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« Agents immobiliers et autorité de la concurrence : l’échafaud ou la tronçonneuse », Alain COHEN-BOULAKIA, SVA Avocats

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L’avis n°23-A-07 du 2 juin 2023 concernant le fonctionnement du marché français de l’entremise immobilière interpelle. Le législateur va-t-il suivre les recommandations explosives contenues dans ce document ? Quelle va être la position du gouvernement ?

photo : Alain COHEN-BOULAKIA

1. Le Constat

Le niveau des taux des commissions des agents immobiliers en France serait de 5,78% TTC contre 3,3% HT, selon l’Autorité de la Concurrence, pour l’ensemble des pays de l’Union. Notons en premier lieu que l’on compare un taux HT et un taux TTC (sic…) … Il s’agirait donc en fait de 4,08% HT.

Ainsi, pour un bien immobilier de 300 000€, il en résulterait une différence de 4 500€, suivant que l’on a recours à un agent immobilier en France, ou « en moyenne » dans le reste de l’Europe…

A supposer que les chiffres communiqués par l’ADLC sont par ailleurs pertinents.

L’ADLC ne précise pas pourquoi la majorité des Français s’adresse à un agent immobilier. Il n’est effectué aucune comparaison entre le niveau des prestations des agents immobiliers français avec celui des professionnels espagnols par exemple, le niveau de responsabilité, la complexité de la législation portant sur la vente d’un bien…

Poursuivant un raisonnement qui relève du sophisme, l’ADLC croit déceler l’origine du « mal » : la rémunération au résultat : « Tous les mandats n’aboutissent pas à une vente, et ne donnant dès lors lieu à aucune rémunération, le professionnel va fixer ses honoraires en internalisant ce risque ». La mutualisation, voilà la maladie !

L’ADLC n’explore pas de nombreuses pistes bien connues qui pourraient avoir un impact sur les prix.

A pathologie audacieuse, thérapeutique lourde, alors que les agents immobiliers ne bénéficient d’aucun monopole et qu’à l’occasion de la vente d’un bien immobilier le vendeur a libre choix de s’adresser à un professionnel ou pas, de choisir un professionnel (notaire, plateforme, agent immobilier…). Il est proposé par l’ADLC deux solutions : l’échafaud ou la tronçonneuse.

2. Option 1 : l’échafaud

La loi HOGUET est décapitée en ce qui concerne l’activité d’entremise immobilière en matière de vente de biens immobiliers.

Plus de rémunération liée au résultat, d’assurance RCP, de niveau de compétence requis, plus de critère de moralité… le Far West…

Seul subsisteraient quelques règles minimales de formalisme du mandat et l’arrêté de 2017 concernant l’affichage et les annonces immobilières.

C’est oublier que la loi HOGUET est une loi de police destinée à protéger le consommateur et non un dispositif destiné à protéger le professionnel.

3. Option 2 : la tronçonneuse

L’ADLC propose une option 2 : « tronçonner » le parcours immobilier …

L’estimation d’un bien, la constitution du dossier de vente, la diffusion d’annonces, les visites, le compromis de vente seraient « déréglementés » et pourraient être exercés par tous professionnels, sans être liées au résultat.

En revanche la sélection des acquéreurs et la négociation devraient être réalisées soit par le vendeur qui n’a pas recours à un professionnel, soit par un agent immobilier titulaire d’une carte professionnelle (ou une profession réglementée telle que notaire, avocat, géomètre-expert…) lequel n’aurait droit à une rémunération qu’au résultat.

Concrètement, l’agent immobilier proposerait un « pack préparatoire » qui pourrait être à plusieurs niveaux en fonction des moyens de commercialisation mis en place, et ce en concurrence avec d’autres acteurs économiques… En outre il serait prévu des honoraires complémentaires en cas de résultat, rémunérant l’activité de sélection des acquéreurs et de négociation. En quoi cela va-t-il favoriser la baisse du coût d’un agent immobilier ? En quoi ce découpage protège t-il le consommateur ?

