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« La rente cognitive de l’agent immobilier », Sébastien Bourbon IFIC Groupe

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Le capital immatériel du professionnel devient une valeur refuge innovante pour les « esprits animaux » en temps de crise.

photo : rente cognitive

La Covid-19 devient un défi existentiel. Les acteurs économiques voient beaucoup de leurs certitudes s’effondrer comme des châteaux de cartes. Ils se mettent alors en quête de valeurs refuges (immobilier, or, etc.). Pour la crise qui s’annonce, même des secteurs « sûrs » suscitent des doutes en raison du caractère inédit des événements. La rente cognitive de l’agent immobilier peut-elle alors constituer une valeur refuge innovante dans ce contexte d’incertitude ?  L’idée est de valoriser les connaissances de l’agent pour dompter les « esprits animaux » et réduire la forte  incertitude des acteurs économiques en proposant une valeur refuge originale : la rente cognitive.

Les « esprits animaux » en crise cognitive

Les périodes de crise exacerbent un « esprit animal » déjà existant. Cette idée inventée par Keynes souligne le poids des biais cognitifs dans la compréhension du comportement des acteurs économiques.

Ainsi, une crise peut se comprendre comme la manifestation d’une capacité cognitive limitée à identifier les divers signaux faibles précédant l’acmé de la crise. En effet, pour Thierry Libaert (2015), les éléments amenant à la crise sont toujours présents et identifiables. Seule incertitude, le moment de l’introduction de l’aléa.

Par exemple, suite à des années de forte croissance, une «crise» du marché immobilier semblait prévisible. Pourtant, les acteurs du marché ont fait preuve d’une certaine «myopie au désastre» (Guttentag, & Herring, 1986), d’une «dissonance cognitive».

Une fois la crise survenue, cette attitude peu rationnelle tend à se renforcer. En effet, sur le plan cognitif, l’exacerbation de l’ «esprit animal» dans un tel contexte marque le triomphe du «système 1» (Kahneman, 2011), c’est-à- dire que la réaction à la situation de crise va se faire sur la base de l’intuition, par automatismes. Ainsi, pour Kahneman, l’individu va agir avec l’illusion de l’ «aisance cognitive». La somme de ces biais comportementaux individuels aboutit alors à l’émergence de comportements moutonniers qui se traduisent souvent en temps de crise par un repli sur des valeurs refuges.

Une conjoncture économique dégradée vient donc désorienter encore plus ces «esprits animaux». Ils vont alors rechercher davantage une expertise pour surmonter leurs biais cognitifs, leurs incertitudes.

L’agent immobilier, «leader de l’incertitude»

Une situation de crise renforce les deux formes d’incertitudes identifiées par Keynes structurant les «esprits animaux». Tout d’abord, l’incertitude a un caractère épistémologique lié à un manque de connaissances des acteurs limitant leur rationalité. Ensuite, l’incertitude a une dimension ontologique. Le marché a une part  intrinsèque d’imprévisibilité que la connaissance de l’expert ne peut jamais pleinement appréhender.

Sur le plan cognitif, l’incertitude en temps de crise commence par une dégradation de la «matière première» de la connaissance : l’information. En effet, la désinformation se propage davantage à la faveur d’une forte demande  d’éléments de compréhension de la crise, ce qui induit en erreur. Ce contexte renforce donc un processus de dégradation de l’écosystème informationnel (Polgreen, 2019). Les acteurs économiques n’ont alors plus vraiment la possibilité de décider en connaissance de cause ; à condition d’avoir les moyens pour bénéficier de l’accès payant à des informations et du contenu de qualité (Luo, 2020).

Ensuite, cette dégradation de l’information accroît l’incertitude ontologique en réduisant les capacités cognitives des personnes avec une certaine expertise. Comme le disait récemment Habermas (2020), « il nous faut agir dans le savoir explicite de notre non-savoir ». Cela se comprend également comme une caducité des paradigmes d’analyse passés provoquée par la crise. Par exemple, dans le secteur de l’immobilier, cette dégradation de l’information interroge l’idée souvent avancée que l’immobilier fait office de valeur refuge en temps de crise. Les investisseurs peuvent hésiter à se positionner sur un marché qui pourrait fortement s’affaiblir.

Une approche analytique de la crise

Si la qualité de l’information, et donc de la connaissance, se dégrade en situation de forte incertitude, l’agent immobilier peut devenir un représentant du «système 2» ; à savoir celui qui va permettre la résolution de problèmes complexes et va avoir une approche plus analytique de la crise (Kahneman, 2011). Dans une certaine mesure, l’agent peut contenir les pulsions irrationnelles de l’ «esprit animal» des acteurs économiques agissant sous l’emprise du «système 1».

