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« Entre avenir démographique en berne et besoin de construction élevé ! », Michel MOUILLART Professeur d’Economie, FRICS

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En novembre 2021, l’INSEE a présenté ses projections démographiques pour la France à l’horizon 2070. Pour la première fois depuis très longtemps, il semblerait que la France soit engagée dans la voie de la stagnation démographique. Alors combien faudrait-il construire de logements demain ? Enjeux et analyses par Michel Mouillart.

photo : Magnifying glass on a large group of people. 3D Rendering

En novembre 2021, l’INSEE a présenté ses projections démographiques pour la France à l’horizon 2070. Celles-ci permettent d’évaluer l’effort à entreprendre dans les prochaines années afin de satisfaire les besoins en matière de santé, d’éducation ou d’aménagement du territoire par exemple. Ainsi que le niveau de la construction nécessaire pour faire face à la demande de logements que nécessitent les évolutions de la population. Surtout si une des ambitions de la politique du logement est encore de soutenir un niveau de construction suffisant pour répondre à la demande des ménages qui se déploie partout sur le territoire, et pas seulement dans les espaces métropolitains.

Mais pour la première fois depuis très longtemps, il semblerait que la France soit engagée dans la voie de la stagnation démographique à l’horizon 2070. Et même, comme l’INSEE le présente, sur un chemin de décroissance (voire d’effondrement) de la population française qui la ramènerait à son niveau de 1990 ! Autant dire, dans ces conditions, qu’il ne serait plus nécessaire de beaucoup construire de logements !

Quel avenir démographique pour la France ?

Suivant sa méthode habituelle, l’INSEE propose trois scénarios principaux se distinguant entre eux par des hypothèses sur la fécondité, sur l’espérance de vie à la naissance et sur le solde migratoire avec l’extérieur. Volontairement, ces hypothèses sont contrastées, permettant autour d’une hypothèse centrale de distinguer deux variantes, une « basse » et une « haute ». La sensibilité des résultats présentés à l’horizon 2070 est évidemment très sensible au jeu des hypothèses retenue :

  • si l’indicateur conjoncturel de fécondité passait de 1.80 – i.e. : 1.80 enfant par femme en âge de procréer – (hypothèse centrale) à 2.00 (variante haute), le nombre d’habitants serait accru de 4.1 millions en 2070. Mais s’il diminuait de 1.80 à 1.60 (variante basse), la population serait plus faible de 4.0 millions d’unités ;
  • si le solde migratoire s’établissait à 120 000 unités par an (variante haute) au lieu des 70 000 unités retenues suivant l’hypothèse centrale, il y aurait 4.1 millions d’habitants de plus en 2070. Et respectivement 4.0 millions de moins, pour un solde migratoire de seulement 20 000 unités (variante basse) ;
  • pour une espérance de vie à la naissance de trois années supérieures à l’hypothèse centrale (respectivement inférieures), la population compterait 2.4 millions d’habitants en plus en 2070 (respectivement, 2.4 millions en moins).

La variante basse intègre évidemment toutes les évolutions les plus défavorables pour la population : la taille de cette dernière reculerait d’ailleurs de 1.3 million d’ici 2040, avant de s’effondrer à l’horizon 2070 (- 8.2 millions depuis 2040) pour revenir à son niveau de 1990 : soit au total, après 40 années de déclin démographique, un choc nettement plus important que celui occasionné par le total des pertes de population (civile et militaire) enregistrées par la France durant toutes les guerres et les conflits dans lesquels elle a été engagée depuis la Révolution de 1789 ! Alors que la variante haute table sur le dynamisme de toutes les composantes démographiques de la population et décrit une évolution rapide qui même si elle ralentit à partir de 2040, est tout de même associée à une augmentation de la population de près de 12 millions d’habitants d’ici 2070.