Pour forcer la démonstration, l’ADLC précise que la Cour de cassation a défini l’entremise immobilière comme englobant la sélection des clients et la négociation du prix de vente. C’est inexact. La Chambre Suprême intègre dans l’activité d’entremise immobilière la visite physique des biens, la recherche d’acquéreur. Et un examen plus attentif de la jurisprudence permet de déceler des hésitations en ce qui concerne non pas la publication d’annonces mais la gestion des appels téléphoniques des personnes intéressées par le bien immobilier, en dépit d’une décision surprenante rendue par la Cour d’Appel de PARIS le 18 novembre 2022 concernant PAP. Notons toutefois qu’une analyse a contrario de cette décision isolée conduit à retenir que l’examen des conditions nécessaires à l’efficacité juridique de l’acte de vente, la vérification du titre de propriété du vendeur, l’existence de servitudes, de contraintes administratives, la consistance matérielle du bien relèvent d’une activité d’agent immobilier titulaire d’une carte professionnelle. Il s’agit donc bien ici de la « constitution du dossier de vente » voire de « l’estimation » …

Le découpage proposé par l’ADLC n’a pas le fondement juridique qui est brandi ni de pertinence économique. L’intérêt du consommateur est totalement imperceptible.

4. Les solutions

En raisonnant par analogie on s’attaque aux agents immobiliers en soutenant qu’ils sont les plus riches d’Europe… pourquoi ne pas revisiter les droits de mutation lesquels seraient également les plus chers du monde occidental et ne favorisent pas la fluidité du marché ?

La complexité du parcours immobilier doit conduire à une plus grande protection du consommateur. Les agents immobiliers, qui ont la confiance des Français, disposent des outils permettant de sécuriser les transactions. Des pistes sont à explorer. L’ADLC a choisi la disruption. Soyons disruptifs…

  • Baisse des droits de mutation ou du moins absence de perception des droits de mutation sur les honoraires de l’agent immobilier lorsque ces derniers sont à la charge du vendeur,
  • Police de la carte professionnelle (poursuites systématiques du parquet à l’encontre des acteurs économiques qui ne détiennent pas de carte professionnelle),
  • Parution du décret définissant le niveau de formation minimum requis pour tout collaborateur d’un agent immobilier,
  • Allègement des contraintes réglementaires inadaptées à la profession d’agent immobilier, tout en en maintenant l’existence (par exemple TRACFIN…)
  • Nouvelle saisine de l’ADLC concernant les portails immobiliers, la concentration observée dans le secteur et le niveau de rémunération de ces acteurs économiques,
  • Obligation pour un vendeur d’un bien immobilier de signer aux clauses et conditions du mandat,
  • Sanctions civiles, voire pénales à l’encontre d’un acquéreur d’un bien immobilier (tiers au mandat) qui évince le professionnel, titulaire d’un mandat, alors qu’il a signé un bon de visite. Plus généralement sécurisation de l’activité de l’agent immobilier,

L’ADLC a rendu son avis. Fort heureusement :

« On n’exécute pas tout ce qui se propose ; Et le chemin est long du projet à la chose »

Le Tartuffe de Molière ne l’ignorait pas.

Alain Cohen-Boulakia

Avocat à la Cour d'appel de Montpellier depuis 1980 Alain COHEN-BOULAKIA s'est forgé une solide expérience en Droit de la Distribution (Franchise, Concession, Agents commerciaux, Coopérative de détaillants …) et en Droit Immobilier (Copropriété, Baux commerciaux, Rcp des professionnels de l'immobilier, Application de la loi Hoguet …).
Il est membre du collège des experts de la Fédération Française de la Franchise (FFF) et du Conseil Québécois de la Franchise (CQF).
Alain COHEN-BOULAKIA est également Professeur à l'ICH ; il intervient dans de nombreux colloques et séminaires en droit immobilier ainsi qu'en droit de la franchise.