Il va avoir un autre rapport à l’information diffusée en temps de crise. Tout d’abord, son statut d’agent immobilier lui permet parfois d’obtenir des informations exclusives, même si cette rente informationnelle se fait plus rare puisque le digital favorise l’information en open source. Ensuite, il dispose d’une capacité à trier le bon grain de l’ivraie pour extraire parmi les informations disponibles celles qui vont l’aider à y voir plus clair en situation de crise.

Il a donc les connaissances préalables pour exploiter cette information et permettre une transition du «système 1» vers le «système2 ». Enfin, en tant que victime d’une forte incertitude ontologique, l’agent doit veiller à davantage coconstruire ses connaissances avec ses différents interlocuteurs pour réduire ses propres biais cognitifs plus prononcés en temps de crise.

Dans ce contexte, l’agent mobilise donc ses connaissances pour se positionner comme un «leader de l’incertitude» et offrir un refuge aux «esprits animaux». Il va se servir de savoir-faire et savoir-être qui font sa valeur ajoutée auprès des acteurs économiques dans une telle situation : Décryptage, Intuition, Ouverture d’esprit, Négociation, Innovation, Stratégie, Opportunisme (Delbecque et Combalbert, 2010).

La rente cognitive de l’agent : une valeur refuge

La rente cognitive se définit comme un « capital immatériel constitué grâce à l’accumulation, la transformation et la création de connaissances implicites et explicites donnant un avantage concurrentiel sur un marché donné et/ou une position favorable dans une relation avec un interlocuteur » (Bourbon, 2019).

La rente cognitive de l’agent immobilier lui offre donc une plus forte maîtrise des incertitudes et de la complexité d’une crise au sens où l’entend Edgar Morin. En d’autres termes, il aura les connaissances pour analyser la situation de chaque élément du marché née de la crise ; mais il a aussi une capacité à proposer aux différents acteurs économiques une analyse globale de la crise du marché, et à trouver les liaisons entre les différentes dimensions d’une crise multiforme.

À ce titre, la rente cognitive permet de faire de l’agent une valeur refuge pour les «esprits animaux», surtout en temps de crise, ce qui constitue une approche innovante à un moment où plane l’incertitude sur le caractère «sans risque» de l’investissement immobilier. L’acquéreur s’appuierait alors sur la solidité de la rente cognitive de l’agent pour avoir la certitude d’acquérir un bien s’apparentant à une valeur refuge. La rente cognitive fait également office de valeur refuge pour l’agent immobilier lui-même. Il peut ainsi s’appuyer sur un capital immatériel robuste pour comprendre la crise et décider d’une stratégie pour la surmonter en meilleure connaissance de cause.

Ainsi, les agents immobiliers avec une rente cognitive signifi cative seront les mieux armés pour affronter la crise économique qui s’esquisse.

Cet article a fait l’objet d’une publication dans Management & Datascience.

SÉBASTIEN BOURBON –  IFIC Groupe.

Docteur in Business Administration.

Expert judiciaire près la cour d’Appel de Lyon

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Vos réactions
  • Par Gilles, il y a 3 années

    Bonjour,
    votre analyse est très intéressante et pertinente.
    Il est très exact que que les gens sont demandeurs de confiance. Car c’est de cela dont il s’agit : plus la rente cognitive de l’AI est élevée, plus le conseil est avisé et plus le client est confiant. Mais Keynes ne connaissait pas les réseaux sociaux et la vitesse avec laquelle circulent les informations bonnes ou mauvaises. Les gens se retrouvent avec un flux d’informations dont ils ont souvent du mal à distinguer leur véritable valeur. D’autant que les pseudo-professionnels qui pullulent désormais notamment dans les réseaux de mandataires, discréditent fortement l’agent immobilier dans son rôle d’apporteur de savoir et de conseil.
    Celui-ci va donc devoir, en permanence, démontrer la plus-value qu’il peut apporter.
    Or, de l’extérieur, rien ne distingue un AI doté d’une forte rente cognitive de celui qui en est dépourvu. Pour parvenir à se démarquer, il lui faudra d’abord mettre en place les procédures internes nécessaires au management de la qualité et y intégrer ses négociateurs qui sont les premiers intermédiaires.
    Mais dans leur grande majorité, ils sont agents commerciaux, ce qui implique de respecter leur indépendance.
    L’agent immobilier devra donc soit obtenir l’adhésion volontaire de ces négociateurs à sa politique de management de la qualité soit s’en séparer.
    C’est donc dès le recrutement que le management de la qualité démarre permettant à la rente cognitive d’un agent immobilier d’être naturellement reconnue au lieu de devoir être systématiquement démontrée.

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