Mais l’INSEE détaille surtout l’hypothèse centrale représentant à peu près la moyenne entre les deux variantes extrêmes. Suivant ce scénario, la progression de la population attendue entre 2020 et 2040 serait alors quatre fois moins importante que celle des années 2000 à 2020 (et trois fois moins importante qu’entre 1980 et 2000) : puis, durant les 30 années suivantes, la croissance de la population ralentirait fortement et conduirait la France un peu au-dessus des 68 millions d’habitants en 2070. Cette « quasi-stagnation démographique » tient en fait essentiellement au mode de construction du scénario : plus la variante basse est basse, et moins l’hypothèse centrale sera ambitieuse ! Il ne fait guère de doute pour l’INSEE que ce scénario qualifié de central constitue pourtant la référence principale, pour l’avenir.

Il est alors remarquable de constater que toutes les projections démographiques pour la France présentées par l’INSEE depuis le début des années 90 vont proposer une variante basse particulièrement défavorable : (presque) toujours, la population continue de s’accroitre dans les 5 ou 10 premières années de l’exercice, pour au mieux se stabiliser par la suite et très souvent diminuer jusqu’à retrouver son niveau de départ en fin de projection ou descendre bien plus bas, encore. Comme si cette variante basse devait jouer le rôle de repoussoir, pour mieux crédibiliser le choix d’une hypothèse centrale et écarter, de facto, toute référence à une variante haute.

Un scénario qui mérite réflexion !

En outre, le scénario récent affiche un recul spectaculaire du niveau de la population attendu par rapport à celui que l’INSEE présentait en 2016. Il décroche tout autant de la plupart des autres scénarii présentés par l’INSEE depuis 20 ans : et il faudrait remonter au scénario présenté en 2001 pour trouver une vision aussi « pessimiste » de l’avenir démographique de la France !

Bien sûr, les hypothèses retenues ont été suffisamment dégradées pour que le résultat soit celui qui est présenté. Pourtant, il ne semble pas évident que le choc observé en 2020 lors du déclenchement de la crise sanitaire soit durable, comme de récentes publications peuvent le laisser penser. Néanmoins, la comparaison des deux scénarios, celui de 2016 et celui de 2021, permet de comprendre qu’en 2016 la France s’attendait à un avenir démographique radieux et non pas, comme maintenant, à une stagnation semblable à celle que la France connut durant les années 30.

Ainsi en 5 ans, et du seul fait de la mise à jour des scénarii de l’INSEE, la France de 2070 aura perdu plus de 8 millions d’habitants ! Bien sûr, les hypothèses qui sous-tendent les variantes hautes sont toujours présentées comme l’expression d’une évolution peu probable qui bornerait par le haut le champ du possible. Et pour les tendances des 20 prochaines années, on pourrait comme le suggère l’INSEE retenir l’hypothèse centrale qui, à l’horizon 2040, annonce une population totale de 69.2 millions de personnes et une faible croissance démographique (+ 0.12 % par an, en moyenne) : mais l’examen des 4 scénarios présentés depuis 2001 plaide certainement en faveur de la variante haute et d’une population de 72.4 millions d’individus en 2040 (+ 0.35 % par an, en moyenne, contre 0.55 % entre 2000 et 2020). Le choix est tout sauf anodin, compte tenu des conséquences qui seront les siennes pour les décisions publiques devant être prises pour préparer l’avenir.

Combien faudrait-il construire de logements demain ?

Car, en général, la présentation des projections démographiques de l’INSEE est accompagnée de celle des besoins en logement à long terme (à 30 années, le plus souvent) réalisée par le Ministère en charge du Logement et permettant d’estimer combien il faudrait construire de logements afin de faire face à l’évolution de la population. Mais cette fois, et sans doute en raison d’une mauvaise communication au sein de l’administration, cette présentation ne devrait guère intervenir avant l’automne 2023, au mieux, et plus probablement avant le printemps 2024.