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Vos réactions
  • Par Allouche Eric, il y a 11 mois

    Excellent article. Merc i

  • Par Cazou Mingot, il y a 11 mois

    Très belle analyse et pistes crédibles vs des conjectures qui fleurent bon le hors sol. Bravo

  • Par Hoguet Addict, il y a 11 mois

    Une police de la carte professionnelle : oui !
    Et par l’exploitation de l’open data par celui-là même qui l’a porté : l’Etat.
    A l’heure où toutes les administrations luttent contre la fraude par data-mining, pourquoi l’Etat n’a semble t’il encore rien mis en œuvre pour identifier les nombreuses situations interpellantes sur le secteur de l’entremise immobilière? Pourquoi laisser intervenir autant de dirigeants de fait, sans aucune aptitude professionnelle justifiée ? Et ce, parfois dans des champs d’activité (biens immobilier de prestige, viagers, …) qui devraient, à fortiori, exiger une déontologie sans faille (or commencer par dissimuler sa qualité réelle lorsqu’on est censé être celui qui évite les dissimulations des autres, …y’a comme un problème…. de cohérence)
    Rien de nouveau d’ailleurs en 2023…L’existence des prête-noms dans ce secteur d’activité avait déjà fait l’objet d’un signalement dans l’étude d’impact, publiée le 25/06/13, avant-projet de loi ALUR : « le gérant de droit de l’agence immobilière est titulaire de la carte professionnelle alors que le gérant de fait ne remplit pas les conditions nécessaires à l’obtention de cette dernière ». 10 ans après, la détection par les tiers de ces situations est désormais facilitée par la mise à disposition de bases publiquement consultables (le registre national des entreprises, le registre des bénéficiaires effectifs, le fichier national des professionnels de l’immobilier).
    Pour autant, ce sont prioritairement les agences « vitrines » « coupables » d’avoir basiquement pignon sur rue qui continuent d’être les cibles privilégiées des contrôles (ceux par exemple concernant la vérification du respect des obligations Tracfin, axe prioritaire des contrôles DGCCRF). Du moins, c’est ce qu’il semble à lire les décisions de la Commission Nationale des Sanctions (lorsqu’elles concernent des professionnels de l’immobilier, il s’agit d’agences dites « traditionnelles »)

  • Par Mme Article 9, il y a 11 mois

    Un police de la carte professionnelle…oui, et avec le regard attentif de l’Etat.

    L’avis met en avant la politique d’open data qui permet aux particuliers de réduire l’asymétrie d’information. Ces politiques d’open data ont-elles permis aux autorités d’axer leurs plans de contrôle annuels vers les situations les plus interpellantes ?

    A lire les décisions de la Commission Nationale des Sanctions (lorsqu’elles concernent des professionnels de l’immobilier) avis https://www.economie.gouv.fr/commission-nationale-sanctions/decisions-cns , les agences « vitrines » « coupables » d’avoir basiquement pignon sur rue semblent demeurer les cibles privilégiées des contrôles (ceux concernant ici la vérification du respect des obligations Tracfin, axe prioritaire des contrôles DGCCRF).

    Pourtant, des situations plus étonnantes, repérables par tout un chacun, ne devraient t’elles pas retenir davantage l’attention des autorités?

    A l’heure où la vigilance de chacun est appelée par le Ministère de l’Economie (ce dernier communiquait en début d’année sur une opération DGCCRF 06 ciblant les professionnels Hoguet) https://presse.economie.gouv.fr/12012023-lutte-contre-le-blanchiment-des-capitaux-et-le-financement-du-terrorisme-la-dgccrf-mene-une-action-coup-de-poing-dans-les-alpes-maritimes/
    identifier, dans ce département et ailleurs, l’organisation de contournements en série maillant le territoire, souvent par multi gérance, pourrait sembler pertinent ?

