 ans et plus, les difficultés d’accès aux crédits immobiliers vont se renforcer pour ceux des ménages déjà pénalisés par le rationnement décidé par la Banque de France. Le frémissement de l’activité constaté dans l’ancien par l’Observatoire LPI et le rebond des ventes des constructeurs de maisons individuelles risquent d’en être affecté, voire d’être enrayer si la hausse des taux des crédits se poursuit.
D’ailleurs, depuis le printemps dernier le rythme de croissance de la production de crédits se tasse, lentement comme en attestent les variations en glissement annuel (GA) de la production mesurée en niveau trimestriel glissant : avec une réduction des rythmes de croissance de l’ordre de 50 %, tant pour la Banque de France (+ 24.3 % en septembre contre + 52.3 % en avril) que pour l’Observatoire Crédit Logement/CSA (+ 28.3 % en septembre contre + 49.2 % en mars).
Bien sûr, les évolutions très rapides constatées depuis le printemps 2024 avaient toute chance de s’atténuer. Mais le ralentissement qui est en cours ne tient pas seulement aux conséquences classiques de cet « effet de base » : d’autant qu’il intervient dans un paysage dominé par la remontée des taux des crédits, la déformation de la structure de la production, la plus grande prudence des établissements bancaires et les incertitudes politico-économiques.
Pour autant, la production de crédits immobiliers semble avoir retrouvé un bon niveau, si on en croît les commentaires encourageant de la Banque de France accompagnant la publication mensuelle du « Stat Info » consacré aux « Crédits aux particuliers » à fin septembre (dont le dernier en date, celui du 6 novembre). Néanmoins, s’il est vrai que l’activité du marché des crédits immobiliers a repris des couleurs avec une progression de 34.3 % à fin septembre du niveau annuel glissant GA d’après la Banque de France et de 36.3 % à fin octobre d’après l’Observatoire Crédit Logement/CSA, les versements de crédits immobiliers (en volume aux prix des logements et des travaux d’amélioration-entretien) constatés sur les 9 premiers mois de 2025 sont encore de 30.7 % inférieurs à ceux de l’année 2019 d’après l’Observatoire de la Production de Crédits Immobiliers (OPCI), avant que le rationnement mis en œuvre avec la recommandation du HCSF ne vienne bouleverser les marchés immobiliers.
Autant dire que la conjoncture reste pour le moins fragile !
Vers de nouvelles augmentations des taux
D’ailleurs, l’environnement semble particulièrement propice à la poursuite de la hausse des taux des crédits. En effet, les tensions sur les taux obligataires se renforcent progressivement et alors que le rythme de l’inflation diminue encore, la BCE hésite à réduire ses taux d’intérêt comme cela serait pourtant nécessaire pour soutenir une croissance chancelante dans la zone euro : lors du Conseil des gouverneurs de la BCE du 30 octobre dernier (impliquant des décisions de politique monétaire), la décision fut prise de ne pas modifier ces taux ; comme le prochain Conseil dédié devrait se tenir le 18 décembre prochain, le principal taux de refinancement va terminer l’année (peut-être à quelques jours près) à son niveau actuel (2.15 % à compter du 11 juin). Le taux moyen des crédits devrait donc s’établir un peu au-dessus de 3.20 % en fin d’année, voire 3.25 % si les établissements bancaires choisissent de réarbitrer en faveur du renforcement de leurs marges comme cela est habituel à partir de novembre : en moyenne et sur longue période, entre septembre et décembre la demande de crédits immobiliers recule de 16 % pour ne redécoller qu’à partir de février et surtout en mars, avec « l’arrivée des beaux jours ».
Il est donc peu probable que les établissements bancaires déploient une stratégie commerciale d’expansion avant février 2026, surtout si la BCE confirme sa stratégie actuelle de maintien de ses taux. Et d’ici là, les taux des crédits vont remonter au rythme des déséquilibres des marchés monétaire et financiers venant renforcer les contraintes pesant depuis plus d’un an sur le financement bancaire : outre la dégradation des conditions de financement et de refinancement de l’économie, la montée des primes de risques et la fragilisation des emprunteurs affectent maintenant la profitabilité des nouveaux engagements.
La tendance à la stabilisation des taux qui dominait encore dans les scénarii macroéconomiques et financiers en octobre dernier risque donc d’être mise entre parenthèses, au moins jusqu’au printemps prochain : certains établissements consentiront alors un effort « promotionnel » sur les taux, afin d’atteindre leurs objectifs de production de crédits de l’année ; mais un effort « sélectif », afin d’éviter l’engrangement de risques de défaut supplémentaires à leur passif.
Surtout que la dégradation de l’environnement politico-économique devrait se poursuivre et fragiliser un peu plus la demande de crédits. Déjà le taux d’intérêt réel, c’est-à-dire corrigé de l’inflation (au sens de l’IPCH, l’indice des prix à la consommation harmonisé publié par l’Insee), dépasse les 2 % : soit le niveau le plus élevé constaté depuis 15 ans. Au début des années 2010, un taux réel aussi élevé a coïncidé avec une situation sensiblement dégradée sur les marchés de l’immobilier résidentiel et du crédit. Et en période de très faible progression des revenus des ménages, comme cela est actuellement le cas et devrait le rester en 2026 d’après les principaux instituts de conjoncture, un tel niveau de taux réel est synonyme de fragilité accrue de la demande et de montée du risque de défaut des emprunteurs.
Aussi, même si la probabilité d’un retournement de conjoncture reste négligeable (voire inexistante), le rythme d’expansion des marchés va continuer à ralentir … au fur et à mesure de la remontée des taux des crédits immobiliers.