Entre temps, beaucoup d’organismes vont « se contenter » des projections démographiques de 2016. Comme par exemple l’ADEME, pour construire son volumineux rapport sur les « Transitions(s) 2050 : choisir maintenant, agir pour le climat » (novembre 2021, 687 pages) et suggérer des scénarii d’évolution de la construction à l’horizon 2050. Car l’ADEME présente 4 scénarii, particulièrement contrastés. Le niveau annuel moyen de la construction durant les années 2015 à 2050 qui est retenu dans ces scénarios croisant de nombreuses hypothèses s’étale en effet entre 110 000 logements (scénario « Génération frugale », dont 2 000 par an en fin de période, entre 2040 et 2050) et 348 000 logements (scénario « Technologies vertes », dont 262 000 en fin de période, entre 2040 et 2050).

Bien sûr, les scénarii présentés par l’ADEME ne prétendent nullement proposer une référence permettant d’évaluer de manière « prédictive » ce qu’il faudrait construire à l’avenir. Ils sont en revanche « exploratoires » proposant de réfléchir sur un futur « ouvert, incertain et débattu », constituant à cet égard un ensemble d’outils d’aide à la réflexion. En revanche, ces scénarii présentent le même profil hérité du scénario démographique de l’INSEE publié en 2016 sur lequel ils s’appuient : éventuellement un maintien à (haut) niveau du nombre de ménages créés (et par là-même du nombre de logements à construire) durant la période en cours, puis un affaiblissement souvent rapide et prononcé dès la période suivante.

Et cette particularité mérite attention. Par exemple, si on examine la dernière estimation des besoins en logement présentée par le Ministère en charge du Logement en 2012 (et rien depuis !), le niveau de la construction aurait dû se situer entre 313 000 et 362 000 unités par an sur la période 2010-2014 (pour 384 200 logements commencés chaque année, en moyenne, d’après Sit@del), pour descendre entre 273 000 et 349 000 unités par an sur la période 2020-2024 (pour 369 700 logements commencés en moyenne de 2020 à 2021). Alors, comme les pouvoirs publics (suivant les habitudes de l’INSEE) prennent comme référence la situation moyenne (l’hypothèse centrale), l’estimation des besoins en logement du Ministère en charge du Logement n’a sous-estimé la réalité que d’à peu près 48 000 logements à construire par an (soit près de 580 000 logements depuis 12 ans !).

Un tel écart est tout, sauf anodin. Car il participe à la création de ce fameux déficit en logements qui s’est créé au fil des années depuis plus de 30 ans. Estimé au-dessus de 1.1 millions de logements (d’après nos travaux), il produit des conséquences nombreuses et destructrices pour l’ensemble de l’économie du logement et de la société : dérèglement des mécanismes de formation des prix et des loyers, renforcement des tendances à l’éviction des ménages modestes des espaces urbains centraux, aggravation des difficultés d’accès à un logement, amplification et dégradation des situations d’hébergement forcé, aggravation de la suroccupation des logements, accentuation du mal logement, maintien en service d’un parc énergivore, blocage des créations d’emplois, …

Il faudra certainement construire beaucoup, à l’avenir !

Si en attendant une hypothétique publication du Ministère en charge du Logement présentant la projection du nombre de ménages à l’horizon 2050, on souhaite néanmoins éclairer ce que pourrait être l’avenir de la construction en France, il est possible de repartir de notre estimation de septembre 2017, réalisée sur la base des projections démographiques de 2016, à l’instar des travaux de l’ADEME.

Suivant des hypothèses assez moyennes concernant le solde migratoire et le besoin de renouvellement du parc de logements, le niveau des besoins s’établira à 390 000 unités chaque année selon une hypothèse centrale. Et comme tout suggère que la variante haute des projections démographiques de l’INSEE de 2016 est vraisemblable, il conviendrait plus certainement de construire chaque année 485 000 logements …