    Je pense notamment à ces nombreuses situations où le collaborateur déclaré (supposé être le salarié « subordonné » ou l’agent commercial « indépendant » de son mandant) dispose de la totalité du capital de la société titulaire de la carte professionnelle (rien ne s’y oppose directement).
    Cependant, à cela s’ajoute parfois un faisceau d’indices suscitant l’étonnement :
    – la communication de la société n’est assurée que par ce collaborateur ;
    – sur ses réseaux sociaux, il se présente en tant que dirigeant ;
    – dans les statuts, il dispose, de par les parts qu’il détient en tant qu’associé unique ou majoritaire, d’un droit de révocation sur le dirigeant (celui-là même, le représentant légal , qui est censé le « contrôler ») ;
    – l’adresse du siège social est celle (en non-conformité avec le code du commerce) du domicile de cet associé-collaborateur,
    – la succession des pv de la société établit une concomitance entre le changement de représentant légal (la personne quitte sa responsabilité de « dirigeant » et devient le collaborateur de la société ) à la faveur d’un ajout de l’activité de transactions ;
    – le dirigeant de droit (celui déclaré au Registre du Commerce) semble bien occupé à d’autres activités professionnelles que la transaction immobilière ;
    – parfois même il arrive qu’un article de presse se fasse l’écho d’une décision d’interdiction de gérer pour cet associé

    Bref, des éléments troublants, détectables en quelques clics, qui pourraient, pour le moins, susciter la curiosité des autorités ?

    Car derrière ces situations, ce sont des personnes sans aptitude professionnelle justifiée qui potentiellement exercent l’activité d’un agent immobilier.
    Au détriment de la sécurité des consommateurs.

    Ce montage d’un collaborateur-actionnaire majoritaire peut être possiblement le début d’un faisceau d’indices de « dirigeant de fait » de la structure (direction de la société aux côtés du représentant légal, le dirigeant de droit de la société, …voir même totalement à sa place) dans un montage malheureusement assez classique de contournement des dispositions Hoguet.

    La qualité de dirigeant de fait ne se présume pas.
    Il appartient à celui qui en soutient l’existence d’en apporter la preuve.
    Ainsi cette notion nécessite la réunion d’un faisceau d’indices concordants de pouvoirs.

    Mais lorsque l’open data en met certains sous les yeux de tous, ne serait-ce pas le rôle des autorités d’investiguer en croisant les données de cet open-data avec celles collectées par les administrations (Urssaf, Services fiscaux) ?

    Ces situations génèrent d’éventuelles situations problématiques :
    – intervention du collaborateur-dirigeant de fait sur des actes non autorisés , sans aptitude professionnelle démontrée, parfois dans des champs d’activité (biens immobilier de prestige, viagers, …) qui devraient à fortiori exiger une déontologie sans faille (or commencer par dissimuler sa qualité réelle lorsqu’on est censé être celui qui évite les dissimulations des autres, …y’a comme un problème…. de cohérence)
    – Quid également, pour l’agent commercial – associé unique de « son » mandant, de la déclaration fiscale des revenus – BIC agent immobilier ou BNC comme tout agent commercial ? –
    – « achat » d’une aptitude « fictive » par la rémunération d’un prête-nom sur 3 ans,…
    – Habilitation par un dirigeant « prête-nom » ( qui n’est pas placé dans les conditions d’assurer son « obligation de contrôle effectif » ) de réseaux d’agents-commerciaux… où est l’aptitude professionnelle dans ces schémas ?

    Rien de nouveau d’ailleurs en 2023 ..L’existence des prête-noms dans l’immobilier « réglementé » avait fait l’objet d’un signalement dans l’étude d’impact, publiée le 25/06/13, avant projet de loi ALUR : « le gérant de droit de l’agence immobilière est titulaire de la carte professionnelle alors que le gérant de fait ne remplit pas les conditions nécessaires à l’obtention de cette dernière ».

    C’est juste que 10 ans après, la détection par les tiers de ces situations est désormais facilitée par la mise à disposition de bases publiquement consultables ( le RNE, le registre des bénéficiaires effectifs, le fichier national des professionnels de l’immobilier).

    Que fait la police ?

    Ainsi au vu des contournements observés concernant l’application les règles -actuellement – posées (règles sur l’aptitude professionnelle, non respect par les collaborateurs des limitations dans les engagements possibles, …) et malgré l’impérieuse nécessité d’un respect des règles dictées – compte tenu notamment de l’exposition aux risques de par les activités prises en charge (achat de biens immobiliers luxueux, investissements patrimoniaux, ….) – la régulation de la profession d’agent immobilier semble déjà bien atteinte par cette organisation de mise à disposition de prête-noms

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