Les agents immobiliers et leurs collaborateurs sont assujettis au respect de la réglementation visant à lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, dite Tracfin. Focus sur une décision notable de la Cour de Cassation.
La Cour de Cassation1 dans un arrêt pour le moins remarquable juge que le non-respect de la réglementation Tracfin « peut être constitutif d’une faute de concurrence déloyale ». Je vous propose de prendre connaissance en détail de cet arrêt (I) d’en tirer les conséquences (II) puis enfin de faire le point sur les dernières informations du rapport 2022 LCB-FT (III) à utiliser dans le cadre de votre obligation de formation continue.
I- Le non-respect des obligations Tracfin peut être un acte de concurrence déloyale
A- L’arrêt
La Cour suprême a rendu un arrêt remarqué dont il résulte que le non-respect des obligations Tracfin peut être constitutif d’un acte de concurrence déloyale.
* Le Pitch : Une société de distribution de cartes bancaires prépayées est assignée par un concurrent aux fins de communication des pièces comptables, préalablement à une procédure en concurrence déloyale pour non-respect des obligations dites Tracfin. En première instance et en appel, il est fait droit à la demande du demandeur. Le défendeur se pourvoit en cassation et soutient que le juge ne peut ordonner une mesure d’instruction « in futurum » si l’action au fond envisagée ne présente aucune chance de succès ; or justement selon elle, l’action est vouée à l’échec car à supposer que les faits soient avérés, la violation des obligations Tracfin n’est pas susceptible de donner lieu à une indemnisation d’un tiers.
La Cour ne suit pas ce raisonnement et juge que « le respect par une entreprise des obligations imposées aux articles L 561-1 et suivants du Code monétaire et financier pour lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme engendre nécessairement pour elle des coûts supplémentaires. Il en résulte que le fait pour un concurrent de s’en affranchir confère à celui-ci un avantage concurrentiel indu, qui peut être constitutif d’une faute de concurrence déloyale. »
B- Conséquences
Cet arrêt bien que rendu dans le domaine bancaire pourrait être appliqué à d’autres secteurs d’activité, dont l’immobilier. En outre on peut s’interroger sur la portée de cette évolution jurisprudentielle. D’autres non-respects d’obligations légales pourraient-ils être constitutifs de faute en matière de concurrence déloyale ? Quid d’un professionnel de l’immobilier qui ne respecterait pas l’obligation de formation de ses collaborateurs ? Cela ne constituerait-il pas un avantage concurrentiel indu du fait des frais de formation supportés et de l’indisponibilité des équipes sur le terrain ?
Même si ce nouveau fondement juridique ouvre une nouvelle possibilité d’action, il convient de ne pas mésestimer la charge de la preuve (du non-respect) et le chiffrage des préjudices qui seront des sujets délicats.
Enfin, les concurrents en ce qu’ils sont susceptibles de diligenter une procédure pour concurrence déloyale, peuvent devenir, de fait, des observateurs qui participent au contrôle de la réglementation LCB-FT ; l’occasion de faire le point sur les dernières informations LCB-FT publiées en octobre 2023.
II- Le rapport annuel Tracfin 2022
2023 est marquée par l’évolution de la présentation du rapport annuel LCB-FT. L’objectif : améliorer l’information et l’accompagnement des professionnels. Ainsi, le rapport 2022 est composé, pour la première année, de trois parties(1).
A- Première partie :
Bilan par activité déclarante
Ce sont 48 professions qui sont concernées par les obligations Tracfin et la première partie du rapport dresse une synthèse des activités déclaratives toutes professions confondues puis par activité. S’agissant de l’immobilier, en 2022, le nombre de déclarations de soupçon a augmenté de 29 % pour atteindre 440 déclarations et si cette augmentation mérite d’être saluée, elle demeure cependant faible au regard des 1 300 000 transactions estimées en 2022 ; et cela d’autant plus que près de la moitié des déclarations résulte de 5 départements.
B- Deuxième partie :
Bilan de l’activité de renseignement et du recouvrement financier
Cette partie du bilan a pour but de donner de la visibilité sur l’utilisation des informations communiquées : notes d’informations à l’autorité judiciaire, aux autorités administratives indépendantes, à l’administration fiscale, à la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI) et aux cellules de renseignement financier étrangères, découvrez en ligne le détail des actions 2022.
C- Troisième partie :
Etat de la menace
Malgré un titre peu engageant, ce dernier tome est une nouveauté opérationnelle qui a pour but d’améliorer l’information des professionnels. A partir des informations transmises et des enquêtes réalisées, Tracfin a établi :
une synthèse des critères d’alerte.
un abécédaire incluant 29 cas types. Chaque thème est classé par ordre alphabétique et contient une définition (ex : gel des avoirs), les listes des professionnels les plus concernés, un cas type avec le descriptif du circuit du blanchissement et de la fraude et les critères d’alerte pour chaque cas.
un tableau reprenant toutes les thématiques de l’abécédaire et qui permet à chaque professionnel en fonction de son activité de consulter directement les cas qu’il est le plus susceptible de rencontrer. S’agissant des professionnels de l’immobilier, il s’agit des fiches 5, 13, 14, 15 et 22.
* Conseil : Faites une restitution à vos équipes du rapport 2022 dans le cadre de votre obligation de formation continue en matière LCB-FT. Cette obligation de formation continue qui résulte du Code monétaire et financier ne se substitue pas à vos autres obligations Tracfin qui sont vérifiées par la DGCCRF et dont le non-respect est sanctionné par la Commission nationale des sanctions dont notamment la mise en place d’un système d’évaluation et de gestion des risques, l’identification des clients et bénéficiaires effectifs, le recueil des informations sur la connaissance du client, l’objet et la nature de la relation d’affaires.
Rappelons que le nombre de sanctions prononcées par la Commission nationale des sanctions est en augmentation régulière, soit 39 sanctions en 2021, 55 en 2022 et 33 au 31 juillet 2023, et que les sanctions prononcées sont publiées notamment dans le Journal de l’Agence et en ligne(2).
Caroline Dubuis Talayrach
Après plus de 20 ans d’exercice en Cabinet d’Avocats Conseils et comme Directrice Juridique et Méthode d’une enseigne nationale de franchise en agences immobilières, Maître Caroline Dubuis-Talayrach a ouvert son propre cabinet de :
- Mandataire en cessions d’agences immobilières, cabinets d’administration de biens et syndic
- Droit des affaires : Conseil et rédaction des actes en création et transmission d’entreprises, droit des contrats, droit de l’agent commercial, droit des sociétés, droit de la franchise, baux commerciaux
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Sa philosophie : Conseiller – Négocier– Former– Défendre
Basé à Aix en Provence j'interviens sur toute la France.
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