Pour les prochaines années, il conviendrait en effet de soutenir un niveau de construction élevé, afin de répondre à la demande des ménages qui continuera à se déployer partout sur le territoire, si les soutiens publics le lui permettent. Mais aussi de mieux tenir compte des flux migratoires (observés et « invisibles ») dont la sous-estimation chronique souligne l’insuffisance des capacités d’accueil du parc de logements : surtout si les migrations « climatiques » se renforcent plus rapidement que prévu et si les migrations « économiques » sont encouragées afin de faire face au vieillissement de la population et aux besoins de main d’œuvre en résultant. Et de réellement intégrer les conséquences de la résorption des passoires thermiques, donc un véritable effort d’amélioration de la qualité du parc de logements qui au-delà de dispositifs budgétaires peu ambitieux envisageait d’éradiquer un habitat qui ne sera jamais vraiment remis aux normes. Sans négliger les conséquences d’une véritable stratégie d’aménagement du territoire …

Quoiqu’il en soit, la stratégie de construction ne devrait pas laisser le déficit en logements actuel sans réponse, compte tenu des désordres économiques, sociaux et environnementaux qu’il occasionne. Il lui faudrait donc chercher à le résorber et, par là-même, répondre aux « demandes » des « non logés » ou des « mal logés ». Aussi, compte tenu des besoins attendus dans les prochaines années, afin de permettre aux marchés de fonctionner dans des conditions normales, l’objectif des 500 000 logements mis en chantier ne doit pas être remisé : en une dizaine d’années, le déficit en logements et les déséquilibres qui lui sont associés auraient alors toute chance de disparaître.

Nul doute que la prise en compte des récentes projections démographiques au lieu et place de celles de 2016 ne viendra pas bouleverser le constat précédent, à l’horizon 2040 tout du moins.

Michel Mouillart

Michel Mouillart est Professeur émérite à l’Université et FRICS (Fellow de la Royal Institution of Chartered Surveyors). Il est Docteur d’Etat en Economie et Docteur sur travaux en Economie et Financement du Logement.

L’essentiel de son action dans le secteur du logement a consisté en la réalisation d’études et de recherches sur le secteur de l’immobilier résidentiel. Il a ainsi mis en place ou contribué au développement de nombreux observatoires qui ont trouvé leur place dans le système d’informations sur le logement privé en France. Il assure la direction scientifique de ces observatoires : les crédits aux ménages (Fédération Bancaire Française) depuis 1989, les loyers du secteur locatif privé (CLAMEUR) de 1998 à 2019, la production de crédits immobiliers aux particuliers (Observatoire de la Production de Crédits Immobiliers) depuis 1999, l’accession à la propriété (Institut CSA) depuis 1999, l’Observatoire Crédit Logement/CSA depuis 2007 et l’Observatoire LPI sur les prix des logements neufs et anciens depuis 2011.

En tant que personnalité qualifiée, il a été nommé et il siège au Conseil National de l’Habitat depuis 1990. Il a ainsi été Président de nombreux groupes de travail du Conseil National de l’Habitat, dont récemment le groupe « Redynamiser l’accession à la propriété » (2023). Il avait aussi été rapporteur des « Rencontres ConstructionAménagement du Territoire » de l’Assemblée Nationale de 1989 à 2001.

Par ailleurs, et toujours en tant que personnalité qualifiée, il a été membre du Conseil National de l’Information statistique (1991-2000), de la Commission des Comptes du Logement 1992-2014) et de l’Observatoire National de la Pauvreté et de l'Exclusion Sociale (2006-2013). De même, il a été Administrateur de l’Office HLM de la ville de Nanterre (1983-2014) et de la Fédération Nationale Habitat et Développement (2008- 2015).

Depuis 2010, il est membre du Conseil de Développement du Pays de Brest, toujours en tant que personnalité qualifiée. Et depuis 2015, il est administrateur de SOLIHA-Finistère.

Auteur régulier de nombreux articles dans des revues scientifiques ou professionnelles, il a publié ou participé à la publication de nombreux ouvrages sur l’économie et le financement du logement.

Il est par ailleurs Chevalier de la Légion d’Honneur et Chevalier dans l’Ordre National du Mérite.
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